Loi El Khomri et entreprises franchisées : controverse autour d’un article "explosif"  

Paris, le 25 mai 2016. Un article de la loi Travail (dite aussi El Khomri) actuellement en discussion au parlement, sème l’émoi dans le monde de la franchise qui compte plus de 70 000 entreprises. Introduit au dernier moment par quelques députés socialistes, cet amendement à l’article 29 A a été adopté sans être discuté du fait de l’utilisation par le gouvernement de la procédure de vote bloqué du "49-3". Cet article controversé contraindrait tout réseau de franchise, dès lors que l’ensemble des franchisés emploient au total plus de cinquante salariés, à créer une sorte de comité d’entreprise, comme s’il s’agissait d’un seul et même employeur.



S’il était définitivement adopté, ce dispositif serait en contradiction avec les principes fondamentaux de la franchise reconnus par une jurisprudence constante, française et européenne, stipulant qu’il ne peut y avoir de lien juridique ou de subordination entre le franchiseur et ses franchisés, ni entre les franchisés entre eux.

Dans un communiqué publié ce jour, la Fédération française de la franchise (FFF) s’élève contre ce texte susceptible, selon ses propres termes, de «  tuer un fleuron de l’économie française » :

« En instaurant un lien entre d’une part le franchiseur et les salariés des franchisés, et d’autre part entre tous les salariés des franchisés d’un même réseau, la loi remettrait en cause l’indépendance économique et juridique du franchisé, qui est la clef de voûte de la franchise », juge la FFF dans son communiqué.

« Par nature, franchisé et franchiseur sont des entreprises strictement indépendantes, tout comme le sont naturellement les entreprises des franchisés entre elles, rappelle la FFF. Obliger le franchiseur à créer une instance de dialogue regroupant tous les salariés des franchisés avec lesquels il n’a aucune relation, afin de partager l’organisation, la gestion et la stratégie du réseau de franchise, n’a aucun fondement tant sur le plan économique, que juridique.

En effet, par ces dispositions, la loi confond les conditions d’emploi et de travail qu’un franchisé employeur définit pour les salariés de son entreprise, avec les modalités de réitération d’un savoir-faire commercial transmis par le franchiseur au chef d’entreprise franchisé. Elle prive ainsi l’entrepreneur franchisé de la maîtrise de l’un de ses inducteurs économiques clefs.

En stigmatisant ainsi la franchise, la loi entend proposer un statut particulier aux salariés des entreprises indépendantes ayant choisi cette formule. Cette loi est un contresens économique et juridique et crée des contraintes pour les franchisés et les franchiseurs qui ne peuvent que décourager les créateurs d’entreprise de choisir cette stratégie de développement, dont l’efficience n’est plus à démontrer.

Au nom d’un jeu politique, la France a-t-elle les moyens de se priver d’un tel levier de croissance et vivier d’emplois ? » s’alarme la FFF.

Le 22 juin, la FFF s’est associée à la campagne nationale de sensibilisation « J’aime ta franchise » contre l’article 29 bis A de la loi El Khomri :

« Franchisés, franchiseurs, partenaires, organisations professionnelles, fédérations sectorielles et citoyens s’élèvent ensemble contre l’article 29 bis A du projet de loi travail (dite aussi loi El Khomri), en cours d’examen par le Sénat. Ces différents acteurs se sont rassemblés autour d’une campagne nationale, positive et apolitique « J’aime ta franchise ».

Cette mobilisation a pour objectif le retrait de l’article 29 bis A du « Projet de loi Travail ».

La FFF s’associe à cette campagne de sensibilisation car la franchise ne peut se développer que si elle repose sur « une collaboration (...) entre des entreprises juridiquement et financièrement distinctes et indépendantes » (Article 1 du Code de déontologie européen de la franchise).

La campagne « J’aime ta franchise » a été lancée le 22 juin 2016. C’est une action d’envergure nationale pour demander le retrait de l’article 29 bis A de la loi El Khomri, actuellement en cours d’examen au Sénat, et passant en Commission Mixte Paritaire début juillet.

Il s’agit de sauvegarder le modèle de la franchise qui a démontré son succès depuis plus de quarante ans.

Cette campagne vise à rassembler le plus grand nombre et se fonde sur :

- La remise en cause de l’indépendance économique et juridique du franchisé, clef de voûte du modèle de la franchise ; en instaurant un lien entre d’une part le franchiseur et les salariés des franchisés et d’autre part entre tous les salariés des franchisés d’un même réseau,
- Les coûts et l’organisation liés à l’application de ce texte, incompatibles avec le fonctionnement de petites structures. »

- Cette campagne de mobilisation s’organise autour d’un site officiel et d’une pétition sur la plateforme change.org afin de récolter un maximum de signatures. Le dispositif est relayé sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) avant le nouvel examen et le vote définitif du projet par l’Assemblée nationale d’ici à la fin juillet.

La CGPME monte au créneau

Auparavant, la CGPME avait, pour sa part, protesté contre un texte de loi qui « met en péril le modèle économique (de la franchise) en prétendant obliger le franchiseur à intervenir dans l’organisation interne du franchisé. Ainsi dès lors qu’un réseau de franchise comptera au moins 50 salariés (franchiseur et franchisés inclus) il faudra instaurer un comité d’entreprise, alors même qu’il n’existe pas d’unité économique et sociale entre le franchiseur et le franchisé.

C’en est donc fini de la souplesse qu’offre le dispositif actuel de la franchise dont le succès repose pour partie sur l’indépendance de chacun. Imposer des normes sociales communes à tous les franchisés revient à introduire lourdeur et complexité (...) à rebours du discours officiel qui prône la simplification. (...)
Il y a fort à parier que ce projet, s’il va à son terme, amorcera la décrue du succès de la franchise qui compte aujourd’hui plus de 350 000 salariés et ce une nouvelle fois au détriment de ceux qui sont prêts à prendre des risques pour créer des emplois.

La CGPME demande donc le retrait de cette disposition qui, comme à l’accoutumée, n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact ni discussion avec les organisations professionnelles du secteur.  »

Plusieurs experts * et juristes ont quant à eux souligné la contradiction entre cet article de la loi El Khomri et toute la jurisprudence de la franchise et du commerce en réseau.

Ainsi pour l’avocat spécialisé Rémi de Balmann (1) s’exprimant chez notre confrère L’Officiel de la franchise, « ce dispositif se heurte à de solides objections. La franchise en effet n’est pas une zone de non droit pour les salariés, bien au contraire. Qu’ils soient salariés des franchisés ou salariés des franchiseurs, les uns et les autres jouissent – et c’est bien normal – de la plénitude des droits sociaux attachés aux entreprises auxquelles ils appartiennent. Et pourquoi donc prévoir d’inventer un système dont la mise en œuvre tournerait le dos aux principes fondamentaux sur lequel les réseaux se sont développés avec un succès évident ? (...) Ce dispositif anéantit le principe cardinal autour duquel s’organisent les réseaux et qui est celui de l’indépendance entre la tête de réseau et les distributeurs. (...) Que pourrait entraîner la mise en œuvre d’une telle disposition sinon l’explosion des réseaux au sein desquels chaque franchisé devrait pouvoir continuer d’avoir seul la maîtrise de sa gestion ? Il serait d’ailleurs intéressant de savoir ce que penseront les autorités de la concurrence de ce dispositif qui – sous couvert d’informations – provoquera de toutes pièces un système d’ententes. Même s’il appartient à un réseau, chaque franchisé n’est pas tenu de faire savoir aux autres franchisés et à son franchiseur ses prévisions et décisions en matière de gestion. Quant au franchiseur, il doit se garder d’intervenir comme co-employeur vis-à-vis des salariés des franchisés. La jurisprudence requalifie ainsi en contrat de travail une relation de franchise à travers laquelle serait créée une subordination juridique entre le franchiseur et le franchisé. »

Rappelons que l’immense majorité des franchisés sont des dirigeants de TPE qui emploient en moyenne 5 à 6 salariés dans leur point de vente.
D’ailleurs, il n’est pas inutile de se souvenir que la loi El Khomri contient déjà un dispositif contraignant qui cible l’ensemble des TPE - et pas seulement les franchisés - : il s’agit de la création d’instances syndicales régionales destinées à intervenir pour palier l’absence de délégué syndical dans les entreprises de moins de 10 salariés (lesquelles représentent 95% des entreprises françaises) ... Loin de l’objectif initialement revendiqué par le gouvernement de simplifier l’environnement social pour les petites entreprises, et notamment les TPE, cette loi Travail ne fait que rajouter des contraintes et des complexités supplémentaires ; elles ne sont pas de nature à redonner confiance aux entrepreneurs et porteurs de projets !

Concernant l’avenir de l’article 29 A bis, il reste désormais à attendre le vote du Sénat pour savoir si la Chambre Haute annule cet article controversé. Sachant que le texte de loi devra ensuite repasser devant l’Assemblée nationale pour son adoption définitive. Sinon, les acteurs concernés auront à user des voies de recours devant le Conseil d’État, voire auprès des juridictions européennes.

(1) Rémi de Balmann, avocat associé du cabinet D, M & D, est aussi le coordinateur du Collège des experts de la FFF

* La consultante, spécialiste de la franchise, Pascale Bégat, détaille sur son blog les effets contre-productifs et l’aberration d’un tel dispositif, qui serait « une usine à gaz coûteuse, sans garantie de pouvoir répondre aux obligations prévues par le projet de loi : La mise en place et le fonctionnement de l’"Instance de Dialogue" sont très coûteux ; ils nécessitent une armée de personnel administratif pour arriver à répondre à des obligations d’agrégation de données financières et de prévisions d’emploi dans des structures juridiquement indépendantes. Personnellement, et bien que diplômée d’expertise-comptable, je prie pour qu’aucun réseau ne me confie la mise en place de ces données ou alors il faudra m’expliquer comment faire simplement une agrégation de comptes d’entreprises indépendantes. Le premier obstacle est probablement le recueil des données nécessaires, pour l’ensemble du réseau, dans un délai raisonnable. Spécialiste du reporting de réseau, je n’ose même pas envisager les obstacles suivants »...