Cas d’entreprise

« Viens Jouer à la Maison » : de l’idée au business-modèle gagnant  

Par Jean-Luc Roux *

Comment transformer une idée en une entreprise viable et "profitable" ? A travers l’exemple de la jeune enseigne "Viens Jouer à la Maison" dont il a coaché la fondatrice, Camille Huyghues-Despointes, Jean-Luc Roux explique les facteurs-clés de la performance. Ce témoignage est extrait de son livre "ça va marcher !" publié aux éditions Eyrolles. *
Chef d’entreprise, publicitaire et coach, Jean-Luc Roux s’appuie sur des parcours d’entrepreneurs pour présenter les "7 étapes" d’un projet gagnant. Nous publions, ci-dessous, avec son aimable autorisation, de larges extraits du chapitre 4 de son ouvrage, intitulé : "En quoi êtes-vous unique ?" Il est consacré à la génèse de "Viens Jouer à la maison", un concept d’ateliers ludo-éducatifs pour enfants, lancé en 2008 à Asnières par une jeune maman, Camille Huyghues-Despointes. Depuis sa création, l’entreprise plusieurs fois primée a décliné son concept en franchise, et s’apprête à ouvrir, cet automne, une boutique-atelier au sein du centre commercial entièrement rénové de Beaugrenelle, à Paris 15ème.

* « ça va marcher !- 7 étapes pour une entreprise profitable » - 190 pages - Editions Eyrolles.



« Viens Jouer à la Maison » :
Un business-modèle dans les services
Par Jean-Luc Roux *

Camille Huyghues-Despointes et Jean-Luc Roux

J’ai coaché Camille Huyghues-Despointes, fondatrice de « Viens Jouer à la Maison », dans le cadre du programme Mercure HEC.Nous avons rendez-vous à la terrasse d’un café ce matin de septembre 2010. Elle arrive en retard. Matin de rage ! L’école, les enfants, le pont embouteillé, les parkings pris d’assaut … Le premier contact avec cette jeune femme d’une trentaine d’années est dynamisant : vous êtes immédiatement plongé dans le bain. Elle vous raconte l’histoire de sa société comme elle vous conterait celle de Dorothy au pays du magicien d’Oz.

Diplômée en arts du spectacle, Camille Huyghues-Despointes, mère de trois enfants et épouse d’un chef d’entreprise, décide de quitter son poste au marketing d’une chaîne de télé. Mais arrêter de travailler, vous sentez vite que ce n’est pas son truc. Elle crée un kit de théâtre pour les 5-8 ans, adapte un conte de Grimm, puis face à la difficulté pour trouver une structure d’accueil pour ses enfants, se décide à monter Viens Jouer à la Maison.

L’idée-business

Vous voulez prendre du temps pour vous le mercredi après-midi ? Vous faites de la gym le mardi soir ? Viens Jouer à la Maison accueille votre enfant. Vous voulez lui faire apprendre le chinois, le poney, ou les arts du cirque ? Viens Jouer à la Maison a ce qu’il vous faut. Attention, ce n’est pas une crèche privée, précise Camille Huyghues-Despointes : « On ne se substitue pas au mode de garde. »

- Le concept, c’est de proposer en centre-ville des ateliers pédagogiques et ludiques pour les enfants jusqu’à dix ans, à mi-chemin entre la halte-garderie et le centre de loisirs de grande qualité. (...)

Selon l’INED, la France comptait 4,8 millions d’enfants de moins de six ans au 1er janvier 2009. Si vous avez des enfants, vous avez sûrement constaté le déficit de capacité de garde des enfants. (...)
Près de 70 % des enfants de zéro à trois ans sont gardés par leur famille en semaine entre 8 heures et 19 heures (1) . Gardés en famille ou à domicile, ces enfants représentent le marché-cible de Viens Jouer à la Maison. Gardés seuls à la maison pendant que les éventuels grands frères et soeurs sont à l’école, une activité chez "Viens Jouer à la Maison" représente pour tous ces enfants une chance de se développer, s’éveiller, découvrir le monde extérieur, et faire une première expérience de la collectivité avant l’entrée à l’école. (...)

Camille Huyghues-Despointes précise : « Viens Jouer à la Maison, c’est un lieu chaleureux de rencontre, un accueil comme à la maison où l’on connaît le prénom de tous les enfants, à dimension familiale, où les gens se parlent, prennent un thé en attendant que l’activité se termine. C’est un lieu en centre-ville qui touche toute la famille. »

Viens Jouer à la maison se positionne également comme une alternative et non pas un concurrent des structures publiques souvent saturées, où l’on traite la masse (qu’on ne peut pas toujours contenter) et moins l’individualité.

Le démarrage de l’entreprise

La société a ouvert en septembre 2008 à Asnières, dotée d’un capital de 7 500 euros pour démarrer, (et en obtenant ) un prêt d’honneur du Conseil général de 10 000 euros, puis un prêt de la banque de 30 000 euros, sans oublier une maison hypothéquée. Le tempo est donné.

Au départ estampillé « concept store », Viens Jouer à la Maison passe vite à la vitesse supérieure. « Mes proches m’ont dit de commencer dans mon garage, pour ne pas prendre de risque », se rappelle pourtant la jeune femme. Mais elle voit les choses en grand, Camille. Et de vous citer les statistiques de naissances en France : « Huit millions d’enfants de moins de dix ans, on est champions d’Europe ! » Le regard brillant, elle évoque déjà l’inter- national : « Cela pourrait très bien marcher en Allemagne et dans les pays scandinaves ! » Elle observe aussi beaucoup ses clientes : « Certaines viennent de loin, car on n’a pas de concurrents. On a commencé par des activités hebdomadaires à l’année : gymnastique à cinq ans, éveil musical, anglais, théâtre, cirque, etc. Puis on a proposé des stages pendant les vacances : poney, découvrir Paris, les arts du spectacle… Et enfin des activités à la demande : on organise cent goûters d’anniversaires chaque année. Oui, cent ! »
Et pour honorer la demande grandissante, Camille Huyghues-Despointes a ouvert des ateliers pour les mamans et futurs mamans (yoga, sophrologie, massages, etc.), ainsi qu’une boutique : « Je me suis rendu compte que les clientes adoraient acheter des petits trucs en attendant leurs enfants. » Luminaires de créateurs, toiles d’artistes, accessoires et objets déco, jeux éducatifs, cadeaux de naissance… (...)

Viens Jouer à la Maison est devenu rentable dès la première année avec 150 000 euros de chiffre d’affaires, puis une croissance de 30 % chaque année suivante ! Pourquoi ça marche ? Parce que les clientes et clients se simplifient la vie !

- Quatre facteurs expliquent ce succès :
- tout sur place (« one stop shopping ») ;
- le gain de temps, tout est pensé pour optimiser l’accueil de l’enfant ;
- l’humanité de l’accueil, comme à la maison ;
- un vaste choix d’activités.

LES ENJEUX D’UN BUSINESS MODEL DE SERVICES

Pour comprendre comment ça marche, entrons dans le business model de Viens Jouer à la Maison :

. Modèle de revenus

Soixante-cinq pour cent des revenus sont tirés des ateliers, où le client choisit à la carte ses activités. Il a le choix entre un abonnement mensuel à un atelier et des activités à la demande (par exemple goûter d’anniversaire, séance de yoga, etc.). Le restant des revenus (35 %) provient de la boutique, avec l’activité de commerce classique.

. Les ressources

Les ressources nécessaires sont principalement un local et du personnel. Cela peut sembler simple de prime abord, mais c’est en réalité compliqué en raison de fortes contraintes. Le local doit répondre à des normes sanitaires et réglementaires strictes. Et il doit être situé en centre-ville. L’investissement représente environ une année de chiffre d’affaires, incluant bail et caution, travaux d’installation, achat d’équipement et stock. Le personnel pédagogique est géré comme dans un spectacle.
Viens Jouer à la Maison recourt à une multitude d’experts, engagés pour quelques heures chaque semaine. Ce réseau d’intervenants complexe doit être scrupuleusement organisé, car il s’avère très compliqué de trouver, recruter et organiser toutes ces équipes. Telle est la véritable barrière à l’entrée de ce business. On comprend alors aisément pourquoi il n’y a pas pléthore d’offres.

Ainsi, outre les professionnels de la petite enfance, qui assurent les ateliers de base, il faut trouver une psychomotricienne pour l’approche encadrée de la pratique sportive des tout-petits, des intervenants anglophones, ou encore un titulaire d’un BIAC (Brevet d’Initiation aux Arts du Cirque) pour l’atelier cirque.
Tous ces stages, ateliers, pièces de théâtre, etc., sont répertoriés dans une « bible », le catalogue d’activités, composé d’une dizaine de classeurs, et érigeant des normes très précises afin d’assurer la qualité du spectacle et de respecter la réglementation ainsi que les normes de sécurité.

Le catalogue d’activités est un actif clé de la société, conçu et piloté par Camille Huyghues-Despointes.(...)

Les points névralgiques du business model

Le développement de l’enseigne est un enjeu capital, puisque lui seul va permettre d’amortir les coûts et d’offrir un retour sur les actifs financés, le catalogue d’activités principalement, et la centrale d’achats. Quand Camille Huyghues-Despointes vous explique le marché, la demande en croissance forte et le peu de concurrence actuelle, il devient facile de visualiser la nécessité de développer rapidement sa société et de prendre des parts de marché.

Deux écueils se dressent sur la route du développement de Viens Jouer à la Maison.

- D’une part, recruter du personnel pour chaque implantation est long et coûteux. Le risque est important également. Quoi de plus compliqué que recruter ?

- D’autre part, le poids de l’immobilier. Le temps de recherche et de négociation d’un local en centre-ville est conséquent : six mois au minimum. Par ailleurs, le ticket d’entrée pour dénicher un local s’élève à 100 000 euros en moyenne. De plus, accueillir des enfants nécessite le respect de normes d’hygiène et sécurité strictes, ce qui complique un peu plus la recherche de locaux.

Camille Huyghues-Despointes a cherché à simplifier au maximum le concept de façon à alléger les actifs à financer. À titre d’exemple, la surface nécessaire est d’environ quatre-vingts mètres carrés, alors qu’une crèche compte en moyenne une surface de deux cents mètres carrés.

La concurrence donne-t-elle une indication des enjeux ?
Viens Jouer à la Maison ne connaît pas d’offre équivalente, du fait de la spécificité de son activité, au carrefour des besoins de sociabilisation, de loisirs et d’organisation des enfants et des parents. Néanmoins, la concurrence existe et se trouve actuellement plutôt dans les concepts de substitution comme les crèches privées ou publiques, et une multitude d’offres locales, généralement publiques, comme les ateliers de préscolarisation (haltes-garderies et jardins d’enfants, très souvent saturés), ou encore les associations (pour les activités d’éveil comme les ateliers arts du spectacle, très peu répandues). Enfin, les centres de loisirs proposent une offre de masse, nettement moins qualitative. Néanmoins, des offres nouvelles ont vu le jour ces dernières années et les initiatives se multiplient ( telles que Filapi, La Maison Bleue, Babilou, Les Petits Chaperons Rouges …)
(...)

La Franchise, accélérateur de développement

Face à une forte croissance et une offre qui commence à s’organiser, il n’y a pas de temps à perdre pour installer le concept sur son marché. Camille Huyghues-Despointes a un discours de bâtisseur. Son objectif ? Les villes de plus de vingt mille habitants. Comment s’y prendre pour saisir un tel potentiel ? Je reste admiratif quand je vois tomber sur le bureau de Camille Huyghues-Despointes des candidatures venant de La Réunion !

(...) La franchise est le mode de développement approprié pour Viens Jouer à la Maison, car rapide et léger en termes de coûts. Chaque franchisé prend sa part d’investissement, contrairement au développement d’un réseau en propre, de filiales ou succursales.

Autre spécificité de la franchise, essentielle pour une start-up : le développement se fait avec des entrepreneurs plutôt que par des employés salariés. L’état d’esprit du réseau est ainsi dynamique et consistant.
Dès lors que le franchisé a pris un ticket d’entrée, il est plus motivé pour que cela marche. Tout le monde œuvre à la réussite de l’enseigne.

L’accord de franchise doit comprendre au moins :- l’utilisation d’un nom ou d’une enseigne ;
- un mode de présentation uniformisé des locaux ;
- l’approvisionnement ou le référencement de produits et/ou de services ;
- a transmission d’un savoir-faire ;
- une assistance commerciale pendant la durée de l’accord.

En contrepartie, le franchisé Viens Jouer à la Maison paie un droit d’entrée (25 000 euros) et des redevances sur le chiffre d’affaires annuel (8 %).
La franchise permet de mutualiser les coûts, grâce à l’effet de volume sur les achats et d’une manière générale sur les moyens communs
, tandis que créer une marque coûte cher en termes de conception, dépôt et matériel de communication.

Imposer une marque au niveau national s’avère impossible sans un réseau puissant. Très vite, développer Viens Jouer à la Maison en franchise a été une évidence. L’effet d’accélération est une des caractéristiques de la franchise. Au bout d’un an, le réseau comptait six implantations (Montpellier, Nantes, et quatre en Île-de-France).

Cependant, sans maîtrise, la vitesse n’est qu’illusion et danger. Le temps de préparation est important et incontournable : Camille Huyghues-Despointes veut apporter du fond à ses franchisés.
Il faut normer les activités, concevoir des spectacles qui durent, rédiger les textes, fabriquer les décors, et aller jusqu’à la fiche de poste de chaque intervenant. Négliger cette préparation, c’est construire un château sur du sable, dans une société où le business design est complexe et lourd.

La jeune femme a donc consacré un an à préparer son réseau. Pour financer cette préparation (un an de salaires et le développement de tous les prototypes), elle a mené une première levée de fonds, auprès de son entourage proche, clients y compris, permettant de recevoir 240 000 euros en quelques semaines.

Une préparation minutieuse de la franchise

Première étape pour Viens Jouer à la Maison : trouver les conseils spécialisés. L’enjeu juridique est important. La franchise est encadrée par une législation précise (loi Doubin du 31 décembre 1989) qui impose de concevoir et rédiger toute la documentation (règles de vie, contrats) qui va régenter le réseau pendant sa vie. Puis il faut bâtir la tête de réseau, la « maison mère », c’est-à-dire l’entité qui pilote les franchisés. L’investissement est lourd, car il faut recruter des équipes pouvant « booster » l’innovation pédagogique.
Camille Huyghues-Despointes a donc participé pour la première fois en 2010 à Franchise Expo Paris, le salon de la franchise, une manifestation incontournable pour recruter, qui a lieu chaque année. Elle y a noué ses premiers contacts et est repartie avec une dizaine de candidatures. Sachant que le stand a coûté 6 000 euros, c’est un bon retour sur investissement ! (...)

Le concept de Viens Jouer à la Maison a déjà été testé pendant un ou deux ans, durant lesquels une boutique pilote a montré la viabilité de l’affaire. Par ailleurs, les franchisés reçoivent une formation solide. (...) La franchise est un mode de création d’entreprise particulièrement bien adapté à la reconversion. Or, le profil type ciblé par Viens Jouer à la Maison est la jeune mère de famille qui souhaite cesser une activité salariée pour goûter à la fois aux joies de l’indépendance et de la petite enfance. (...)

Comment contourner l’obstacle de l’immobilier ?

Nous sommes mi-2010. Tous les clignotants sont au vert. Il n’y a plus qu’à lâcher les chevaux et laisser l’essaimage se faire. Déjà huit boutiques étaient ouvertes fin 2011, et l’engouement permet de nourrir beaucoup plus d’ambitions. Néanmoins, malgré l’engouement général, comment « booster » le démarrage de l’enseigne ? Le déploiement du business design s’avère complexe, avec le problème de trouver des locaux en centre-ville.

Notre conclusion est sans équivoque : aborder frontalement la question des locaux coûterait beaucoup d’énergie. Développer un réseau en propre nécessiterait ainsi beaucoup de temps et d’argent. À titre de référence, un concurrent comme Filapi, qui gère trois crèches dans les Hauts-de-Seine, a recueilli 650 000 euros en trois levées de fonds de 2004 à 2008. La Maison Bleue, qui gère cinquante crèches, a levé 5 millions d’euros début 2011 pour financer son développement.

Dès notre première séance de coaching avec Camille Huyghues- Despointes, nous nous heurtons à une évidence : si la franchise fourmille de candidats, elle se heurte à un problème majeur, l’identification du local. Ainsi, une jeune femme a rapidement contacté Camille pour ouvrir une franchise dans le seizième arrondissement de Paris. Mais après trois mois de recherche acharnée, force est de constater qu’elle n’a pas trouvé de local disponible, sauf à multiplier par trois la somme qu’elle pouvait consacrer au loyer et au « pas-de-porte ».
À l’évidence, une telle structure de coûts remettrait en cause l’équilibre du modèle. Dans le Sud-Est, une candidate à la franchise a trouvé très vite le local idéal et obtenu les autorisations nécessaires. Toutefois, il lui reste à trouver… un banquier qui comprenne le business model et soit prêt à accorder un prêt pour payer le droit au bail et les travaux. Près de six mois de palabres débouchent au final sur un échec.

Trouver un emplacement s’avère très compliqué. Or, il est essentiel pour Viens Jouer à la Maison d’être en centre-ville, facilement accessible, proche des écoles, des transports et des parkings, dans un quartier commerçant. Si six à neuf mois sont nécessaires pour effectuer les recherches et les tractations avec les agents immobiliers et les banquiers (les plus acquis à la cause de l’entreprise n’étant pas ceux qu’on croit), la société ne va pas se développer aussi vite que prévu, loin s’en faut. À la réflexion, c’est peut-être tout simplement pour cette raison qu’il existe si peu de structures d’accueil privées dans les villes.

L’innovation consisterait à se passer de murs pour développer l’enseigne. Pourquoi pas ? Peut-on trouver hors de la société des ressources à son business model ? Dès lors qu’il ne s’agit pas d’une ressource vitale, toute fonction de l’entreprise peut valablement être confiée à des parties prenantes. Cependant, pour ne pas risquer de perdre le contrôle des opérations, il vous faut comprendre quelle est votre « ressource minimum vitale », votre coeur de métier.

CONSTRUIRE UNE MAISON SANS MURS : POURQUOI PAS ?

Le cœur de métier, ou « core business », doit être compris comme étant l’organe vital de votre entreprise, son cœur. Le définir permet de cibler son développement en se concentrant sur l’essence même de la société, sa « core » stratégie.

En effet, comme tout patron de start-up, Camille Huyghues-Despointes n’a ni le temps, ni l’argent, ni l’énergie pour s’éparpiller. Elle doit aller à l’essentiel, c’est-à-dire « mettre le paquet » sur ce qui fera la différence à l’arrivée, en termes de vente et donc de profit. (...)

Le concepteur du musée Guggenheim à New York (l’architecte Frank Lloyd Wright ) voit autre chose que ses pairs, qui envisagent le musée comme un lieu où entreposer des œuvres d’art. Il envisage plutôt un flux de déplacements le plus naturel et simple possible afin de faciliter la circulation des visiteurs autour des œuvres. Un parcours unique, pour que chaque visiteur n’ait que les œuvres d’art à observer. Il conçoit donc pour le futur musée une forme hélicoïdale, parfaitement dédiée au flux des visiteurs, unique et radicalement différenciée dans le paysage urbain de l’époque. Il propose une nouvelle façon de concevoir le musée.
La conception du musée Guggenheim de New York illustre la réflexion sur le cœur de métier de tout entrepreneur. Le « core business » doit être la racine de votre activité ; il représente la façon dont vous voyez votre métier. Vous et vous seul. C’est ce qui va vous différencier, définir et innerver votre projet d’entreprise, lui donner sa consistance. Le cœur de métier est ce sur quoi votre communication pourra se greffer, et à quoi l’équipe devra adhérer pour être en cohérence. Vis-à-vis de l’extérieur enfin, c’est ce grâce à quoi vos parties prenantes vous identifieront sans équivoque.

Le cœur de métier sera donc un point d’appui capital pour votre stratégie de développement. (...)

Pourquoi définir ce cœur de métier ?

En lançant votre société, vous avez naturellement l’idée du business. Dans les grandes masses, vous savez ce que vous voulez et savez faire. Cependant, cela ne suffit pas : allez au bout de la réflexion pour identifier ce qui va vous rendre unique dans votre façon de faire. Cette démarche permet de définir les priorités (le fameux cœur de métier), afin de concentrer votre action et vos investissements sur ce qui fait votre différence, votre avantage concurrentiel. (...)

Voici comment nous nous y sommes pris dans le cas de Viens Jouer à la Maison.

Les attentes des clients. C’est à ce stade que la réflexion sur le cœur de métier a pris tout son sens. En effet, elle a permis de répondre à une question : trouver un local en centre-ville est-il vraiment indispensable ?

Pour définir le cœur de métier de Viens Jouer à la Maison, mettons-nous à la place de l’une de ses clientes. Au fond, que vient-elle y chercher ? Des activités intelligentes pour son enfant dans un contexte sécurisé. Le cœur de métier de Viens Jouer à la Maison est de concevoir, puis d’animer des projets pédagogiques et ludiques pour les enfants. Il est matérialisé par un actif, le catalogue d’activités. Cet actif est la valeur centrale de la société, la partie la plus difficile à copier par un concurrent éventuel.

Prenons quelques exemples :
- L’atelier gymnastique des tout-petits comprend de nombreux jeux, comme les « comptines et jeux de doigts ». Il est destiné à développer notamment les muscles de la main afin de faciliter l’apprentissage à venir de l’écriture. Les jeux de balles, eux, favorisent la synchronisation œil-main, tandis que le parachute favorise la latéralisation, et le sens de l’orientation… Tout est normé, jusqu’à la durée des jeux (quarante-cinq minutes).

- L’atelier « marche à deux ans » est accompagné des parents. Au programme : parcours-escalade, petit tunnel, trampoline, relaxation, jeux de ballons, foulard, cerceau, bulle, etc. Le matériel est soigneusement répertorié, de façon à être mis à disposition des franchisés, ainsi que les objectifs de chaque programme ludique. (...)

Un coeur de métier repose sur une « core competence ». S’il n’y avait qu’un seul euro à investir demain, c’est sur cette compétence clé qu’il faudrait le dépenser afin de maintenir l’avance de la société sur la concurrence.

Enfin, le cœur de métier est porté par des personnes clés. Chez Viens Jouer à la Maison, la « core competence » est portée par la fondatrice. Camille Huyghues-Despointes, forte de ses études et de son expertise dans le théâtre et les médias, a la passion et le don nécessaires à la conception et au développement de spectacles.

Son équipe est constituée de professionnels de la petite enfance et d’arts du spectacle qui ont tous travaillé au lancement de Viens Jouer à la maison à Asnières et développé un savoir-faire, une pédagogie propre à l’enseigne : une psychomotricienne est responsable du pôle 0-3 ans ; une comédienne, professeur de théâtre, écrit les spectacles avec Camille Huyghues-Despointes.

Parallèlement à la qualité de la pédagogie, la sécurité des enfants est également un facteur déterminant. Viens Jouer à la Maison a ainsi obtenu les deux agréments suivants :
- PMI (Protection Maternelle et Infantile). Cet agrément permet à Viens Jouer à la Maison de proposer des activités aux enfants de zéro à trois ans sans présence d’un adulte accompagnant, ce qui l’aide à se démarquer de certaines offres concurrentes où la présence d’un accompagnant est obligatoire.(...)
- DDJS (Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports). Cet agrément permet de proposer des stages avec ou sans hébergement pendant les périodes de vacances scolaires, les mercredis et les week-ends.

Poser les limites et les fondations

Le cœur de métier aide donc à poser non seulement les bases de votre entreprise, mais aussi ses limites. En premier lieu, c’est grâce à ce travail que vous allez pouvoir communiquer efficacement, définir de façon précise et pertinente votre activité, et surtout traduire en quoi vous êtes unique.
Le « pitch » de votre société doit traduire votre cœur de métier. Celui de Viens Jouer à la Maison dit par exemple : « Des ateliers pédagogiques et ludiques en centre-ville pour les enfants de zéro à dix ans ». En second lieu, c’est sur ce point d’appui que vous allez pouvoir développer votre société.

Définir le plan stratégique

Forts de la compréhension du cœur de métier de Viens Jouer à la Maison, nous pouvons contourner le problème immobilier.
Si la valeur centrale de cette société est sa capacité à concevoir des ateliers pédagogiques et ludiques pour les enfants, a-t-elle nécessairement besoin d’occuper des murs en propre pour proposer cette valeur ? Ne peut-elle pas passer un accord de partenariat avec un théâtre par exemple, situé en centre-ville, dont l’activité a lieu en soirée et dont les murs restent inoccupés pendant la journée ? Ou avec tout commerce recevant du public mais ayant des mètres carrés à occuper ? Il en existe beaucoup… La stratégie de la société a été radicalement « impactée » par cette analyse.

La réflexion sur le cœur de métier s’est avérée incontournable pour Viens Jouer à la Maison. Compte tenu de l’ampleur des champs de développement possibles et de leur coût, il fallait se concentrer sur l’essentiel. Tous les concurrents de Viens Jouer à la Maison ont d’ailleurs cherché à contourner le même obstacle : soit en gérant des lieux appartenant à des collectivités, soit en s’adressant aux entreprises. (...)

« Retenez ce qui vous rend unique sur votre marché … »

Définir votre coeur de métier, c’est avant tout chercher à vous concentrer sur l’essentiel, à un stade du développement de votre start-up où chaque euro et chaque minute comptent. Concentration des efforts : c’est en cela que vous devrez investir pour conserver toujours une longueur d’avance.

Pour aborder un sujet aussi structurant, vous avez besoin de prendre énormément de recul et de faire fi des contraintes quotidiennes, du moins l’espace d’un instant. À coup de rabot, élaguez tout ce que vous pouvez ne pas faire. Ne retenez que ce qui vous rend unique sur votre marché. (...)

(1). Source : DREES, enquête sur les modes de garde des enfants de moins de trois ans en 2007.

Jean-Luc Roux

éditions Eyrolles* Jean-Luc Roux est financier, entrepreneur et coach d’entrepreneurs.
- « ça va marcher ! - 7 étapes pour une entreprise profitable » - 190 pages - Editions Eyrolles - En sept chapitres, l’auteur détaille ses conseils pratiques pour élaborer un business-modèle pertinent, à partir d’exemples d’entreprises et de start-up performantes.