« Faire de l’entreprise un lieu d’ambitions partagées * »
Par Jean Kaspar, consultant en stratégies sociales
L’entreprise n’est pas toujours comprise dans son rôle et ses
finalités. Aujourd’hui, elle semble malaimée
par la société et parfois
même par ses cadres et ses
salariés.
Elle donne souvent
l’impression que ses seules
préoccupations sont de l’ordre
de l’économique, du financier ou
de la technique parce que la
seule visibilité qu’elle donne de
son ambition relève de cet ordre
( conquérir de nouvelles parts de
marché, accroître la productivité,
réduire les coûts, produire de
nouveaux biens ou services …).
L’ambition sociale reste, dans la
majorité des cas, invisible voire
absente de ses choix stratégiques.
La dimension sociale reste
encore trop souvent la variable
d’ajustement et traitée comme
une conséquence de choix
économiques et financiers
considérés comme essentiels et
déterminants.
La performance de l’entreprise se traduit pour
l’essentiel par des ratios
économiques ou financiers.
La performance sociale, environnementale
voire sociétale a
du mal à se concrétiser parce
que nous n’avons pas encore
suffisamment formalisé des indicateurs
de performance sociale
et parce que nous restons
culturellement marqués par une
conception de l’économie
déconnectée des aspirations
humaines. Par ailleurs, l’engagement
pris par certaines
entreprises dans le domaine de
la RSE (responsabilité sociale et environnementale) et du développement durable est insuffisamment
relayé par le management
interne et ne donne pas lieu à
des évaluations régulières avec
les partenaires sociaux.
Le social apparaît encore trop
souvent comme un coût, très
rarement comme un investissement
pour la majorité des
managers. (...)
L’ENTREPRISE "REQUESTIONNEE" DANS
SES FINALITES, SES MODES
D’ORGANISATION ET SA
GOUVERNANCE
(...) L’importance des changements
technologiques entraîne de
véritables mutations dans
l’organisation et les conditions
de travail, les qualifications et
les emplois.
Nous constatons
souvent une contradiction très
forte entre la logique de ces
outils qui font de plus en plus
appel à l’initiative individuelle, au
travail en réseau et les modes
de management des entreprises
fondés sur l’encadrement qui
brident au contraire l’initiative et
limitent les espaces dʼautonomie.
L’élévation du niveau de
formation et d’information de la
population active qui a comme
conséquence de modifier les
rapports à la règle, à l’autorité et
à la fonction et de développer et
diversifier les aspirations individuelles.
Dans un tel contexte,
L’entreprise ne peut être vue
seulement comme un lieu de
production de biens ou de
services ou encore comme un
lieu de production de richesse.
Elle est aussi un lieu où se
construit une communauté de
destin, une intelligence collective,
une socialisation, une
culture, des rapports sociaux.
Elle est aussi un lieu qui
participe à l’intérêt général en lui
donnant de la visibilité par
l’emploi qu’elle permet, la
richesse qu’elle produit, la prise
en compte de ses responsabilités
sociales, sociétales et
environnementales.
Elle est donc fondamentalement
un lieu où coexiste des logiques
multiples : économiques, financières,
juridiques, organisationnelles,
sociales, individuelles,
collectives, sociétales… Sa
gestion suppose la recherche
d’un point d’équilibre entre ces
multiples logiques. (...)
Il faut donc réfléchir aux modalités
de gouvernance qui
permettront l’expression de ces
logiques, la mise en œuvre de
stratégies de coopérations entre
des acteurs multiples (internes
et externes), acceptant de
transcender leur logique pour
construire des ambitions communes.
LA QUESTION DU TRAVAIL ET DE SON
SENS
(...) Il nous faut réfléchir aux apports
spécifiques de l’entreprise pour
faire en sorte que le travail
apparaisse de plus en plus et
pour le plus grand nombre
comme une activité vécue
positivement. Une activité qui
donne à chacun, quelle que soit
sa fonction, ses compétences,
ses origines, des espaces
d’initiative et de responsabilité et
apporte à chacun le sentiment
d’utilité car maillon indispensable
à la concrétisation d’une
ambition (d’une oeuvre)
collective.
Les questions de la formation,
des conditions e t de
l’organisation du travail, de la
communication, des modes de
management, de la nature de la
régulation et du dialogue social,
l’exigence d’exemplarité des
dirigeants et les principes
éthiques qui fondent la gouvernance
de l’entreprise et la
question des rémunérations des
dirigeants sont centrales pour
que le travail n’apparaisse pas
seulement comme une valeur
marchande mais comme une
activité positive pour chaque
salarié et pour la société toute
entière. (...)
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SES SALARIES
C’est une question centrale.
Nous héritons d’un contrat social
fondé essentiellement sur un
lien de subordination. Le salarié
mettait au service de l’entreprise
son savoir faire et en
contrepartie était rémunéré,
pouvait développer ses compétences
et s’inscrire éventuellement
dans une perspective
de déroulement de carrière.
Bien entendu, ce lien de
dépendance s’est progressivement
assoupli à la fois sous
l’impulsion de l’action des
organisations syndicales, des
changements dans les modes
de management et par
lʼinstauration de procédures de
consultation, de concertation et
de négociation.
Aujourd’hui ce contrat n’est plus
pertinent. En effet, l’évolution
économique, l’émergence de
nouveaux pôles de production à
travers le monde mais aussi
l’évolution des techniques et des
technologies, entraînent des
changements permanents qui
nécessitent de nouvelles formes
de sécurité dans la mesure où la
certitude d’une garantie à vie de
l’emploi dans la même
entreprise ou celle de bénéficier
d’un emploi stable dès la sortie
du système de formation, s’est
éloignée pour de nombreux
salariés et de nombreux jeunes.
La question de la formation tout
au long de la vie, la « transférabilité »
de certaines garanties
d’une entreprise à l’autre,
l’adaptation aux changements,
le développement de l’employabilité
ou encore la
sécurisation des parcours
professionnels, autant de
thèmes qui doivent refonder le
contrat de travail.
La question du contenu du
travail, de son organisation pour
le rendre plus attrayant doit
aussi être traitée pour que
chacun ait une chance de
rebondir et ne pas être toute sa
vie condamner à un travail
monotone ou répétitif.
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SON MANAGEMENT
Manager dans un contexte de
mutation socioculturelle n’est
pas facile et représente, quel
que soit le niveau où l’on se
situe, une tâche multidimensionnelle.
Il faut, en effet,
atteindre des objectifs, donner
du sens, motiver, rechercher
l’implication individuelle et
collective, animer, expliquer,
gérer, etc.
Le rôle d’un manager n’est plus
simplement d’encadrer mais de
libérer les intelligences et les
potentialités individuelles et
collectives. Il doit de plus en
plus être un créateur de
circonstances pour faire grandir
ceux dont il a la responsabilité et
faire progresser l’intelligence
collective.
Manager ce n’est plus
simplement être porteur d’une
expertise technique, se préoccuper
des seuls objectifs
opérationnels, encadrer des
équipes. C’est aussi être à
l’écoute, savoir échanger, être
un pédagogue, répondre aux
attentes diversifiés de ses
équipes et expliquer en
acceptant que l’on puisse avoir
un point de vue différent.
Il n’est pas certain que les
formations destinées à
l’encadrement intègrent suffisamment
ces aspects.
Il n’est
pas certain non plus que les
stratégies de régulation sociale
des entreprises fassent de
l’encadrement à tous les
niveaux un acteur de cette
régulation.
(...)
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE, SES IRP ET SES
ORGANISATIONS SYNDICALES
Reconnaissons que, malgré des
progrès indiscutables, les relations
sociales dans les
entreprises restent encore trop
souvent fondées sur ce qu’il
convient d’appeler le SMJ (le
service minimum juridique), la
défiance voire la confrontation.
Si cela peut s’expliquer au
regard de l’histoire, cette conception
n’est plus à la hauteur
des enjeux. Il est indispensable
de voir comment construire des
relations d e partenariat
permettant la mise en œuvre de
stratégie de coopération. Une
telle perspective implique des
remises en causes chez chacun
des acteurs ( ... )
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SES ACTIONNAIRES
L’actionnaire doit comprendre
que s’il est un acteur important
pour le développement de
l’entreprise, il n’en reste pas
moins un acteur parmi d’autres.
Les critères de gestion
permettant de mesurer l’efficacité
de l’entreprise ne
sauraient donc répondre à ses
seules exigences.
L’idée d’imposer a priori un taux
de rentabilité du capital investi
pour en faire un critère absolu
est absurde e t conduit
forcément à placer au second
plan d’autres critères (performance
sociale, environnementale…).
(...)
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SES FOURNISSEURS
(...)Faire une pression permanente
sur les prix ou faire supporter
aux fournisseurs l’essentiel des
difficultés en cas de
retournement conjoncturel ne va
pas dans le sens d’un
développement durable, de la
responsabilité sociale très
souvent affichée par certaines
entreprises ni de la qualité des
prestations.
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SES CLIENTS
(...) La question des prix ne doit pas
constituer le seul critère pour
conquérir de nouveaux clients ;
la qualité du produit, sa capacité
à respecter des impératifs
écologiques, le fait qu’il s’inscrit
dans une perspective de
développement solidaire sont
autant de questions à prendre
en compte dans le rapport au
client.
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET SON TERRITOIRE
La question des rapports de
L’entreprise à son territoire (local,
régional et dans certains cas
national) est de plus en plus
importante pour montrer que
l’entreprise prend en compte
l’impact qu’elle a sur lui.
L’entreprise ne peut plus en
effet se considérer comme un
îlot déconnecté de son
environnement territorial. Les
changements qu’elle opère en
son sein, les reconfigurations
qu’elle envisage impactent
l’emploi local mais aussi la
cohésion sociale au niveau d’un
territoire. (...)
UN NOUVEAU CONTRAT ENTRE
L’ENTREPRISE ET LES POUVOIRS
PUBLICS
Ce nouveau contrat doit se
construire sur la base d’une
conception renouvelée entre la
place de la loi et du contrat dans
le domaine social. (...)
La loi ne peut traduire la
différence de situation entre les
entreprises ou les différentes
aspirations du corps social. Il est
évident que, sur certaines
questions, la norme par la loi
s’impose, mais sur de multiples
aspects c’est loin d’être
nécessaire et pertinent.
Avant de légiférer, comme c’est
le cas pour le gouvernement, les
parlementaires devraient être
contraints à consulter les partenaires
sociaux (représentants
patronaux et syndicaux) et
cesser de vouloir légiférer sur
tout.
UN NOUVEAU CONTRAT ENFIN, ENTRE
L’ENTREPRISE ET LA SOCIETE
S’il est évident que l’entreprise
n’a pas réponse à tout et si sa
vocation est de produire un bien
ou un service pour permettre à
la société de se développer et
aux hommes et aux femmes
d’améliorer leurs conditions
d’existence, elle ne peut pas ne
pas s’interroger sur sa contribution
à un développement
durable, à ses responsabilités
sociales et environnementales
pour promouvoir un progrès à la
fois économique et social.
La question de la RSE, les
exigences environnementales et
celle du développement durable
sont autant de pistes qui
permettent de renouveler le
contrat entre l’entreprise et la
société à la condition qu’elles
fassent l’objet d’une stratégie de
partenariat entre les acteurs
internes et externes de l’ entreprise.
Jean Kaspar
Consultant en Stratégies Sociales
* Extraits de « Décrypter le social » - Newsletter n°32 – Juillet 2009
Lire aussi sur Consulendo.com une interview de Jean Kaspar réalisée en 2008 - Crédit photos Christian Apothéloz
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