Interviewé récemment par le site
Atlantico, j’évoque plusieurs freins à lever pour faire de la France un pays d’entrepreneurs.
Vous trouverez, ci-dessous une partie de mes propos recueillis par Mathilde Cambour, que j’ai parfois complétés :
Les avantages du statut du salarié. Dans le secteur public et les grands groupes, les salariés bénéficient de nombreux avantages que n’ont pas les indépendants : en matière de protection sociale, de compléments de retraite, de mutuelle, de comité d’entreprise, etc. En France, le régime social est très favorable aux salariés. Les garanties, les protections salariales sont bien plus sécurisantes. Depuis des années, il n’y a qu’environ un tiers de femmes parmi les créateurs d’entreprise. Pourquoi ? Conjuguer vie familiale et carrière professionnelle est complexe. Entreprendre c’est renoncer à une partie du filet de sécurité du salariat (au sein des grands-groupes, les congés parentaux sont très avantageux).
Notre système de formation : les diplômés des grandes écoles d’ingénieurs, de commerce et même ceux de l’université sont plus enclins à rechercher un "statut" dans un grand groupe plus valorisant aux yeux d’autrui que celui de créateur. Pour un jeune diplômé, il est plus prestigieux d’intégrer un cabinet d’audit international, un grand groupe financier, industriel ou de services. Il suffit de constater l’attractivité de sociétés comme Canal Plus auprès des jeunes...
Cela dit, la situation est en train d’évoluer. Consécutivement à la crise, la situation des salariés – même ceux des grands groupes – est devenue très instable : licenciements, dégradation du climat social dans l’entreprise, "cadres kleenex" qui sont poussés vers la sortie après 45 ans... Cette précarisation incite les salariés à envisager à de plus en plus sérieusement l’entrepreneuriat. Une façon pour eux de prendre en main leur destin professionnel. Des grandes écoles comme HEC ou l’ESSEC ont des programmes spécifiques pour former des futurs créateurs d’entreprise.
Mais la culture française, fortement élitiste, entretenant le culte des "Grands corps" au service de "l’intérêt supérieur de la Nation" a encore des progrès à faire pour mettre le statut d’indépendant à parité avec celui de salarié.
La "suradministration". même si depuis les années 1990, la création d’entreprise a été simplifiée, tout créateur va se trouver rapidement confronté à la complexité des régimes sociaux et au poids des charges sociales et d’une fiscalité multiforme (cf. la CFE !). Ce qui décourage trop d’entrepreneurs potentiels.
Il faudrait créer une progressivité dans les prélèvements sociaux et fiscaux pour les PME de moins de 50 salariés par exemple. Revoir les seuils sociaux également notamment lors du passage de 49 à 50 salariés (avec 35 obligations supplémentaires qui s’imposent alors à l’entreprise !).
Les blocages culturels. La France entretient un rapport au travail et à l’argent radicalement différent des pays anglo-saxons. Ce problème culturel remonte à notre culture féodale et aristocratique, ce que le sociologue Philippe d’Iribarne appelle "la logique de l’honneur". Les élites, depuis l’Ancien Régime, associent le travail à une notion d’honneur, tandis que les Anglo-saxons – plutôt de culture protestante – trouvent normal de gagner de l’argent, ce qui n’est finalement qu’une récompense méritée pour son travail. De plus, ils sont bien plus pragmatiques dans leurs parcours professionnels : être salarié, puis créer son entreprise, et ensuite, par exemple, acheter une ferme afin d’y élever des chevaux est perçu positivement. Au contraire, en France, une carrière en dents de scie est très mal vue, car elle est synonyme d’instabilité. L’image du travailleur indépendant demeure encore, dans l’opinion publique, celle d’un autodidacte qui n’a pas eu les moyens de se lancer dans des études supérieures...
Enfin, notons que chez les Anglo-saxons, un particulier est incité à investir dans une entreprise. Alors qu’en France, cet investissement entre désormais dans le plafond des 10 000 euros qu’un ménage peut dépenser dans les services à domicile avec une réduction d’impôt. Entre payer la nourrice ou engager des fonds dans la nouvelle entreprise de son cousin… le choix sera malheureusement souvent vite fait ...
Il reste donc du chemin à parcourir pour que l’entrepreneuriat soit perçu en France comme une voie professionnelle d’excellence et que les entrepreneurs soit considérés à la mesure de leur contribution irremplaçable à l’économie nationale.
J.G.
(1) Les Français et l’esprit d’entreprise, sondage réalisé par l’Institut Think pour l’APCE et CER France à l’occasion du 20ème Salon des Entrepreneurs.
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