La chronique de Jacques Gautrand - Mai/juin 2017

L’Europe,
notre histoire, notre avenir
  

L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République pourrait donner une impulsion nouvelle à l’Union européenne qui est parvenue à une phase critique de son histoire : Brexit britannique, limites de l’élargissement, crise grecque, débat sur l’euro, compétition fiscale et sociale entre pays-membres, montée des partis populistes anti-"européistes"... Les défis et les enjeux sont nombreux pour les 500 millions d’Européens qui s’interrogent sur leur destin dans un monde qui inquiète et déroute. Au parlement européen L’anniversaire des soixante ans du Traité de Rome (signé le 25 mars 1957 et jetant les bases de la Communauté Européenne – aujourd’hui l’Union européenne) est passé quasi inaperçu en France, pourtant pays-fondateur…

L’Europe n’aura pas été non plus au cœur du débat présidentiel, sauf à servir de repoussoir ou de bouc-émissaire jeté en pâture aux opinions publiques...
Sur fond de Brexit, les candidats ouvertement hostiles à l’organisation actuelle de l’Union européenne ont recueilli plus de 45% des suffrages au premier tour de la présidentielle !



La construction européenne, une dynamique qui reste à conforter

Les institutions européennes dont les pays-membres eux-mêmes se sont librement dotés, ont régulièrement servi d’épouvantail commode à de nombreux politiques pour détourner l’attention des peuples de leur propre incurie.

Beaucoup de maux dont souffre notre pays ne sont pas imputables à l’Europe : les défaillances de notre système éducatif, l’inefficacité et la gabegie de la formation continue, la médiocrité du dialogue social, l’absentéisme record dans la fonction publique, une fiscalité injuste et incohérente … la liste n’est pas close de tous les domaines à réformer qui dépendent d’abord de nous et de nos gouvernants et non de l’Union Européenne.

Certes on ne peut pas comparer le fonctionnement de l’Europe à 6 Etats-membres (en 1957) et celui l’Union européenne à 28 pays - bientôt 27, avec la sortie de la Grande-Bretagne faisant l’objet d’âpres négociations...

Au fil des ans, la construction européenne, malgré une période de paix sans précédent dans notre histoire, malgré des réalisations remarquables (aéronautique, spatial, recherche, etc.) s’est muée en une machine bureaucratie procédurière et normative qui a éloigné des peuples le rêve humaniste et visionnaire des pères fondateurs. Au point que certains proposent de réorganiser complètement le fonctionnement de l’Union en créant plusieurs cercles ou niveaux "d’intégration" autour d’un noyau dur qui serait composé des pays-fondateurs historiques... Ce que certains ont baptisé une « Europe à plusieurs vitesses »...

Déjà en 1957, à la naissance du « Marché commun », le journaliste Jean Boissonnat pointait dans La Croix les ferments de divorce entre les institutions et les citoyens européens : « Qu’est-ce qu’un Marché commun pour M. Dupont, sinon un univers de réglementations complexes qui, lui dit-on, va tout changer… dans dix ou quinze ans ? L’épreuve de la démocratie moderne consiste à faire participer le peuple à des décisions sur des sujets d’une technicité croissante, et pourtant d’une importance décisive. Le patronat, lui, est fidèle à lui-même : "D’accord pour le Marché commun si le traité comporte des garanties et si l’État réduit les charges fiscales et sociales"… »

Rencontre Emmanuel Macron - Angela Merkel à Berlin le 15 mai 2017
- Première visite officielle du président Emmanuel Macron, le lendemain de son investiture, à la chancelière allemande Angela Merkel, à Berlin, le lundi 15 mai 2017.

L’Europe, puissance d’avenir

Pourtant nous n’avons pas d’avenir collectif en dehors d’une Europe unie, forte de ses racines millénaires, de ses valeurs de civilisation à portée universelle - démocratie, citoyenneté, solidarité, justice, humanisme et respect de l’autre. Aucun pays, même la France, ne peut espérer "peser" tout seul dans un monde incertain et instable face aux grands blocs que sont les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le monde Arabe… Alors qu’une Europe rassemblée, elle le peut.

Au plan économique, l’Union européenne, représente arithmétiquement la première puissance du globe. Mais il s’agit, pour le moment, d’une vision essentiellement statistique : il subsiste encore des disparités entre Etats-membres, en matière de fiscalité, de droit social, de pratiques commerciales… Cependant celles-ci, très très doucement, se corrigent.
Et l’impératif d’une meilleure convergence progresse dans les esprits.

Attention, ne croyons pas, par arrogance ou idéalisme, que nous imposerons notre « modèle » aux 26 autres pays-membres ! Nous devons accepter des compromis, telle est la loi de la vie en communauté, et nous inspirer aussi de ce qui marche chez les autres…

Avec ses 510 millions d’habitants, l’Union européenne constitue le premier marché « intégré » de la planète, soit un potentiel extraordinaire pour nos entreprises, nos créateurs, nos inventeurs ... C’est une chance immense pour nous et nos enfants dont nous ne prenons certainement pas toute la mesure...

Aujourd’hui, la France réalise 60% de ses exportations vers les autres pays de l’Union européenne et si l’on étend le périmètre à toute l’Europe, la proportion monte à 78% ! Autant dire que nous sommes fortement tributaires de cet espace économique. Qu’il constitue notre débouché naturel…

Certes les PME/TPE françaises profitent encore insuffisamment de ce vaste espace commun, leur marché demeure principalement hexagonal. Elles auraient pourtant intérêt à initier des coopérations transfrontalières avec les 25 millions de PME européennes qui génèrent 67% de l’emploi privé au sein de l’Union.

Il existe, au niveau européen, de nombreux dispositifs d’incitation et de financement que nos PME TPE ne connaissent pas bien ou pas du tout, comme nous l’a appris un voyage d’étude de l’AJPME à Bruxelles, tels le programme « COSME » ou l’ « EaSI », dispositif de soutien aux micro-entrepreneurs et aux PME de l’économie sociale et solidaires... (1) Ou encore, et ce n’est pas très connu, un programme Erasmus pour les créateurs d’entreprise...

Pour les jeunes générations, l’Europe représente leur territoire naturel : habitués à voyager, à faire des études à "l’étranger" (merci Erasmus !), se jouant des frontières, convolant en justes noces avec leurs voisins/voisines…

N’oublions pas non plus les dizaines de milliers de travailleurs transfrontaliers qui, résidant en France, vont chaque jour travailler « de l’autre côté », sans aucune tracasserie douanière.

La liberté de circulation et d’établissement au sein de l’Union permet à tous les Européens de rebondir professionnellement, s’ils le souhaitent, en dehors de leur pays de naissance, ou plus simplement, de rejoindre leur conjoint dans le cas où il obtient un job dans un autre pays. Ce qui n’était pas si simple, il ya seulement une trentaine d’années…

La Rive Sud, un chantier capital pour les Européens

Une des vocations de l’Europe est de s’ouvrir au Sud.

Depuis les temps les plus reculés, nos ancêtres ont échangé, négocié, ferraillé, commercé avec les peuples du Bassin Méditerranéen. Tels les Phéniciens (et Carthaginois) qui nous ont apporté la céramique et l’alphabet. Ou les Grecs qui fondèrent Marseille, il y a vingt-cinq siècles …

Avec les peuples du grand Sud, nous partageons des pans entier d’une histoire féconde et tumultueuse. Les complémentarités entre nos deux continents sont évidentes. Nous avons plus que jamais besoin les uns des autres !

Depuis la période des indépendances, il y a plus de cinquante ans, des millions de personnes originaires de la Rive Sud sont venues s’installer chez nous, y ont fait leur vie, fondé une famille, élevé enfants et petits-enfants, tout en gardant des liens avec l’autre côté de la Méditerranée.

Nous devons nous appuyer sur ces personnes qui ont des racines au Maghreb ou en Afrique pour lancer un vaste Plan de coopération Eurafricain afin d’impulser la création de richesses et d’emplois au Sud. Les besoins sont immenses. La population de l’Afrique, 1,2 milliard d’habitants aujourd’hui, doublera en une génération, dans vingt-cinq ans...

L’Europe, on l’a vu, ne peut plus absorber des vagues migratoires successives, massives, anarchiques. La plupart de ces migrants et « boat-people » sont en quête d’une vie meilleure, fuyant le chômage ou la déliquescence de leur Etat d’origine… souvent au prix de leur existence.

Le formidable défi de développement durable au Sud de la Méditerranée devrait être un des chantiers prioritaires de l’Union européenne, une grande cause de mobilisation des Européens et notamment des jeunes générations avides de donner un sens à leur vie, en mal d’engagement et de partage !

Il en va de notre avenir commun, de ce que l’on nomme maintenant le « vivre-ensemble ». Pour nos entreprises ce chantier Nord-Sud représente d’immenses potentialités économiques et commerciales, et de grandes perspectives d’échanges culturels, technologiques, humains, mutuellement bénéfiques.

Nos dirigeants doivent ce saisir de cette question à bras le corps, avec l’énergie d’un Jean-Louis Borloo qui s’est passionné pour l’électrification de l’Afrique !

L’Euro : monnaie commune ou monnaie unique ?

Il nous reste à aborder dans cette chronique le sujet controversé de l’Euro. Depuis sa mise en place sous forme fiduciaire (circulation des pièces et billets) le 1er janvier 2002, la monnaie unique a suscité beaucoup de débats et de fantasmes. Sa gestion est loin d’être idéale, car si la zone euro a une banque centrale « fédérale », la BCE à Francfort, chaque pays-membre a gardé son ministre des finances, et mène sa politique budgétaire et fiscale.

Cela a fonctionné tant bien que mal jusqu’à présent. L’euro a atteint l’un de ses objectifs initiaux : la stabilité de la valeur de la monnaie et la quasi absence d’inflation. En revanche, il a échoué sur un autre aspect capital : il n’a pas généré une croissance forte et soutenue dans les dix-neuf pays membres de cette zone monétaire. Il reste donc des efforts d’ajustement à faire dans ce sens. D’autant que la politique très "généreuse" de la banque centrale européenne à l’égard des banques commerciales, destinée à encourager le financement de l’économie productive, tarde à produire ses fruits : on se retrouve avec d’énormes liquidités qui ne « s’emploient » pas au bon endroit et nourrissent en fait la bulle spéculative…

Cependant, portons au crédit de l’euro qu’il a réussi au cours de ces dernières années à surmonter plusieurs crises graves, celle de la défaillance de la Grèce, ainsi que la crise de confiance interbancaire au sein de l’Union.

L’euro demeure une monnaie solide et de référence au plan international : elle est la deuxième monnaie au monde pour le montant de ses transactions (derrière le dollar dans lesquels continuent de s’apprécier les cours des principales matières premières).

L’euro facilite grandement les échanges interentreprises au sein de l’Union (et en dehors) où celles-ci réalisent les deux-tiers de leurs transactions commerciales. Pour les particuliers, notamment ceux qui ont connu les contrôles de change aux frontières dans les années 1980, l’euro simplifie la vie quotidienne des touristes et stimule les voyages.

Néanmoins la "gouvernance" de la monnaie unique doit être améliorée. Les propositions en vue d’une « meilleure convergence des politiques économiques des pays-membres » ne manquent pas. Faut-il, par exemple, désigner un ministre commun des finances de la zone euro ? Parviendra-t-on à mettre tout le monde d’accord ? Le chantier est ouvert...

Marine Le Pen, à la suite de son alliance électorale avec Nicolas Dupont-Aignan avait remis sur le tapis l’éventualité d’un retour à un franc « intérieur » cohabitant avec un euro qui serait réservé aux échanges extérieurs... Une option totalement irréaliste.

Il est bon de se souvenir que, lors de la création de l’euro, deux camps s’opposaient. Un, minoritaire, qui plaidait pour l’instauration d’un système bi-monétaire : à l’intérieur des pays-membres, circuleraient des "euro-francs", "euros-marcs", "euro-lires", etc. tandis qu’une monnaie « commune », l’euro, serait réservée aux banques centrales et aux échanges communautaires et internationaux. Toutefois, un système complexe de parités lieraient entre elles les monnaies nationales pour éviter des phénomènes de dumping, par une trop grande fluctuation. Cette option, soutenue par exemple par des personnalités comme Jean-Pierre Chevènement, n’a pas eu gain de cause et le camp, majoritaire, des partisans de la « monnaie unique » s’est finalement imposé, au motif que la coexistence de deux instruments monétaires aurait eu plus d’inconvénients que d’avantages… On ne réécrit pas l’histoire.

Ce qui est certain c’est que la première hypothèse, celle des deux monnaies ayant cours en parallèle, a peu de chance de se concrétiser dans un proche avenir. En effet, il faudrait que les 19 membres de la zone (2) soient aujourd’hui d’accord pour un retour à leurs monnaies d’origine. Or beaucoup de ces pays sont attachés aux avantages qu’ils tirent de cette devise internationale par rapport à leur ancienne monnaie nationale. La France plaiderait dans le vide pour une telle option et se retrouverait bien isolée avec son euro-franc ou son « nouveau franc », lequel serait inévitablement dévalué par rapport à l’euro… beaucoup de nos compatriotes seraient tentés de thésauriser des « vrais » euros afin de pouvoir se « délester » de leurs francs, et tous les investisseurs et créanciers étrangers de la France refuseraient d’être payés en franc…

En matière monétaire, comme pour les nouvelles technologies, ce sont les usages dominants qui finissent par s’imposer.

Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com

(1) Bpifrance (mais aussi des banques commerciales comme Banque Populaire) reçoit des moyens financiers de l’Union Européenne (Commission européenne, groupe Banque européenne d’investissement, FEI) afin d’accompagner le financement des entreprises.

(2) Ainsi que les quatre micro-États (Andorre, Monaco, Saint-Marin, le Vatican) qui utilisent l’euro.

- Le 9 mai, les États-membres de l’Union européenne célèbrent la « Journée de l’Europe ». Cette célébration commémore la "Déclaration Schuman" du 9 mai 1950, du nom de Robert Schuman alors ministre des Affaires étrangères, considérée comme le texte fondateur de la communauté européenne.
Prononcée dans le Salon de l’Horloge du Quai d’Orsay, à Paris, cette déclaration, inspirée par Jean Monnet, premier commissaire au Plan, propose la création d’une organisation européenne chargée de mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier... Les bases de la construction européenne sont ainsi jetées, sept ans avant la signature du Traité de Rome.

- De nombreuses festivités sont organisées notamment à Paris à l’occasion de la Fête de l’Europe, jusqu’au 31 mai.