ENTREPRENEURS

Mohed Altrad, sacré entrepreneur de l’année 2015 dans le monde  

Par Rémy Arnaud

Le roi de l’échafaudage - son entreprise, Altrad, est basée dans l’Hérault - se voit récompensé par le titre d’"entrepreneur mondial" de l’année 2015 décerné par le réseau EY (Ernst & Young). Un sacré coup de chapeau à l’économie traditionnelle ("brick and mortar") à l’heure où tout le monde n’a d’yeux que pour la Net-economie et les start-up du Web...
Il est vrai que le parcours de Mohed Altrad sort des sentiers battus. Rémy Arnaud nous le décrit.



Mohed Altrad
Mohed Altrad Le bédouin du désert syrien qui à échafaudé une multinationale prospère dans la matériel de BTP est aussi ... un romancier confirmé

En couronnant Mohed Altrad du titre prestigieux d’« Entrepreneur mondial de l’année 2015 », le 6 juin à Monaco, le cabinet EY (ex Ernst and Young) et ses partenaires ont braqué les projecteurs sur une personnalité totalement hors norme et encore peu connue du grand public.

C’est le premier entrepreneur français à obtenir cette distinction. Le parcours atypique de ce chef d’entreprise d’origine syrienne installé à Montpellier, ville dynamique certes mais qui n’a pas la réputation d’être un vivier de grands capitaines d’industries, a de quoi forcer l’admiration des plus blasés.

En trente ans, Mohed Altrad a créé, par rachats successifs d’entreprises, un groupe international dans les échafaudages et le matériel destiné au BTP, affichant en 2014 un chiffre d’affaires de 870 millions d’euros avec 7600 salariés. Mais ce n’est pas tout : il y a quelques mois à peine, Altrad réussissait une nouvelle opération de croissance externe magistrale en prenant le contrôle de l’entreprise néerlandaise Hertel dans des activités voisines. Grâce à quoi le groupe Altrad double de taille avec un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros pour 17 000 salariés !
Altrad est ainsi leader européen des échafaudages, numéro un mondial des bétonnières
et le leader français du matériel tubulaire….

Le jury français de l’Entrepreneur de l’année, réuni par L’Express et EY, ne s’était pas trompé en distinguant Mohed Altrad en 2014. Le jury international de ce prix créé en 1986 aux Etats-Unis, réuni à Monaco le 6 juin 2015, qui a été conquis par cette personnalité hors du commun et ses performances économiques.
Et pourtant qui eût peu imaginer un tel destin pour ce fils de bédouin du désert syrien ?

L’enfant du désert, rejeté par son père, devient un capitaine d’industrie dans l’Hérault

Mohed Altrad est né, en effet, en Syrie il y a une soixantaine d’années, on ne le sait pas très précisément. C’est le fils d’un chef de tribu berbère qui allait l’abandonner en répudiant la mère de l’enfant. Le jeune Mohed est donc élevé tant bien que mal par sa grand-mère dans le plus total dénuement. À des années-lumières de sa future existence.

Heureusement un instituteur remarque sa très grande intelligence et sa soif d’apprendre. Il arrive ainsi au lycée à Raccah, ville syrienne proche d’Alep (dont on parle beaucoup aujourd’hui puisqu’elle est devenue la base de Daesh).

Élève brillant comme on l’imagine, le jeune Mohed bénéficie d’une bourse pour aller étudier en France, pays où il va s’installer définitivement et auquel il va vouer toute sa vie durant une reconnaissance infinie. Parti pour étudier l’ingénierie pétrolière il acquiert aussi un doctorat en informatique à Paris et à Montpellier. Dès lors les portes s’ouvrent devant ce jeune homme doué qui collabore à de grandes entreprises françaises de haute technologie : Thomson, Alcatel...

Mais Mohed Altrad, à peine la trentaine, ne se satisfait pas d’un destin tout tracé de cadre salarié, promis une confortable carrière. Il créé d’abord sa propre entreprise dans l’informatique, puis, en 1985 il a l’opportunité de racheter à la barre du tribunal de commerce Méfran, petite entreprise de fabrication d’échafaudages basée à Florensac, un gros bourg située à mi-chemin entre Béziers et Sète. L’entreprise étant difficulté, elle n’est donc pas trop chère à l’achat. Mohad Altrad la redresse et la rebaptise de son nom. Trente ans après, le groupe Altrad fédère 65 entreprises, gérées comme un ensemble de PME relativement autonomes, réparties dans une vingtaine de pays, et exporte ses équipements dans une centaine de pays !

Mais pas question pour son patron qui vient d’entrer dans le classement mondial des milliardaires publié par Forbes, de se prendre pour un nabab. Certes il ne dédaigne pas dévoiler à l’occasion d’un reportage télévisé les quelques magnifiques voitures garées dans sa belle demeure de la périphérie de Montpellier. L’aéroport de la métropole languedocienne accueille son avion personnel, « un instrument de travail » comme il aime le souligner. Mais surtout sa fortune est devenue, à ses yeux, l’occasion de s’acquitter de "la dette" qu’il a contractée auprès de la France. Un pays, aime-t-il à rappeler, qui l’a accueilli et lui a permis de devenir ce qu’il est. A Montpellier cette ambition se traduit par un investissement personnel de plusieurs millions d’euros dans le club local de rugby, le Montpellier Hérault Rugby, dont il assure la présidence.

Mais là aussi, pas question de jouer les seconds rôles. Son ambition avouée : ramener un jour dans la métropole languedocienne le prestigieux Bouclier de Brennus, un trophée que les voisins d’Ovalie, Narbonne, Béziers et Perpignan ont déjà remporté.

Une vie bien remplie, mais qui laisse encore le temps à ce boulimique de s’adonner à un autre de ses talents, celui d’écrire des romans inspiré par ses souvenirs du désert, dont le célèbre « Badawi » (éditions Actes Sud), qui n’est autre que sa biographie, et qu’il se fait un plaisir de dédicacer à la « Comédie du livre » organisée chaque année à Montpellier sur la célèbre place du même nom.

Rémy Arnaud