La chronique de Jacques Gautrand - Novembre 2016

IDÉES POUR 2017 (III)
Rêvons d’une France aux 20 millions d’actionnaires...
  

Faisons d’abord un rapide état des lieux.

- 1. Les Français sont les champions d’Europe de l’épargne.
- 2. Les entreprises françaises, en particulier les PME, manquent cruellement de fonds propres.
- 3. L’investissement productif et immatériel est notoirement insuffisant, notamment dans les secteurs d’avenir. Notre pays accumule depuis des années un retard par rapport à ses principaux concurrents.
- 4. L’épargne administrée – dont les contrats d’assurance-vie (70% du PIB !) – est essentiellement placée en obligations publiques, c’est-à-dire qu’elle finance la dette de l’Etat plutôt que les besoins de entreprises...
- 5. Le nombre de détenteurs individuels d’actions d’entreprises a fondu comme beurre en poêle : passant de 7,4 millions en 2000 à 3,3 millions aujourd’hui ! Certes la crise financière de 2008 est passée par là ; les introductions en Bourse se sont ralenties… Mais cela n’explique pas cette désaffection des « petits porteurs » (Ah, l’horrible vocabulaire !)

En effet, la diabolisation du « capital » par nos élites intellectuelles et dirigeantes, les changements constants de la fiscalité, la stigmatisation des « possédants » par une bonne partie de la gauche française et des syndicats, l’aversion culturelle de notre société au risque … autant de facteurs qui ont dissuadé le développement d’un actionnariat populaire.

Or des millions d’actionnaires individuels investissant dans les entreprises françaises - cotés ou non cotés en Bourse - cela ne donnerait-il pas un sacré coup de fouet à la croissance ?

Au lieu de quoi, l’économie française est à la traîne depuis des années, elle accumule un retard d’investissement structurel, et créée beaucoup moins d’emplois que la plupart des autres pays industrialisés. On préfère toujours chez nous montrer du doigt le méchant capitaliste...

Contradictions.

Ceux qui vilipendent le capital sont souvent aussi ceux qui se lamentent de voir nos belles entreprises moyennes - ces fameuses ETI (entreprises de taille intermédiaire) - passer sous le contrôle d’investisseurs étrangers ! Sans oublier que les plus beaux fleurons de nos sociétés, le fameux CAC 40 (le peloton de tête de la Bourse de Paris), sont aux mains d’actionnaires non-résidents pour plus de 40% en moyenne de leur capital… et les dividendes distribués viennent conforter la retraite des travailleurs anglais, irlandais ou américains !

Reconnaissons-le : la France ne manque pas de capitaux mais de capitalistes !

Les gouvernements de gauche auraient dû pourtant être les premiers à encourager et soutenir un large actionnariat « populaire ». Au lieu de quoi, les autorités ont augmenté le forfait social sur la participation au capital des entreprises et veulent désormais aggraver la fiscalité sur la distribution d’actions gratuites aux salariés…

Notre hystérie taxatrice confond la plus-value (lors de la revente) et le revenu tiré de l’action qui est le dividende… (on se souvient de l’action des "Pigeons") ...



Encourager l’actionnariat individuel doit devenir une priorité de la politique économique

Soulignant combien le « recul de l’actionnariat populaire pénalise la croissance » de notre pays (moins de 1,5% attendus cette année), notre confrère du Figaro, Roland Laskine, analyse qu’au cours des vingt-cinq dernières années les prélèvements sociaux sur les salaires ont été multipliés par sept tandis que sur les dividendes ils ont été multipliés par treize…

« Cri d’alarme » de l’ANSA

L’ Association nationale des sociétés par actions (ANSA) pousse « un cri d’alarme : La France dissuade l’investissement en actions, limite le financement des entreprises et compromet, à terme, le maintien des centres de décision et de l’emploi en France. »

Face à ce constat critique, l’association publie un Livre Blanc et formule 12 propositions destinées à «  faire sauter les verrous qui entravent aujourd’hui l’investissement en actions, afin de relancer cette source essentielle de financement et la croissance de notre économie. »

Parmi les propositions que formule l’ANSA, citons :

- Modifier le régime d’imposition des dividendes pour encourager les investissements en action, en créant un prélèvement forfaitaire de 25 %, libératoire de l’impôt et des prélèvements sociaux. « Cette réforme rendrait le régime français comparable à celui en vigueur dans les autres pays européens » ;
- Remplacer la taxation des plus-values mobilières par un prélèvement forfaitaire dégressif de 25% à 0%, en fonction de la durée de détention des actions, afin d’encourager la détention longue des titres ;
- Relancer l’actionnariat salarié en réduisant les charges payées par les entreprises sur cet actionnariat, en unifiant à 8% le taux du forfait social et celui de la contribution sociale à la charge des entreprises sur les actions gratuites et l’épargne salariale ;
-  Créer un « PEA jeunes » à partir de 16 ans ;
- Favoriser la transmission générationnelle d’actions en exonérant de droits de donation ou de succession les titres transmis en contrepartie d’un engagement de les conserver dans un plan pendant 10 ans ;
- Créer un "compte investisseur" afin d’inciter les particuliers à investir et à rester investis dans le capital de PME et d’ETI ;
- Favoriser la liquidité des placements en actions non cotées via « des plates-formes multipolaires de négociation recourant à la technologie blockchain » ;
- Favoriser l’investissement en actions au travers de dispositifs de retraites simplifiés et harmonisés ;
- Modifier les règles de la directive européenne Solvabilité II qui pénalisent l’investissement en actions des entreprises d’assurance. (...)

Rêvons d’une France aux 20 millions d’actionnaires !

Encourager l’actionnariat populaire n’est malheureusement pas aujourd’hui en haut de la liste des priorités des programmes des candidats à la présidentielle de 2017. Alors que cela fournirait un solide levier de croissance économique pour notre pays qui en a tant besoin pour créer des emplois et donner de l’espoir aux jeunes générations.

Au-delà de l’indispensable réforme du cadre fiscal – lequel dépend, en effet, des politiques – promouvoir l’actionnariat individuel exige un opiniâtre travail de pédagogie de la part de l’ensemble des acteurs économiques, des médias spécialisés, des entrepreneurs et de leurs organisations, des banques, des enseignants en économie…

Cela devrait faire aussi partie des priorités des dirigeants de PME : inciter leurs salariés à investir dans leur entreprise, n’est-ce pas le meilleur moyen de contribuer à sa pérennité ? Les exemples éclatants d’Essilor et de Paprec devraient être largement imités par les patrons les plus éclairés.

Le succès du crowdfunding (financement participatif) démontre que les Français, notamment les plus jeunes (1), sont disposés à apporter leur épargne aux entreprises...

Un puissant levier de transformation sociale et de démocratie économique.

L’actionnariat salarié pourrait aussi se révéler un ferment de transformation sociale et managériale dans notre pays. Comme facteur de motivation et d’engagement, de plus grande équité (partager les résultats de l’entreprise avec tous ceux qui en sont les artisans), de démocratie économique et de meilleure gouvernance. Mais c’est sans doute cela aussi qui inquiète certains agrippés à leurs pouvoirs et à leurs prérogatives...

20 millions de personnes travaillent aujourd’hui dans le secteur privé. Est-il utopique de rêver d’une France aux 20 millions d’actionnaires ?

Voici en tout cas un défi que la campagne pour les élections de 2017 ne devrait pas mettre sous le tapis.

Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com

- (1) 77% des Français âgés de 18 à 35 ans pourraient envisager d’investir en entreprise, selon un sondage réalisé pour le Salon ACTIONARIA (18-19 novembre 2016).
Si près de 80% de ces jeunes épargnent une partie de leurs revenus, peu d’entre eux se tournent actuellement vers l’investissement en entreprise (8% contre 14% pour l’ensemble des Français), « du fait principalement d’un manque de connaissance des modalités d’investissement et d’un manque d’attractivité de l’offre existante », soulignent les auteurs de l’étude.

L’instabilité fiscale est aussi perçue comme un frein de poids aux yeux des investisseurs potentiels...

Toutefois 77% des moins de 35 ans pourraient envisager d’investir en entreprise « sous réserve que cet investissement réponde à leurs attentes. » Ces investisseurs en puissance sont surtout « motivés à l’idée d’investir dans une entreprise qu’ils pourraient créer (42%), dans une entreprise que l’un de leurs proches pourrait créer (37%), dans leur propre entreprise (35%). Ces formes d’investissement étant perçues comme utiles à l’économie (35%), citoyennes (25%) et d’un point de vue personnel plus gratifiantes (22%) et en adéquation avec leurs valeurs (18%). »
Si l’achat d’actions en Bourse reste le véhicule d’investissement le plus connu par les jeunes Français (à 70%), ceux-ci citent en second le financement participatif - le "crowdfunding" - (à 54%).

(Enquête a réalisée en septembre 2016 par l’institut OpinionWay auprès d’un échantillon de 1 042 personnes représentatives des Français de 18 ans et +, dont 283 Français de 18-35 ans)