PRIVATE EQUITY

Quand les fonds d’investissement s’intéressent aux réseaux de franchise  

Par Jacques Gautrand

Courtepaille, Monceau Fleurs, 5 à Sec, B&B Hôtels ... le point commun entre ces enseignes est qu’elles ont ouvert leur capital à des fonds d’investissement qui jouent un rôle moteur dans leur stratégie de développement. Les marques de commerce organisé - succursalistes, en franchise, ou mixtes - attirent les investisseurs en capital. Décryptage.



Seule une faible minorité de sociétés de franchise sont pour l’heure contrôlées par des fonds d’investissement, mais ceux-ci s’intéressent de plus en plus aux enseignes de commerce organisé qui présentent un bon potentiel de développement. ©Photo Libre

Historiquement attirés par des entreprises des secteurs High Tech, TIC, santé... offrant des perspectives de fortes plus-values, les capitaux-risqueurs voient dans les entreprises de commerce organisé une source de diversification de leurs portefeuilles de participations. Même si le taux de retour sur investissement (TRI) y est moins élevé que dans d’autres secteurs, les investisseurs apprécient le fait que ces réseaux de commerce génèrent du cash récurrent.

Les taux de profit sont peut-être moins spectaculaires que pour certaines start-up, mais ils sont plus stables. Et le commerce organisé a fait la preuve de la pertinence de son modèle économique. Dans une chaîne en franchise, le ticket d’entrée pour un investisseur est aussi moins élevé que dans une chaîne succursaliste où les actifs de la tête de réseau sont plus importants.

Laurent Delafontaine, du cabinet de conseil Axe Réseaux confirme cette attirance : « Nous constatons un vif intérêt de certains fonds d’investissement pour les enseignes de retail, en particulier dans une logique de durée correspondant aux exigences de la loi TEPA. » Ce consultant a récemment organisé une rencontre entre ses clients, dirigeants d’enseignes et des représentants du fonds Midi Capital.

« Financiarisation des franchiseurs :
enjeux, incidences et performances »

En novembre 2015, les travaux des Entretiens annuels de la Franchise par la Fédération française de la franchise (FFF) ont justement porté sur le thème « Financiarisation des franchiseurs : enjeux, incidences et performances ».

Le comité scientifique de la FFF a mandaté une équipe de quatre universitaires pour réaliser une étude en enquêtant auprès de réseaux concernés comme de leurs franchisés. (1)

« C’est une étude pionnière, soulignent les auteurs, qui s’intéresse plus particulièrement à l’ouverture du capital des franchiseurs français aux Capitaux-Investisseurs (CI), même si la proportion de réseaux détenus par des CI reste faible à 5% (Etude 2014 sur la Franchise Banque Populaire-FFF-CSA) et 77% des réseaux avec CI restent la propriété des franchiseurs fondateurs. »

Nous reprenons, ci-dessous, les conclusions les plus marquantes de leurs travaux en les agrémentant de nos propres commentaires.

L’entrée d’un fonds d’investissement au capital d’un franchiseur se fait généralement à la faveur de trois grandes circonstances :

- pour financer une nouvelle phase de développement, en France, et/ou à l’international, pour faire de la croissance externe (rachat d’un autre réseau) ;
- en vue de la reprise de l’enseigne en direct ou avec ses managers (LMBO) ;
- pour recapitaliser une société en période critique (on parle alors de « fonds de retournement »).

L’entreprise qui ouvre son capital à un investisseur financier attend généralement de celui-ci qu’il soit un « accélérateur » de croissance, qu’il lui permette de mener à bien ses projets de développement (souvent par le biais d’opérations de "croissance externe", c’est à dire le rachat de concurrents).

Dans le cas des sociétés de franchise, l’étude commandée par le comité scientifique de la FFF conclut qu’« un partenariat réussi entre le franchiseur et le capital-investisseur ne peut se faire qu’en combinant les facteurs suivants : la qualité du réseau, les compétences de l’équipe dirigeante de la tête de réseau et la cohésion du réseau (franchisés et managers de succursales). »

Par ailleurs, l’étude relève que « contrairement à ce que l’on peut imaginer, les franchisés de réseaux détenus par des Capitaux-Investisseurs (CI) ne perçoivent pas négativement leur présence. Celle-ci prouve que le réseau est digne d’intérêt financièrement et économiquement. »

« L’arrivée d’un investisseur en capital, précise Adel Beldi, professeur à l’IESEG Lille-Paris, coordinateur de l’étude pour la FFF, entraîne des changements en matière de gouvernance : entrée d’un ou des représentant(s) des fonds au conseil d’administration, mise en place d’outils de reporting, d’indicateurs de performance, d’outils de benchmark… L’investisseur apporte aussi son réseau de contacts via son portefeuille de participations, ce qui peut faciliter les synergies. »

Les dirigeants reconnaissent que l’arrivée d’un fonds "professionnalise" la gestion et leur capacité à mieux gérer l’enseigne.

« S’il s’agit d’envisager une croissance externe par la conquête de nouveaux marchés internationaux, l’impact au niveau local sera neutre et sans réelle création de valeur pour les franchisés, estime l’étude. La stratégie de développement peut aussi être externe, par le rachat d’un concurrent, ou interne, par une extension du réseau en succursale ou franchise ou par une évolution du concept. Dans ces derniers cas, l’impact n’est pas neutre pour les franchisés.
Le rachat d’un réseau intensifie la concurrence au sein même du réseau sans générer un volume d’affaires supplémentaire aux anciens franchisés dans un premier temps. L’extension du réseau par un développement de succursales au détriment des franchises aura également un impact négatif.
Inversement, l’accroissement du nombre d’unités renforce la notoriété du réseau augmentant ainsi la valeur de tous les fonds de commerce. La création de valeur est alors profitable à tous
. »

UNE « ALCHIMIE RELATIONNELLE »

« S’il s’agit d’un réseau « familial », dont le développement est imputable à la personne même du fondateur, il faudra pour le CI repreneur bien prendre la mesure de cette dimension relationnelle c’est-à-dire de proximité avec le réseau. L’équilibre fragile sur lequel est construit la relation de franchise peut pâtir d’un nouveau dirigeant, certes compétent mais non conscient ou insuffisamment de son rôle dans l’alchimie qui lie franchiseur et franchisés.
Inversement, si la taille et l’ancienneté du réseau sont telles que l’équilibre ne dépend plus du seul dirigeant de la tête de réseau mais du modèle économique, alors la transmission et le changement de dirigeant seront de nature à ne pas modifier les relations entre la firme pivot et ses satellites.
 »

Pour les auteurs de l’étude, il est essentiel, en effet, que les investisseurs prennent bien en compte cette "l’alchimie relationnelle" caractérisant un réseau de franchise composé d’entrepreneurs indépendants que sont les franchisés. Ainsi, en cas de prise de contrôle majoritaire, changer le dirigeant à la tête du réseau peut devenir une opération à haut risque quand il existe une « relation personnelle et affective » entre le franchiseur et ses franchisés. Et encore plus, s’il s’agit du fondateur historique de l’enseigne...

Attention, souligne l’universitaire Catherine Goullet, l’arrivée d’un investisseur « ne doit pas rompre le lien de confiance qui existe entre le franchiseur et ses franchisés et qui est déterminant en franchise. » C’est pourquoi, « il est important qu’il y ait une bonne entente entre le dirigeant et les investisseurs ; que soit notamment conclu, entre eux, un pacte d’associés clair, précisant les rôles et prérogatives de chacun, les conditions de sortie, les rémunérations … Et il faut que chacun comprenne bien les attentes de l’autre. »

FONDS DE RETOURNEMENT À LA RESCOUSSE

Lorsque des fonds dits de « retournement » sont appelés à la rescousse parce que l’entreprise connaît une situation critique ou très dégradée, leur arrivée se traduit généralement par un changement de l’équipe dirigeante et des décisions brutales de management : fermeture de certains magasins, transformation en succursales, fermeture d’une centrale d’achat …
« Il faut créer un électrochoc », confie un investisseur. C’est l’exemple de Monceau Fleurs qui a été sauvé de la faillite par le fonds Perceva en 2013
qui a nommé à la direction de l’entreprise Laurent Pfeiffer.

Dans ce cas, le changement de dirigeant peut-être une source de soulagement pour les franchisés qui voient leur réseau repartir sur de nouvelles bases.

Pour Maxence Radix, du fonds Capzanine, un investisseur en capital évalue « la qualité des équipes de management à la tête de l’entreprise : la continuité dans le management du réseau est privilégiée dans les opérations de croissance, explique-t-il, car changer de dirigeants serait trop anxiogène pour les franchisés ». Même majoritaires, et siégeant au conseil d’administration, les fonds d’investissement préfèrent déléguer à l’équipe managériale la gestion opérationnelle du réseau.

Par exemple, Capzanine accompagne, à côté d’autres investisseurs, l’expansion du réseau de pressing 5àSec qui connaît un fort développement (1900 points de vente dans le monde). La société détenue majoritairement par des investisseurs financiers – l’équipe managériale est actionnaire minoritaire – a pu procéder en 2014 à une augmentation de capital de 10 millions d’euros pour poursuivre son expansion. Et son DG Nicolas Boucaut a été porté à la présidence du réseau par les actionnaires.

QUEL IMPACT SUR LES PERFORMANCES DU RÉSEAU ?

En favorisant la croissance d’un réseau, son internationalisation, un fonds d’investissement contribue à accroître la notoriété de l’enseigne et donc sa valorisation, et « cela à un impact positif sur la valeur des fonds de commerce des franchisés », estime l’étude commanditée par la FFF.

Toutefois cette étude ne fait pas ressortir de lien direct entre l’arrivée d’un capital-investisseur et la performance économique des magasins franchisés du réseau : le chiffre d’affaires des magasins n’augmente pas significativement, même si la rentabilité financière de la tête de réseau est meilleure. « Cela s’explique davantage par une utilisation plus importante du levier financier (capacité d’endettement) que par une augmentation de la rentabilité économique », commente Adel Beldi.

« Les franchisés considèrent aussi que peu d’impacts immédiats sont observés sur leurs performances économiques suite à l’entrée du CI dans le capital de la structure franchisante.

-  Les changements restent imputables au franchiseur : c’est l’utilisation qu’il fait des moyens financiers, humains, matériels et organisationnels qui sont mis à la disposition des franchisés d’où qu’ils proviennent. Ceci confirme également la position des CI, qui certes sont des partenaires actifs au niveau stratégique mais en aucun ne le sont et ne le souhaitent l’être au niveau opérationnel

-  Les résultats ne se produisent pas de façon immédiate et ne sont pas également répartis entre les acteurs. Il y a une certaine inertie dans la création de valeur... », souligne l’étude.

LES FRANCHISÉS SOUHAITENT PLUS DE TRANSPARENCE...

Des progrès restent à faire en matière d’information  : « Les franchisés souhaitent avoir davantage d’informations de la part de leur franchiseur sur le capital-investisseur (CI), son identité, ses prérogatives, sa stratégie, la durée de sa participation.... Cette information est trop souvent succincte, sous forme d’un courrier interne ou lors de la convention annuelle du réseau, note l’universitaire. De leur côté, certains franchiseurs estiment que ces (opérations capitalistiques) ne concerne pas les franchisés ; ils ne veulent pas les perturber... »

« Le franchiseur doit chercher à éviter tout trouble ou risque d’inquiétude de la part des franchisés quant aux changements qui peuvent avoir lieu suite à l’entrée du capital-investisseur dans le capital de l’enseigne. Il doit rendre « transparente » vis-à-vis des franchisés cette évolution de la structure capitalistique et centrer les efforts des franchisés et de son équipe d’animation sur les aspects opérationnels du métier », recommande l’étude.

« La communication est déterminante à notre sens pour l’acceptation de telles opérations (capitalistiques) et surtout pour son effet démystificateur. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les franchisés de réseaux détenus par des CI ne perçoivent pas négativement leur présence. Celle-ci prouve que le réseau est digne d’intérêt financièrement et économiquement. Ce qui peut les inquiéter, c’est l’absence d’information sur les prérogatives du CI, surtout en matière de partage de pouvoir et de décision. »

Une des recommandations de l’étude serait « d’informer les franchisés à la conclusion de l’opération (ce qui est fait en majorité), mais surtout d’informer les nouveaux entrants post-partenariat et de tenir informé les franchisés des avancées dans la mise en œuvre de la stratégie. Une information générale lors des conventions renforcerait la cohésion. ».

QUID DE LA "SORTIE" DES FONDS ?

Un fonds d’investissement s’engage généralement pour une durée limitée au capital d’une société (en moyenne 5 à 7 ans). Que se passe-t-il lorsqu’il cède sa participation ? C’est une nouvelle source d’incertitude et d’interrogation pour les franchisés.

On l’a vu récemment, en décembre 2015, avec l’annonce officielle de la cession par le fonds d’investissement Qualium (filiale de la Caisse des dépôts) du réseau Quick au groupe de restauration Bertrand, master franchisé de Burger King pour la France...

Si les franchisés n’ont généralement pas leur mot à dire en cas de changement du « capitaine » du réseau, ils ont impérativement besoin de se sentir en confiance avec leur franchiseur, avec lequel les lie une relation qualifiée en droit "d’intuitu personae".

« Les franchiseurs et CI doivent évaluer les conditions de départ que ce soit la valorisation financière, économique ou relationnelle du réseau. Ils doivent également mesurer les impacts des changements envisagés : personnes, organisation, outils, concept, nature du réseau, horizon de temps… », recommande l’étude.

Note sur la méthodologie de l’étude :

(1) Les Entretiens de la franchise 2015, organisés par le Comité scientifique de la FFF, ont porté sur le thème : « Étude de la variabilité des structures capitalistiques franchisantes, incidences sur la gouvernance des réseaux de franchise. »

Une étude réalisée par Adel Beldi, l’IESEG School of Management Lille-Paris, LEM, Catherine Goullet, Université de Bretagne-Sud, IREA, Robert Joliet, l’IESEG School of Management Lille-Paris, LEM, et Nadine de La Pallière, Université de Bretagne-Sud, IREA.

Les universitaires ont réalisé d’abord une étude exploratoire basée sur des entretiens qualitatifs et semi directifs avec les principaux acteurs concernés par le thème de recherche. Cette étude a mis en évidence l’importance de la dimension relationnelle (entre franchiseurs et CI) aux côtés des dimensions disciplinaire et cognitive.
Elle a été complétée par « une approche plus confirmatoire en ciblant deux réseaux de franchise qui ont ouvert leur capital à des CI. Ces deux études de cas ont permis d’interroger tous les acteurs concernés par cette évolution y compris certains franchisés dans le cas d’un réseau. Les résultats de ces études de cas démontrent la coprésence de plusieurs modes de gouvernance au sein de la franchise. Nous retrouvons ainsi les dimensions cognitive et disciplinaire. La dimension relationnelle demeure aussi prépondérante. (...)

« Cette phase qualitative du travail de recherche a permis de mettre en évidence un partenariat fondé sur une collaboration étroite et partagée entre le franchiseur et le CI. Cependant, la franchise implique un autre partenaire : le franchisé. Nous avons cherché à examiner la perception de ces derniers quant à ces opérations de prise de participation. Nous avons mené dans un deuxième temps une enquête par questionnaire auprès des franchisés des enseignes avec CI. Lors de l’étude exploratoire et en analysant les entretiens effectués avec les dirigeants des têtes de réseau, une certaine minimisation des impacts de la variabilité de la structure capitalistique du franchiseur sur les franchisés a été remarquée.(...)

« L’entrée du CI traduit bien ce que les études qualitatives ont montré à savoir une incidence sur la gouvernance des réseaux avec de possibles changements de direction, mais également les apports cognitifs sur l’organisation du réseau (stratégie, animation, indicateurs de mesure de la performance et optimisation de la gestion). (...)

« Notre dernière partie quantitative, basée sur une analyse de la performance économique des franchiseurs avec CI et un autre groupe de franchiseurs sans CI (constituant le groupe de contrôle), a été menée en utilisant des données financières sur les trois dernières années. (...)

« La rentabilité financière atteinte par les capitaux propres investis apparaît être relativement plus importante ; mais cette rentabilité sur fonds propres plus élevée semble cependant être davantage expliquée par une utilisation plus importante du levier financier que par une augmentation de la rentabilité économique. »

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