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La chronique de Jacques Gautrand - Novembre/Décembre 2017
Quel rôle pour l’entreprise au 21ème siècle ?
 

Contrairement à certains mauvais augures qui annonçaient le blocage du pays, les ordonnances sur la réforme du droit social sont quasiment passées comme une lettre à la poste. Même le plus véhément des opposants à Emmanuel Macron et à son gouvernement, Jean-Luc Mélanchon, leader de la France Insoumise, l’a reconnu récemment, concédant que Macron avait pour l’heure « marqué le point »…

Le 8ème et plus jeune président de la Cinquième république ne rencontre pas, pour l’heure, d’obstacle insurmontable à sa volonté opiniâtre de « transformer la France en profondeur ».

Pourtant, dans le train des réformes annoncées ou déjà actées - ordonnances sur le droit du travail, transformation de l’ISF en IFI, suppression du RSI, étatisation de l’assurance-chômage, suppression progressive de la taxe d’habitation, « Flat-Tax » sur le capital… - certaines prêtent le flanc à la critique, et pas seulement d’un point de vue politique, mais aussi pour la logique économique qui les sous-tend et dont on a parfois du mal à saisir le sens... (1)

Si les ordonnances constituent le « premier acte » de son chantier de transformation, Emmanuel Macron, dans son interview à TFI/LCI le 15 octobre 2017, a défini « l’acte 2 » avec les réformes de l’apprentissage et de l’assurance-chômage.

Mais pas que ça. Rebondissant sur une question des journalistes, le président de la République a déclaré vouloir « ouvrir en 2018 une vraie discussion sur qu’est l’entreprise » : « Je veux qu’on réforme profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise. »

Et l’ancien banquier d’affaires d’affirmer que l’entreprise « ne peut pas être simplement le rassemblement des actionnaires tel que le définit le Code civil. »

Dans la bouche de celui qui connaît l’ingénierie des montages capitalistiques subtils en matière de rachats, fusions-acquisitions, LBO et autres Build-Up, cette déclaration ne manque pas de sel...

Crédit photo : Ouest France
- Emmanuel Macron (alors ministre de l’Économie), en compagnie de Vincent Bolloré (à d.), inaugurant une usine de bus électriques Bolloré, le 15 janvier 2016, à Ergué-Gabéric dans le Finistère - Crédit photo : Ouest France

Redéfinir « la philosophie de l’entreprise »

Si l’on se réfère à notre droit, comme nous y invite le président, on se rend compte que l’entreprise n’a pas réellement de définition légale ! Le droit encadre plutôt des différentes formes de "sociétés"(2)

Toutefois, dans l’imaginaire collectif, l’entreprise se résume souvent à un club d’actionnaires motivés par la recherche du profit à tout prix, et la caricature continue à représenter le patron sous les traits d’un homme bedonnant fumant un gros cigare...

A une très large majorité, les Français aiment l’entreprise dans laquelle ils travaillent, mais ils continuent à se montrer méfiants à l’égard des entreprises privées, notamment les plus grosses, et des patrons.

La réalité quotidienne de l’entreprise est pourtant concrète. N’est-elle pas d’abord une communauté de personnes qui mobilisent leurs compétences et dépensent une bonne part de leur énergie pour répondre aux besoins des clients, soit en leur vendant des produits, soit en leur apportant des services, ou les deux ?

Le profit, en définitive, n’est que la résultante de la satisfaction du client.

Il ne peut y avoir d’entreprise profitable et pérenne qui ne satisfasse pas les attentes de ses clients…

Deux "modèles" d’entreprises privées, deux conceptions opposées...

Mais depuis le dernier quart du vingtième siècle, avec la montée en puissance des grandes places financières internationales interconnectées, la constitution d’une bulle spéculative (dû au flottement généralisé des monnaies), deux modèles d’entreprises, pour faire simple, sont en concurrence : un modèle « financier », un modèle « entrepreneurial ».

Des montages à effet de levier risqués, LBO (leveradged buy out), concoctés par des fonds d’investissement cupides associés à des hommes d’affaires sans scrupules se sont souvent traduits par le dépeçage d’entreprises "par appartement" et des plans sociaux à répétition.
Avec comme seul objectif la "création de valeur" à court terme pour les actionnaires - qui se traduisait en fait par la destruction de valeur à long terme, sans parler du "coût social" transféré à la collectivité...

Dans cette conception où l’entreprise se réduit à un "actif financier", les managers - généralement bien payés avec, en plus, des stock-options pour les intéresser aux bénéfices - se focalisent sur "l’allocation optimale" des ressources et des facteurs de production afin de "faire cracher le résultat". Pour présenter de beaux bilans aux actionnaires, on sabre les coûts de fonctionnement et les collaborateurs sont réduits à une « variable d’ajustement »...

Face à ce modèle "spéculatif", au zénith dans les années 1980, et mis en oeuvre par des promotions de diplômés des grandes écoles de management, il existe le modèle entrepreneurial qui représente de fait la très grande majorité des entreprises dont le capital est indépendant ou familial.

Ce modèle, un temps jugé "dépassé" par les élites technocratiques, a largement fait les preuves de sa résilience ; il contribue à la prospérité de nos sociétés depuis cent cinquante ans.

La terrible crise financière de 2008/2009 a finalement redoré le blason du capitalisme d’entrepreneurs, et redonné de la crédibilité au modèle de l’entreprise familiale.

S’appuyant sur un "capital patient", acceptant de ne pas se verser de dividendes pendant les années difficiles, l’entreprise familiale (appelée aussi "patrimoniale") est apparue mieux armée pour traverser les tempêtes. Profilée pour durer, privilégiant une gestion prudente et de long terme, l’entreprise à capitaux patrimoniaux cultive ce qu’elle sait être sa première richesse : ses savoirs, ses "tours de mains", ses traditions, et les talents de ses collaborateurs. Dans ce type d’entreprise le dirigeant connaît personnellement la plupart des salariés, et toutes les solutions alternatives seront envisagées avant de se résoudre à licencier quelqu’un.

Ce modèle d’entreprise est dominant parmi ce que l’on appelle les ETI (entreprises de taille intermédiaire) et qui sont aujourd’hui considérées comme le fer de lance des économies les plus dynamiques, telles que l’Allemagne. Notre voisin s’appuie sur quelque 12 000 ETI qui représentent une force de frappe considérable en matière d’innovation et d’exportation. La France ne peut en aligner que 4 600 et encore, toutes ne sont pas indépendantes.

La responsabilité "sociétale" de l’entreprise

Il est désormais admis que l’entreprise n’est pas qu’une entité privée, mais qu’elle a aussi une dimension "sociétale" : elle a une histoire, elle opère sur un territoire donné, elle a des engagements vis-à-vis des personnes qu’elle emploie, vis-à-vis de ses clients et fournisseurs... Un ensemble de liens et d’obligations que l’on appelle la RSE : responsabilité sociale/sociétale et environnementale de l’entreprise. Le respect des engagements RSE est devenu un des éléments constitutifs de l’image de l’entreprise et de sa réputation.

La loi fait d’ailleurs obligation au plus grandes entreprises de publier annuellement, en même temps que leur bilan financier, un rapport faisant état de leurs actions en matière de RSE. Et un certain nombre d’investisseurs institutionnels tiennent compte de cet aspect pour orienter leurs placements vers telle ou telle société cotée.

Les PME se sentent aussi concernées par cette dimension comme en témoignent les initiatives de la CPME pour sensibiliser ses adhérents au bienfait des stratégies RSE.

Faut-il aller plus loin ?

Certains voudraient faire de l’entreprise privée un "bien commun". Cette qualification reste ambiguë. L’histoire nous apprend que faire d’une entreprise privée un bien commun cela s’appelle une nationalisation, avec les effets pervers et les dysfonctionnements que l’on a pu observer.

L’entreprise privée est déjà considérée comme un "bien social" puisque la loi réprime "l’abus de bien social" lorsqu’un des propriétaires ou actionnaires d’une société utilise à des fins personnelles un actif de celle-ci.

Dans une interview au Figaro du 23 octobre, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire déclare : « Nous sommes prêts à permettre aux entreprises qui le souhaitent de revoir leur objet social, qui n’est aujourd’hui défini dans le Code civil que sous le seul angle de la réalisation de bénéfices dans l’intérêt des actionnaires. »

Est-ce à l’État de dire aux entreprises privées quel est leur rôle et leur finalité ?

Nous en le croyons pas, sauf à se satisfaire d’une économie administrée avec tous les travers et dérives que cela comporte.

Pour autant, faut-il se satisfaire d’une conception de l’entreprise restreignant sa vocation au partage du profit entre ses actionnaires ?

Cette acception nous paraît aujourd’hui complètement dépassée, même si elle continue à sous-tendre, dans le camp des adversaires de l’économie de marché, une vision antagoniste, opposant irrémédiablement les intérêts du capital et ceux du travail...

Une entreprise créatrice de bien-être et de progrès humain

Les formidables mutations techniques et économiques que nous vivons depuis une vingtaine d’années nous pressent de reconsidérer le rôle et la finalité de l’entreprise privée.

D’autant que les jeunes générations attendent de celle-ci qu’elle apporte du sens à l’économie de leur quotidien.

Pourquoi les Apple, Amazon, Adidas, Ikea, Blablacar et bien d’autres... sont devenues des entreprises aussi populaires ? C’est parce qu’elles ont su mieux répondre que d’autres aux consommateurs de leur temps en leur apportant des services originaux et en améliorant le quotidien. Leurs performances financières sont la résultante de tout cela.

Les entreprises qui réussissent aujourd’hui sont celles qui donnent satisfaction à leur clientèle, qui respectent leurs fournisseurs, leurs sous-traitants et leurs collaborateurs. Qui sont attachées à leur ancrage territorial et ont le souci de leur environnement. Ce sont des entreprises où, en général, les gens sont heureux de travailler.

- C’est pourquoi il nous semble fondamental d’affirmer que la première finalité de l’entreprise privée est de satisfaire des besoins, et, ce faisant, de créer plus de richesses qu’elle n’en consomme. Le profit est la récompense de la pertinence du service rendu.

- Pour générer la satisfaction de ses clients, l’entreprise doit être capable de mobiliser tous les talents, toutes les compétences de ses collaborateurs, du plus humble aux top-managers, de cultiver l’intelligence collective, la coopération plutôt que la mise en compétition et les croche-pieds entre eux.

- L’entreprise du 21ème siècle considère que sa première richesse est son "capital" humain : elle doit le choyer et le cultiver comme son actif le plus précieux.

- L’entreprise du du 21ème siècle doit se vivre non comme une machine à cash mais comme une communauté de projet, car projet signifie se pro - jeter, c’est-à-dire entraîner chacun à se dépasser dans une œuvre commune, plus grande que soi et qui fait grandir.

- L’entreprise du 21ème siècle doit, comme nous l’avons déjà écrit, s’appuyer sur une nouvelle affectio-societatis entre tous ses membres et pas seulement entre ses actionnaires (3) : pour cela, il convient de généraliser toutes les solutions d’intéressement, de participation et de distribution d’actions gratuites en franchise fiscale, afin d’associer tous les acteurs de l’entreprise à son devenir. Et dans les plus grandes des entreprises, renforcer la participation des salariés aux conseils d’administration.

Si elle parvient à conjuguer tout cela, alors l’entreprise du 21ème siècle sera réellement créatrice de richesses, de mieux être et de progrès humain.

Et s’il fallait donner une réponse simple à notre question initiale "quel est le rôle de l’entreprise aujourd’hui ? ", nous dirions : rendre service !

Jacques Gautrand

jgautrand [ @ ] consulendo.com

Notes :

- (1) Ainsi, pourquoi discriminer le patrimoine immobilier - seul survivant de l’ex-ISF-, déjà largement taxé par ailleurs : taxes foncières, droits de mutations (« frais de notaires »), alors qu’il représente un secteur économique vital pour le dynamisme d’un pays (22% du PIB et 19% des emplois) ?
Quelle est la logique qui préside à la suppression progressive de la taxe d’habitation alors qu’elle finance les services que les collectivités locales apportent aux habitants dans le quotidien ? La moduler eût sans doute été préférable : l’esprit civique voudrait que chacun contribue, à la mesure de ses moyens, au financement des services dont il bénéficie.
Comme son nom l’indique, l’assurance chômage est une assurance qui bénéficie à ceux qui cotisent pour se protéger du risque de perdre leur emploi. Est-il logique de vouloir la "nationaliser", et la financer par l’impôt, pour en faire bénéficier tout le monde y compris ceux qui n’en ont normalement pas besoin comme les retraités ou les fonctionnaires ?

- (2) Une société peut être civile ou commerciale. Son fonctionnement est réglementé par le Code Civil et le code de commerce. Ainsi l’article 1832 du Code civil stipule : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »
Quant à l’article 1833, il précise : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. »

- (3) En droit français, l’affectio societatis, expression latine qu’on peut traduire par « attachement à l’entreprise » caractérise le consentement libre et volontaire des apporteurs de capitaux à poursuivre un intérêt commun. L’affectio societatis oblige aussi les actionnaires à remettre du capital dans l’entreprise lorsque celle-ci traverse une passe difficile (cf. plus haut Art. 1832) ... ce qui n’est pas toujours fait et conduit au dépôt de bilan.

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