La chronique de Jacques Gautrand - Eté 2016

Démocratie directe vs Démocratie représentative :
laquelle triomphera à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux ?
  

L’ironie du "Brexit" est que le pays qui a inventé la démocratie parlementaire au 13ème siècle (le Westminster system), l’Angleterre, doive s’incliner aujourd’hui devant le verdict d’un référendum, instrument par excellence de la démocratie directe…

La plupart des grandes démocraties dans le monde fonctionnent toujours selon le principe de la représentation : des délégués, des parlementaires ou des « grands électeurs » reçoivent mandat des citoyens, via leur vote, pour les « représenter », c’est-à-dire gouverner en leur nom et place.

Or ce système « représentatif » est de plus en plus contesté ; il se voit aujourd’hui défié par la conjugaison de plusieurs facteurs :

 □ Le système omniprésent des médias et des écrans, l’essor des chaînes d’infos en continu, ont engendré une « démocratie d’opinion » ou « médiacratie » : celle-ci se caractérise par la prévalence de l’Opinion publique dans la vie démocratique, cristallisation d’une opinion dominante, formatée et diffusée par le système médiatique ;

 □ L’hyper-puissance d’Internet et l’engouement populaire pour les réseaux (ou médias) sociaux (Facebook, Linkedin, Twitter, etc.), lesquels favorisent une démocratisation de la prise de parole publique (commentaires, « posts », pétitions en ligne) ;

 □ L’élévation du niveau général d’éducation (scolarisation) dans les sociétés modernes qui renforce le pouvoir de ce qu’on appelle la « société civile », à travers des canaux plus ou moins organisés : associations et ONG, collectifs et groupes militants, minorités agissantes, mouvements d’occupations de sites, etc. ;

 □ Des pratiques sociales changeantes dans une société « individuelle de masse », qui expriment une appétence pour des applications/solutions dites « collaboratives » ;

 □ La montée du populisme et la défiance – voire le rejet – à l’égard des élites dirigeantes (dont le profil est de plus en plus technocratique).

 □ La désaffection des bureaux de vote par les jeunes générations - de nombreux jeunes négligeant même de s’inscrire sur les listes électorales...

Ajoutons à tous ces éléments ce constat : la complexification croissante de nos sociétés de masse a engendré, dans tous les pays, une superstructure bureaucratique envahissante à qui les politiques ont concédé (ou abandonné ?) la gestion courante de l’Etat et des affaires publiques. D’autant que ces mêmes dirigeants politiques sont souvent issus, de par leur cursus, de cette bureaucratie !
Cette « professionnalisation » des politiques a exacerbé l’antagonisme avec la « société civile » dont certains représentants se disent désormais plus aptes à mieux gérer le pays que des politiciens au long cours…



Quand une pétition sur Internet défie la légitimité des parlementaires élus...

Signe des temps, c’est à partir d’une pétition lancée en ligne en février 2016 par une militante féministe de 35 ans (ex-collaboratrice de Najat Vallaud-Belkacem), Caroline de Haas, que la contestation au projet de loi Travail s’est cristallisée. L’opposition à ce projet de loi soumis au vote des parlementaires a pris de l’ampleur dans le pays au cours du printemps en ralliant les différents opposants à ce texte : socialistes « frondeurs », syndicalistes, associations, militants alternatifs,…

La pétition a recueilli près de 1, 4 million de signatures, les manifestations syndicales, les journées grève, actions de perturbation des services publics, la prise de la place de la République par les « Nuits debout », ont certes mobilisé des dizaines de milliers de personnes, voire des centaines de milliers, mais qui peut affirmer, en toute objectivité, que leur légitimité démocratique est supérieure à celle des parlementaires élus par quelque 30 millions de citoyens ? photo-libre Pourtant, dans le miroir des médias, la légitimité de la contestation « citoyenne » est placée sur un pied d’égalité avec celle des élus de la représentation nationale. Et cela vaut pour de nombreux sujets controversés (OGM, nucléaire, GPA...)

CONFLITS DE LÉGITIMITÉ

Ce conflit de légitimité entre, d’une part, l’expression, plus ou moins spontanée, d’une démocratie « citoyenne », directe, et, d’autre part, les procédures normées de la démocratie représentative, parlementaire, est en train de gripper les rouages de la gouvernance démocratique.

D’autant qu’au conflit de légitimités politiques s’ajoute un conflit de temps : le temps « instantané » de l’émotion ou de l’indignation qui s’exprime directement sur les réseaux sociaux ou dans les médias n’est pas le temps long de la décision et de la mise en œuvre des actions publiques…

Résultat ? une société bloquée. Incapable de se réformer !

Tout gouvernement démocratiquement élu, se trouve rapidement confronté à des demandes contradictoires émanant de la société civile auxquelles il ne peut répondre. Le conflit des légitimités oblige les élus à édulcorer tout projet de réforme ambitieuse, à rechercher le plus petit dénominateur commun, afin de ne pas heurter les minorités agissantes, de ne pas créer de remous dans « l’opinion publique »…

Cet antagonisme rampant entre deux sources de légitimité du pouvoir, contribue à une forme d’impuissance des dirigeants et ceci participe incontestablement au discrédit actuel des élites.

Que faire ?

Face à cette contestation des rouages traditionnels de la démocratie parlementaire, nombreux sont les hommes politiques qui promettent, s’ils ont élus à la présidence de la République, de recourir régulièrement à des référendums afin de mieux répondre aux attentes des Français …

Mais il s’agit davantage d’une réaction démagogique à la pression de la « démocratie d’opinion » que le fruit d’une réflexion élaborée et visionnaire sur la nécessaire reconfiguration de notre système de gouvernement.

Les candidats à l’élection présidentielle sont aussi très actifs sur les réseaux sociaux, mais il s’agit davantage pour eux de "faire du buzz" autour de leur personne, que d’en faire la maquette expérimentale d’une transformation radicale du fonctionnement de la démocratie...

Le référendum n’est pas une panacée...

Le référendum anglais et celui tenu en Loire Atlantique, sur le transfert de l’aéroport de Nantes (déjà contesté par les opposants invétérés au projet !), démontrent que cette technique électorale n’est pas en soi une panacée, capable de résoudre les contradictions actuelles des régimes démocratiques.

Les démocraties parlementaires (avec une plus ou moins forte dose de présidentialisme) ont mis des siècles à se mettre en place. Dans leurs fondements comme dans leurs principes, elles n’ont guère évolué depuis l’origine. Si ce n’est que l’accès aux fonctions électives s’est quand même démocratisé génération après génération.

En dehors de petites communautés réduites à quelques centaines de personnes, l’usage exclusif de la « démocratie directe », par recours à des "votations" - (ce qui pourrait ressembler à une forme d’autogestion), paraît difficile à organiser à l’échelle de grands pays ou de fédérations de pays.

Il y a fort à parier que les deux formes d’exercice de la démocratie – représentative et directe – continueront à cohabiter longtemps encore dans nos sociétés de masse dont la gouvernance devient de plus en plus complexe.

Ces deux formes d’expression de la démocratie s’exerceront dans une espèce de bras de fer permanent, dont les dirigeants élus seront les premières victimes. Car ils verront leur légitimité symbolique se réduire comme peau de chagrin : même si leur légitimité constitutionnelle n’est pas contestable, les dirigeants deviennent de nos jours rapidement impopulaires peu de temps après leur entrée en fonction ! Et, très souvent, les gouvernants en place perdent les élections à la fin de leur mandat...

Nous manquons d’une réflexion de fond sur ce que devrait être une démocratie moderne à l’ère d’Internet et des SMS. Comment revivifier et réorganiser la vie démocratique en utilisant les technologies disponibles dans le but d’assurer le Bien Commun ?

Nous avons tous participé, dans une salle de conférence, à un vote en direct avec des boîtiers électroniques ou par SMS, avec la proclamation quasi-instantanée des résultats...
Ce modèle est-il transposable au niveau d’une nation ? Est-ce utopique ou prophétique de l’imaginer ?

Voilà une réflexion à laquelle devraient s’adonner les futurs candidats aux élections de 2017.

En attendant, je vous souhaite un très bel été 2016 !

Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com