« Viens Jouer à la Maison » : Un business-modèle dans les services Par Jean-Luc Roux *

J’ai coaché Camille Huyghues-Despointes, fondatrice de « Viens Jouer à la Maison », dans le cadre du programme Mercure HEC.Nous avons rendez-vous à la terrasse d’un café ce matin de
septembre 2010. Elle arrive en retard. Matin de rage ! L’école, les
enfants, le pont embouteillé, les parkings pris d’assaut … Le
premier contact avec cette jeune femme d’une trentaine d’années
est dynamisant : vous êtes immédiatement plongé dans le bain.
Elle vous raconte l’histoire de sa société comme elle vous conterait
celle de Dorothy au pays du magicien d’Oz.
Diplômée en arts du spectacle, Camille Huyghues-Despointes,
mère de trois enfants et épouse d’un chef d’entreprise, décide de
quitter son poste au marketing d’une chaîne de télé. Mais arrêter
de travailler, vous sentez vite que ce n’est pas son truc. Elle crée
un kit de théâtre pour les 5-8 ans, adapte un conte de Grimm, puis
face à la difficulté pour trouver une structure d’accueil pour ses
enfants, se décide à monter Viens Jouer à la Maison.
L’idée-business
Vous voulez prendre du temps pour vous le mercredi après-midi ? Vous faites de la gym le mardi soir ? Viens Jouer à la Maison accueille votre enfant. Vous voulez lui faire apprendre le chinois, le poney, ou les arts du cirque ? Viens Jouer à la Maison a ce qu’il vous faut.
Attention, ce n’est pas une crèche privée, précise Camille
Huyghues-Despointes : « On ne se substitue pas au mode de garde. »
Le concept, c’est de proposer en centre-ville des ateliers pédagogiques et ludiques pour les enfants jusqu’à dix ans, à mi-chemin
entre la halte-garderie et le centre de loisirs de grande qualité. (...)
Selon l’INED, la France comptait 4,8 millions d’enfants de moins de six ans au 1er janvier 2009. Si vous avez des enfants, vous avez sûrement constaté le déficit de capacité de garde des enfants. (...) Près de 70 % des enfants de zéro à trois ans sont gardés
par leur famille en semaine entre 8 heures et 19 heures (1) .
Gardés en famille ou à domicile, ces enfants représentent le
marché-cible de Viens Jouer à la Maison. Gardés seuls à la maison
pendant que les éventuels grands frères et soeurs sont à l’école,
une activité chez "Viens Jouer à la Maison" représente pour tous ces enfants une chance de se développer, s’éveiller, découvrir le
monde extérieur, et faire une première expérience de la collectivité
avant l’entrée à l’école. (...)
Camille Huyghues-Despointes précise : « Viens Jouer à la Maison, c’est un lieu chaleureux de rencontre, un accueil comme à la maison où l’on
connaît le prénom de tous les enfants, à dimension familiale, où les
gens se parlent, prennent un thé en attendant que l’activité se
termine. C’est un lieu en centre-ville qui touche toute la famille. »
Viens Jouer à la maison se positionne également comme une
alternative et non pas un concurrent des structures publiques
souvent saturées, où l’on traite la masse (qu’on ne peut pas
toujours contenter) et moins l’individualité.
Le démarrage de l’entreprise
La société a ouvert en septembre 2008 à Asnières, dotée d’un capital
de 7 500 euros pour démarrer, (et en obtenant ) un prêt d’honneur du Conseil général de 10 000 euros, puis un prêt de la banque de 30 000 euros, sans oublier une maison hypothéquée. Le tempo est donné.
Au départ estampillé « concept store », Viens Jouer à la Maison
passe vite à la vitesse supérieure. « Mes proches m’ont dit de
commencer dans mon garage, pour ne pas prendre de risque », se
rappelle pourtant la jeune femme. Mais elle voit les choses en
grand, Camille. Et de vous citer les statistiques de naissances en
France : « Huit millions d’enfants de moins de dix ans, on est
champions d’Europe ! » Le regard brillant, elle évoque déjà l’inter-
national : « Cela pourrait très bien marcher en Allemagne et dans
les pays scandinaves ! » Elle observe aussi beaucoup ses clientes :
« Certaines viennent de loin, car on n’a pas de concurrents. On a
commencé par des activités hebdomadaires à l’année : gymnastique
à cinq ans, éveil musical, anglais, théâtre, cirque, etc. Puis on a
proposé des stages pendant les vacances : poney, découvrir Paris, les
arts du spectacle… Et enfin des activités à la demande : on organise
cent goûters d’anniversaires chaque année. Oui, cent ! »
Et pour honorer la demande grandissante, Camille Huyghues-Despointes a ouvert des ateliers pour les mamans et futurs mamans (yoga, sophrologie, massages, etc.), ainsi qu’une boutique : « Je me suis
rendu compte que les clientes adoraient acheter des petits trucs en
attendant leurs enfants. » Luminaires de créateurs, toiles
d’artistes, accessoires et objets déco, jeux éducatifs, cadeaux de
naissance…
(...)
Viens Jouer à la Maison est devenu rentable dès la première année
avec 150 000 euros de chiffre d’affaires, puis une croissance de
30 % chaque année suivante ! Pourquoi ça marche ? Parce que les
clientes et clients se simplifient la vie !
Quatre facteurs expliquent ce succès :
tout sur place (« one stop shopping ») ;
le gain de temps, tout est pensé pour optimiser l’accueil de
l’enfant ;
l’humanité de l’accueil, comme à la maison ;
un vaste choix d’activités.
LES ENJEUX D’UN BUSINESS MODEL DE SERVICES
Pour comprendre comment ça marche, entrons dans le business
model de Viens Jouer à la Maison :
. Modèle de revenus
Soixante-cinq pour cent des revenus sont tirés des ateliers, où le client
choisit à la carte ses activités. Il a le choix entre un abonnement
mensuel à un atelier et des activités à la demande (par exemple goûter
d’anniversaire, séance de yoga, etc.). Le restant des revenus (35 %)
provient de la boutique, avec l’activité de commerce classique.
. Les ressources
Les ressources nécessaires sont principalement un local et du
personnel. Cela peut sembler simple de prime abord, mais c’est en
réalité compliqué en raison de fortes contraintes. Le local doit
répondre à des normes sanitaires et réglementaires strictes. Et il
doit être situé en centre-ville. L’investissement représente environ
une année de chiffre d’affaires, incluant bail et caution, travaux
d’installation, achat d’équipement et stock.
Le personnel pédagogique est géré comme dans un spectacle. Viens Jouer à la Maison recourt à une multitude d’experts,
engagés pour quelques heures chaque semaine. Ce réseau d’intervenants complexe doit être scrupuleusement organisé, car il
s’avère très compliqué de trouver, recruter et organiser toutes ces
équipes. Telle est la véritable barrière à l’entrée de ce business. On
comprend alors aisément pourquoi il n’y a pas pléthore d’offres.
Ainsi, outre les professionnels de la petite enfance, qui assurent
les ateliers de base, il faut trouver une psychomotricienne pour
l’approche encadrée de la pratique sportive des tout-petits, des
intervenants anglophones, ou encore un titulaire d’un BIAC
(Brevet d’Initiation aux Arts du Cirque) pour l’atelier cirque.
Tous ces stages, ateliers, pièces de théâtre, etc., sont répertoriés
dans une « bible », le catalogue d’activités, composé d’une dizaine
de classeurs, et érigeant des normes très précises afin d’assurer la
qualité du spectacle et de respecter la réglementation ainsi que les
normes de sécurité.
Le catalogue d’activités est un actif clé de la
société, conçu et piloté par Camille Huyghues-Despointes.(...)
Les points névralgiques du business model
Le développement de l’enseigne est un enjeu capital, puisque lui
seul va permettre d’amortir les coûts et d’offrir un retour sur les
actifs financés, le catalogue d’activités principalement, et la
centrale d’achats. Quand Camille Huyghues-Despointes vous
explique le marché, la demande en croissance forte et le peu de
concurrence actuelle, il devient facile de visualiser la nécessité de
développer rapidement sa société et de prendre des parts de
marché.
Deux écueils se dressent sur la route du développement de Viens
Jouer à la Maison.
D’une part, recruter du personnel pour chaque implantation est
long et coûteux. Le risque est important également. Quoi de plus
compliqué que recruter ?
D’autre part, le poids de l’immobilier. Le temps de recherche et de
négociation d’un local en centre-ville est conséquent : six mois au
minimum. Par ailleurs, le ticket d’entrée pour dénicher un local
s’élève à 100 000 euros en moyenne. De plus, accueillir des enfants
nécessite le respect de normes d’hygiène et sécurité strictes, ce qui
complique un peu plus la recherche de locaux.
Camille Huyghues-Despointes a cherché à simplifier au
maximum le concept de façon à alléger les actifs à financer. À titre
d’exemple, la surface nécessaire est d’environ quatre-vingts
mètres carrés, alors qu’une crèche compte en moyenne une
surface de deux cents mètres carrés.
La concurrence donne-t-elle une indication des enjeux ?
Viens Jouer à la Maison ne connaît pas d’offre équivalente, du fait de la spécificité de son activité, au carrefour des besoins de sociabilisation, de loisirs et d’organisation des enfants et des parents.
Néanmoins, la concurrence existe et se trouve actuellement plutôt dans
les concepts de substitution comme les crèches privées ou publiques,
et une multitude d’offres locales, généralement publiques, comme
les ateliers de préscolarisation (haltes-garderies et jardins d’enfants,
très souvent saturés), ou encore les associations (pour les activités
d’éveil comme les ateliers arts du spectacle, très peu répandues).
Enfin, les centres de loisirs proposent une offre de masse, nettement
moins qualitative. Néanmoins, des offres nouvelles ont vu le jour ces
dernières années et les initiatives se multiplient ( telles que Filapi, La Maison Bleue, Babilou, Les Petits Chaperons Rouges …) (...)
La Franchise, accélérateur de développement
Face à une forte croissance et une offre qui commence à s’organiser,
il n’y a pas de temps à perdre pour installer le concept sur
son marché. Camille Huyghues-Despointes a un discours de
bâtisseur. Son objectif ? Les villes de plus de vingt mille habitants.
Comment s’y prendre pour saisir un tel potentiel ?
Je reste admiratif quand je vois tomber sur le bureau de Camille Huyghues-Despointes des candidatures venant de La Réunion !
(...) La franchise est le mode de développement
approprié pour Viens Jouer à la Maison, car rapide et léger
en termes de coûts. Chaque franchisé prend sa part d’investissement,
contrairement au développement d’un réseau en propre, de
filiales ou succursales.
Autre spécificité de la franchise, essentielle pour une start-up : le
développement se fait avec des entrepreneurs plutôt que par des
employés salariés. L’état d’esprit du réseau est ainsi dynamique et consistant.
Dès lors que le franchisé a pris un ticket d’entrée, il est plus
motivé pour que cela marche. Tout le monde œuvre à la réussite
de l’enseigne.
L’accord de franchise doit comprendre au moins :- l’utilisation d’un nom ou d’une enseigne ;
un mode de présentation uniformisé des locaux ;
l’approvisionnement ou le référencement de produits et/ou de
services ;
a transmission d’un savoir-faire ;
une assistance commerciale pendant la durée de l’accord.
En contrepartie, le franchisé Viens Jouer à la Maison paie un droit d’entrée (25 000 euros) et des redevances sur le chiffre d’affaires annuel (8 %).
La franchise permet de mutualiser les coûts, grâce à l’effet de volume
sur les achats et d’une manière générale sur les moyens communs,
tandis que créer une marque coûte cher en termes de conception,
dépôt et matériel de communication.
Imposer une marque au niveau national s’avère impossible sans un réseau puissant.
Très vite, développer Viens Jouer à la Maison en franchise a été
une évidence. L’effet d’accélération est une des caractéristiques de
la franchise. Au bout d’un an, le réseau comptait six implantations
(Montpellier, Nantes, et quatre en Île-de-France).
Cependant, sans maîtrise, la vitesse n’est qu’illusion et danger. Le
temps de préparation est important et incontournable :
Camille Huyghues-Despointes veut apporter du fond à ses franchisés.
Il faut normer les activités, concevoir des spectacles qui
durent, rédiger les textes, fabriquer les décors, et aller jusqu’à la
fiche de poste de chaque intervenant. Négliger cette préparation,
c’est construire un château sur du sable, dans une société où le
business design est complexe et lourd.
La jeune femme a donc consacré un an à préparer son réseau.
Pour financer cette préparation (un an de salaires et le développement
de tous les prototypes), elle a mené une première levée de
fonds, auprès de son entourage proche, clients y compris, permettant
de recevoir 240 000 euros en quelques semaines.
Une préparation minutieuse de la franchise
Première étape pour Viens Jouer à la Maison : trouver les conseils
spécialisés. L’enjeu juridique est important. La franchise est encadrée
par une législation précise (loi Doubin du 31 décembre 1989)
qui impose de concevoir et rédiger toute la documentation (règles
de vie, contrats) qui va régenter le réseau pendant sa vie. Puis il
faut bâtir la tête de réseau, la « maison mère », c’est-à-dire l’entité
qui pilote les franchisés. L’investissement est lourd, car il faut
recruter des équipes pouvant « booster » l’innovation pédagogique.
Camille Huyghues-Despointes a donc participé pour la première
fois en 2010 à Franchise Expo Paris, le salon de la franchise, une
manifestation incontournable pour recruter, qui a lieu chaque
année. Elle y a noué ses premiers contacts et est repartie avec une
dizaine de candidatures. Sachant que le stand a coûté 6 000 euros, c’est un bon retour sur investissement ! (...)
Le concept de Viens Jouer à la Maison a déjà été testé pendant un ou deux ans, durant lesquels une boutique pilote a montré la viabilité de l’affaire.
Par ailleurs, les franchisés reçoivent une formation solide. (...) La franchise est un mode de création d’entreprise particulièrement
bien adapté à la reconversion. Or, le profil type ciblé par
Viens Jouer à la Maison est la jeune mère de famille qui souhaite
cesser une activité salariée pour goûter à la fois aux joies de l’indépendance et de la petite enfance. (...)
Comment contourner l’obstacle de l’immobilier ?
Nous sommes mi-2010. Tous les clignotants sont au vert. Il n’y a
plus qu’à lâcher les chevaux et laisser l’essaimage se faire. Déjà
huit boutiques étaient ouvertes fin 2011, et l’engouement permet
de nourrir beaucoup plus d’ambitions. Néanmoins, malgré
l’engouement général, comment « booster » le démarrage de
l’enseigne ? Le déploiement du business design s’avère complexe,
avec le problème de trouver des locaux en centre-ville.
Notre conclusion est sans équivoque : aborder frontalement la question des locaux coûterait beaucoup d’énergie.
Développer un réseau en propre nécessiterait ainsi beaucoup de temps et d’argent. À titre de référence, un concurrent comme Filapi, qui gère trois crèches dans les Hauts-de-Seine, a recueilli 650 000 euros en trois levées de fonds de 2004 à 2008. La Maison Bleue, qui gère cinquante crèches, a levé 5 millions d’euros début 2011 pour financer son développement.
Dès notre première séance de coaching avec Camille Huyghues-
Despointes, nous nous heurtons à une évidence : si la franchise
fourmille de candidats, elle se heurte à un problème majeur,
l’identification du local. Ainsi, une jeune femme a rapidement
contacté Camille pour ouvrir une franchise dans le seizième
arrondissement de Paris. Mais après trois mois de recherche
acharnée, force est de constater qu’elle n’a pas trouvé de local
disponible, sauf à multiplier par trois la somme qu’elle pouvait
consacrer au loyer et au « pas-de-porte ». À l’évidence, une telle
structure de coûts remettrait en cause l’équilibre du modèle. Dans
le Sud-Est, une candidate à la franchise a trouvé très vite le local
idéal et obtenu les autorisations nécessaires. Toutefois, il lui reste
à trouver… un banquier qui comprenne le business model et soit
prêt à accorder un prêt pour payer le droit au bail et les travaux.
Près de six mois de palabres débouchent au final sur un échec.
Trouver un emplacement s’avère très compliqué. Or, il est essentiel
pour Viens Jouer à la Maison d’être en centre-ville, facilement
accessible, proche des écoles, des transports et des parkings, dans
un quartier commerçant. Si six à neuf mois sont nécessaires pour
effectuer les recherches et les tractations avec les agents immobiliers
et les banquiers (les plus acquis à la cause de l’entreprise
n’étant pas ceux qu’on croit), la société ne va pas se développer
aussi vite que prévu, loin s’en faut. À la réflexion, c’est peut-être
tout simplement pour cette raison qu’il existe si peu de structures
d’accueil privées dans les villes.
L’innovation consisterait à se passer de murs pour développer
l’enseigne. Pourquoi pas ? Peut-on trouver hors de la société des
ressources à son business model ? Dès lors qu’il ne s’agit pas d’une
ressource vitale, toute fonction de l’entreprise peut valablement
être confiée à des parties prenantes. Cependant, pour ne pas
risquer de perdre le contrôle des opérations, il vous faut
comprendre quelle est votre « ressource minimum vitale », votre
coeur de métier.
CONSTRUIRE UNE MAISON SANS MURS : POURQUOI PAS ?
Le cœur de métier, ou « core business », doit être compris comme
étant l’organe vital de votre entreprise, son cœur. Le définir
permet de cibler son développement en se concentrant sur
l’essence même de la société, sa « core » stratégie.
En effet, comme tout patron de start-up, Camille Huyghues-Despointes n’a ni le temps, ni l’argent, ni l’énergie pour s’éparpiller. Elle doit aller à
l’essentiel, c’est-à-dire « mettre le paquet » sur ce qui fera la différence
à l’arrivée, en termes de vente et donc de profit. (...)
Le concepteur du musée Guggenheim à New York (l’architecte Frank Lloyd Wright ) voit autre chose que ses pairs, qui envisagent le musée comme un lieu où entreposer des œuvres d’art. Il envisage
plutôt un flux de déplacements le plus naturel et simple
possible afin de faciliter la circulation des visiteurs autour des
œuvres. Un parcours unique, pour que chaque visiteur n’ait que
les œuvres d’art à observer. Il conçoit donc pour le futur musée
une forme hélicoïdale, parfaitement dédiée au flux des visiteurs,
unique et radicalement différenciée dans le paysage urbain de
l’époque. Il propose une nouvelle façon de concevoir le musée.
La conception du musée Guggenheim de New York illustre la
réflexion sur le cœur de métier de tout entrepreneur. Le « core
business » doit être la racine de votre activité ; il représente la
façon dont vous voyez votre métier. Vous et vous seul. C’est ce qui
va vous différencier, définir et innerver votre projet d’entreprise,
lui donner sa consistance. Le cœur de métier est ce sur quoi votre
communication pourra se greffer, et à quoi l’équipe devra adhérer
pour être en cohérence. Vis-à-vis de l’extérieur enfin, c’est ce
grâce à quoi vos parties prenantes vous identifieront sans équivoque.
Le cœur de métier sera donc un point d’appui capital pour
votre stratégie de développement. (...)
Pourquoi définir ce cœur de métier ?
En lançant votre société, vous avez naturellement l’idée du
business. Dans les grandes masses, vous savez ce que vous voulez
et savez faire. Cependant, cela ne suffit pas : allez au bout de la
réflexion pour identifier ce qui va vous rendre unique dans votre
façon de faire. Cette démarche permet de définir les priorités (le
fameux cœur de métier), afin de concentrer votre action et vos
investissements sur ce qui fait votre différence, votre avantage
concurrentiel. (...)
Voici comment nous nous y sommes pris dans le cas de Viens
Jouer à la Maison.
Les attentes des clients. C’est à ce stade que la réflexion sur le cœur de métier a pris tout son sens. En effet, elle a permis de répondre à une question :
trouver un local en centre-ville est-il vraiment indispensable ?
Pour définir le cœur de métier de Viens Jouer à la Maison,
mettons-nous à la place de l’une de ses clientes. Au fond, que
vient-elle y chercher ? Des activités intelligentes pour son enfant
dans un contexte sécurisé.
Le cœur de métier de Viens Jouer à la
Maison est de concevoir, puis d’animer des projets pédagogiques
et ludiques pour les enfants. Il est matérialisé par un actif, le catalogue
d’activités. Cet actif est la valeur centrale de la société, la
partie la plus difficile à copier par un concurrent éventuel.
Prenons quelques exemples :
L’atelier gymnastique des tout-petits comprend de nombreux
jeux, comme les « comptines et jeux de doigts ». Il est destiné à
développer notamment les muscles de la main afin de faciliter
l’apprentissage à venir de l’écriture. Les jeux de balles, eux, favorisent
la synchronisation œil-main, tandis que le parachute favorise
la latéralisation, et le sens de l’orientation… Tout est normé,
jusqu’à la durée des jeux (quarante-cinq minutes).
L’atelier « marche à deux ans » est accompagné des parents. Au
programme : parcours-escalade, petit tunnel, trampoline, relaxation,
jeux de ballons, foulard, cerceau, bulle, etc. Le matériel est soigneusement répertorié, de façon à être mis à disposition des franchisés, ainsi que les objectifs de chaque programme ludique. (...)
Un coeur de métier repose sur une « core competence ». S’il n’y
avait qu’un seul euro à investir demain, c’est sur cette compétence
clé qu’il faudrait le dépenser afin de maintenir l’avance de la
société sur la concurrence.
Enfin, le cœur de métier est porté par des personnes clés. Chez
Viens Jouer à la Maison, la « core competence » est portée par la
fondatrice. Camille Huyghues-Despointes, forte de ses études et
de son expertise dans le théâtre et les médias, a la passion et le don
nécessaires à la conception et au développement de spectacles.
Son équipe est constituée de professionnels de la petite enfance et
d’arts du spectacle qui ont tous travaillé au lancement de Viens
Jouer à la maison à Asnières et développé un savoir-faire, une
pédagogie propre à l’enseigne : une psychomotricienne est
responsable du pôle 0-3 ans ; une comédienne, professeur de
théâtre, écrit les spectacles avec Camille Huyghues-Despointes.
Parallèlement à la qualité de la pédagogie, la sécurité des enfants
est également un facteur déterminant. Viens Jouer à la Maison a
ainsi obtenu les deux agréments suivants :
PMI (Protection Maternelle et Infantile). Cet agrément permet
à Viens Jouer à la Maison de proposer des activités aux enfants de
zéro à trois ans sans présence d’un adulte accompagnant, ce qui
l’aide à se démarquer de certaines offres concurrentes où la
présence d’un accompagnant est obligatoire.(...)
DDJS (Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports).
Cet agrément permet de proposer des stages avec ou sans hébergement pendant les périodes de vacances scolaires, les mercredis
et les week-ends.
Poser les limites et les fondations
Le cœur de métier aide donc à poser non seulement les bases de
votre entreprise, mais aussi ses limites. En premier lieu, c’est grâce à
ce travail que vous allez pouvoir communiquer efficacement,
définir de façon précise et pertinente votre activité, et surtout
traduire en quoi vous êtes unique.
Le « pitch » de votre société doit
traduire votre cœur de métier. Celui de Viens Jouer à la Maison dit
par exemple : « Des ateliers pédagogiques et ludiques en centre-ville
pour les enfants de zéro à dix ans ». En second lieu, c’est sur ce point
d’appui que vous allez pouvoir développer votre société.
Définir le plan stratégique
Forts de la compréhension du cœur de métier de Viens Jouer à la Maison, nous pouvons contourner le problème immobilier.
Si la valeur centrale de cette société est sa capacité
à concevoir des ateliers pédagogiques et ludiques pour les
enfants, a-t-elle nécessairement besoin d’occuper des murs en propre
pour proposer cette valeur ? Ne peut-elle pas passer un accord de
partenariat avec un théâtre par exemple, situé en centre-ville, dont
l’activité a lieu en soirée et dont les murs restent inoccupés pendant la
journée ? Ou avec tout commerce recevant du public mais
ayant des mètres carrés à occuper ? Il en existe beaucoup… La stratégie de la société a été radicalement « impactée » par cette analyse.
La réflexion sur le cœur de métier s’est avérée incontournable pour
Viens Jouer à la Maison. Compte tenu de l’ampleur des champs de
développement possibles et de leur coût, il fallait se concentrer sur
l’essentiel. Tous les concurrents de Viens Jouer à la Maison ont
d’ailleurs cherché à contourner le même obstacle : soit en gérant
des lieux appartenant à des collectivités, soit en s’adressant aux
entreprises. (...)
« Retenez ce qui vous rend unique sur votre marché … »
Définir votre coeur de métier, c’est avant tout chercher à vous
concentrer sur l’essentiel, à un stade du développement de votre
start-up où chaque euro et chaque minute comptent. Concentration
des efforts : c’est en cela que vous devrez investir pour conserver
toujours une longueur d’avance.
Pour aborder un sujet aussi structurant, vous avez besoin de prendre énormément de recul et de faire fi des contraintes quotidiennes, du moins l’espace d’un instant. À coup de rabot, élaguez tout ce que vous pouvez ne pas faire. Ne retenez que ce qui vous rend unique sur votre marché. (...)
(1). Source : DREES, enquête sur les modes de garde des enfants de moins de trois
ans en 2007.
Jean-Luc Roux
* Jean-Luc Roux est financier, entrepreneur et coach d’entrepreneurs.
« ça va marcher ! - 7 étapes pour une entreprise profitable » - 190 pages - Editions Eyrolles - En sept chapitres, l’auteur détaille ses conseils pratiques pour élaborer un business-modèle pertinent, à partir d’exemples d’entreprises et de start-up performantes.
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