FRANCHISE

Loi Travail :
Le Conseil constitutionnel entérine la création d’une « instance de dialogue social » au sein des réseaux de franchise, avec des réserves mineures
  

Paris, le 5 août 2016. Saisi par un groupe de parlementaires sur un article de la loi Travail concernant la création d’une « instance de dialogue social » au sein des réseaux de franchise totalisant plus de 300 salariés, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article de loi controversé (article 64, initialement 29 bis A), sous réserve que le financement de cette instance n’incombe pas aux seuls franchiseurs.

Le Conseil constitutionnel demande aussi que les dirigeants des entreprises franchisées soient associés à l’accord permettant l’installation d’une telle "instance de dialogue social" au sein d’un réseau. Il a par ailleurs estimé que cet article de la loi ne créait pas d’inégalité entre les franchises et les autres formes d’entreprises en réseau ( coopérative, concession, commission-affiliation, licence de marque...), comme le faisaient valoir ses opposants, au motif que « le législateur a traité différemment des situations différentes »...

Nous publions, ci-dessous, le texte intégral de la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 août 2016, concernant l’article 64 de la loi Travail :



Conseil constitutionnel
Décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016
A propos de l’article 64 de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

26. L’article 64 prévoit, dans le premier alinéa de son paragraphe I, sous certaines conditions, la mise en place, dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise, d’une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau. Cette instance comprend des représentants des salariés et des employeurs franchisés. Elle est présidée par le « franchiseur ».

Le deuxième alinéa de ce même paragraphe renvoie à l’accord mettant en place cette instance sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour y participer et leurs modalités d’utilisation. Ses troisième à cinquième alinéas précisent qu’à défaut d’accord le nombre de réunions de l’instance est fixé à deux par an et qu’un décret en Conseil d’État détermine les autres caractéristiques de son fonctionnement. Son sixième alinéa détermine les modalités de prise en charge des coûts de fonctionnement. Ses huitième à dixième alinéas lui permettent d’être informée des décisions du franchiseur de nature à affecter les effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés ainsi que de formuler toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale. Le paragraphe II de l’article 64 prévoit l’établissement d’un bilan de la mise en œuvre de cet article.

27. Les députés auteurs de la deuxième saisine et les sénateurs soutiennent que les dispositions de l’article 64 méconnaissent le droit des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Selon eux, la mise en place d’une instance de dialogue social n’est possible que si les salariés y participant appartiennent à la même communauté de travail. Or, une telle communauté n’existerait pas entre les salariés de différents franchisés. Les députés reprochent également à ces dispositions leur inintelligibilité. Les sénateurs estiment pour leur part que l’article 64 porte une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d’entreprendre du franchiseur et du franchisé dans la mesure où il leur impose de participer à une instance de dialogue avec les salariés de l’ensemble des franchisés du réseau et d’en supporter les charges de fonctionnement. Ils font enfin valoir que la différence de traitement instituée par cet article, entre les réseaux de franchise et les autres commerces organisés en réseau tels que les coopératives ou concessions, méconnaît le principe d’égalité.

. En ce qui concerne la méconnaissance du principe d’égalité : 28. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

29. En imposant aux seuls réseaux d’exploitants liés par un contrat de franchise la mise en place d’une instance de dialogue regroupant les salariés de ces différents exploitants, à l’exclusion des autres formes juridiques de réseaux commerciaux, le législateur a traité différemment des situations différentes. En effet, les caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l’encadrement des modalités d’organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés. Cette différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi tendant à prendre en compte, par la création d’une instance de dialogue social, l’existence d’une communauté d’intérêt des salariés des réseaux de franchise. Par suite, les dispositions de l’article 64 ne méconnaissent pas le principe d’égalité.

. En ce qui concerne l’atteinte à la liberté d’entreprendre et la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence :

30. Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

31. Il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. En vertu de cet article, la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété ... du droit du travail ».

32. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux représentants des salariés des employeurs franchisés d’être informés des décisions du franchiseur « de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés » et de formuler des propositions. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

33. En premier lieu, d’une part, selon le premier alinéa de l’article 64, la mise en place de cette instance ne s’impose que si trois conditions sont réunies : le réseau de franchise doit comprendre au moins trois cents salariés en France ; le contrat de franchise doit comporter des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail des salariés des entreprises franchisées ; une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau doit avoir demandé la constitution de cette instance.

D’autre part, cette instance peut uniquement recevoir des informations relatives à l’action du franchiseur et formuler des propositions de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés du réseau, sans participer par elle-même à la détermination des conditions de travail des salariés, qui relève de l’employeur et des instances représentatives du personnel propres à chaque entreprise franchisée. Ainsi, la création de cette instance de dialogue social ne porte pas en elle-même atteinte à la liberté d’entreprendre.

34. En deuxième lieu, le deuxième alinéa de l’article 64 prévoit que l’accord mettant en place l’instance de dialogue social fixe, outre sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat et la fréquence des réunions, les heures de délégation accordées aux salariés des franchisés pour y participer ainsi que leurs modalités d’utilisation. Le principe même d’un tel accord n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre sous réserve que les entreprises franchisées participent à la négociation.

35. À défaut d’accord, le cinquième alinéa dispose que les heures de délégation et leurs modalités d’utilisation sont déterminées par un décret en Conseil d’État. Toutefois, le législateur, compétent pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété et du droit du travail, ne pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, prévoir l’existence d’heures de délégation spécifiques pour l’instance de dialogue créée sans encadrer le nombre de ces heures. Dès lors, les dispositions du cinquième alinéa de l’article 64 ne sauraient être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à prévoir, pour la participation à cette instance, des heures de délégation supplémentaires, s’ajoutant à celles déjà prévues pour les représentants des salariés par les dispositions législatives en vigueur.

36. Sous les réserves énoncées au paragraphes 34 et 35, les dispositions des deuxième et cinquième alinéas de l’article 64 ne méconnaissent pas la compétence du législateur et ne portent pas atteinte à la liberté d’entreprendre.

37. En troisième lieu, en application du sixième alinéa de l’article 64, à défaut d’accord entre le franchiseur, les représentants des salariés et ceux des franchisés, les dépenses d’organisation des réunions ainsi que les frais de séjour et de déplacement sont mis à la charge du franchiseur. Sauf si les parties en conviennent différemment, le nombre de réunions de cette instance de dialogue est fixé à deux par an. Par ailleurs, sont également mises à la charge du franchiseur les dépenses de fonctionnement de l’instance. Compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, dont la portée ne peut qu’être limitée en raison de l’absence de communauté de travail existant entre les salariés de différents franchisés, ces dispositions, qui imputent l’intégralité des dépenses et des frais au seul franchiseur à l’exclusion des employeurs franchisés, portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Les mots « ou, à défaut, par le franchiseur » figurant au sixième alinéa de l’article 64 sont donc contraires à la Constitution.

. En ce qui concerne la méconnaissance du principe de participation des travailleurs :

38. Selon le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

39. Les dispositions de l’article 64 n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à l’existence et au fonctionnement des instances représentatives du personnel des franchisés et franchiseurs. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail et à la gestion de leur entreprise doit être écarté.

40. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 34 et 35, les dispositions de l’article 64 autres que les mots « ou, à défaut, par le franchiseur » figurant au sixième alinéa de cet article, qui ne sont pas inintelligibles et ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.

-> Lire aussi l’analyse très fouillée de la décision du Conseil constitutionnel par Me Rémi de Balmann, avocat associé du cabinet D,M& D, coordinateur du collège des experts de la Fédération française de la franchise (FFF), sur le site de Toute la Franchise
* * *

- Un commentaire de Grégoire Toulouse, avocat associé au cabinet TaylorWessing :

(...) « À défaut d’accord entre le franchiseur, les franchisés et les salariés sur la création de l’instance de dialogue, le législateur a prévu que le pouvoir réglementaire pouvait décider des heures de délégation des salariés élus comme représentants dans l’instance de dialogue et de leurs modalités d’utilisation. Le Conseil Constitutionnel estime qu’il s’agit là d’un pouvoir du législateur et que ce pouvoir ne pouvait être délégué au Gouvernement. Le Gouvernement ne pourra donc imposer des dispositions supplétives par décret, comme la loi le prévoyait. (...)

« Le Gouvernement a annoncé son intention de procéder très rapidement à la promulgation de la loi.

« Toutefois, à défaut d’accord entre le franchiseur, les franchisés et les syndicats sur la création de l’instance de dialogue, il faudra attendre le décret en Conseil d’Etat pour connaître les dispositions supplétives applicables en l’absence d’accord. Or, en raison de la seconde réserve d’interprétation susmentionnée, le décret ne pourra être complet... de sorte qu’une nouvelle intervention du législateur sera nécessaire. Autant dire que les réseaux de franchise auront, au minimum, quelques mois supplémentaires pour se préparer à la mise en œuvre de la réforme... »