fiction

Les médias en 2015  

Comment vont évoluer les médias d’ici à 2015 ? Pour décrypter les scénarios du futur, voici une « media-fiction », extraite du rapport de prospective du Plan, « Des Médiattitudes », publié en 2005.



Comment vont évoluer les médias d’ici à 2015 ?

Animé par Bernard Benyamin et Sylvie Benard, le "groupe de projet Cosmos" (1) a travaillé durant quatorze mois sur la relation de l’Etat avec les médias dans les années à venir. Rassemblant des acteurs privés et publics, des chercheurs et des journalistes, il a exploré les différences postures de l’Etat en prenant le parti d’un Etat qui ne soit pas indifférent aux médias privés et qui soit responsable dans sa relation aux médias publics.

Concentration, uniformisation, infotainment... Pour décrypter les scénarios du futur, voici une « media-fiction », extraite « Des Médiattitudes », le rapport du groupe Cosmos (juin 2005).

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- Automne 2007 :
Un nouveau Président de la République vient de terminer ses cents premiers jours à l’Elysée. Après le nième plan de recapitalisation, les partenaires d’un grand quotidien national jettent l’éponge, un deuxième vient d’être restructuré et absorbé par un groupe de la presse magazine, un troisième ne survit qu’au prix d’un plan drastique d’économie et d’une politique de publicité agressive. Compte tenu de l’absence de réforme du régime peu différencié et à 90% indirect des aides à la presse, l’État ne peut plus aider les quotidiens nationaux en question. La presse écrite papier se recentre sur les magazines et les quotidiens nationaux et régionaux en faillite passent brutalement la main aux gratuits financés par la publicité et diffusant une information de plus en plus banale. Après trois ans de tergiversations, une chaîne d’information internationale française est opérationnelle sur la TNT, une guerre des mots et des images s’engage avec LCI sur l’ADSL. (...)

- Hiver 2007 : Un opérateur de communication multimédia allié à une grande chaîne de télévision gagne pour la première fois l’appel d’offre pour les droits de retransmission du football. La moitié des abonnés de Canal + résilient leur contrat et la société ferme.

- Printemps 2008 : Un groupe de presse régionale crée un premier groupe local d’information multimédia : presse quotidienne, magazine, radio, Internet, TV locale bilingue.

- Été 2008 : Une des chaînes nouvelles apparue avec la TNT abandonne. La fragmentation du marché publicitaire affaiblit les plus faibles, l’heure est aux rachats et à la restructuration. En l’absence d’une modification de la loi du 1er août 2000, les pourcentages des parts de marché publicitaire ne sont toujours pas l’axe essentiel du contrôle des concentrations et l’État n’a pas institué une taxe supplémentaire permettant de financer la TNT.

- Automne 2008 : La communauté européenne prend (...) une directive créant un espace européen des médias ouvert et concurrentiel.

- Hiver 2008 : Avec les derniers achats de Noël, les consoles de jeux portables deviennent le premier terminal d’accès et d’échanges de contenus multimédias. (...) Les contenus multimédias diffusés en Europe commencent à être doublés systématiquement en trois langues : anglais, arabe et chinois.

- Printemps 2009 : Un groupe de la presse magazine rachète le dernier grand quotidien national et la plupart des rubriques « politiques intérieures », « communication » et « défense » sont désormais suspectées de parti pris.

- Été 2009 : Un opérateur éditeur généraliste rassemble ses chaînes, radios généralistes, magazines, quotidiens régionaux et nationaux, gratuits, portails Internet, moteurs de recherche, chaînes de télévision, éditions multimédia, et structure le tout pour organiser le premier groupe intégré d’information multimédia. La rationalisation de la sous-traitance de ce groupe entraîne des départs à la retraite massifs et une diminution des effectifs de l’ordre de 25%.

- Automne 2009 : Un major en alliance avec un grand opérateur de communication lance une offre de cinéma à domicile en simultané avec la sortie en salle à un prix nettement inférieur à celui d’une place de cinéma. Le nombre d’entrées en salle diminue de 30% et l’industrie du cinéma français voit une partie de son financement se tarir.

- Hiver 2009 : Une grande chaîne de divertissement lance un grand jeu interactif de télé-réalité en réseaux diffusé en prime time.

- Printemps 2010 : La restructuration de l’audiovisuel s’achève. Trois grandes chaînes généralistes « divertissement et société » émergent et se partagent le marché français ; deux sont contrôlées par des grands groupes de médias européens, Berlusconi et Bertelsmann, avec des partenariats minoritaires de grands des médias mondiaux : Murdoch et Disney. France 2 est enfin privatisée ne pouvant concourir aux appels d’offres devenus prohibitifs sur le sport, le cinéma et le divertissement.

- Été 2010 : Une chaîne généraliste sous-traite son information à un groupe d’information multimédia, pour se concentrer sur les émissions de divertissement et de société, et la promotion des contenus : cinéma, chansons, livres de ses partenaires. Les autres suivent. L’AFP est dissoute sur demande de Bruxelles, l’État français représentant désormais plus de 95% de son chiffre d’affaires.

- Automne 2010 : Des opérateurs de communication rachètent massivement des chaînes thématiques et créent des joint venture avec des majors autour de leurs activité de portail et de pay per view.

- Hiver 2010 : Après rachats et concentration, deux grands groupes d’information multimédias se sont structurés en France, à côté des chaînes audiovisuelles et radio publiques. Ils profitent des évolutions réglementaires pour prendre le contrôle et fédérer les groupes multimédias régionaux. France 3 doit cesser son activité.

- Printemps 2011 : Les grands éditeurs de contenus mondiaux raflent la mise, ils investissent deux chaînes généralistes « divertissement et société » et prennent le pouvoir dans leur alliance avec les opérateurs : bouquets de thématiques, pay per viewet chaînes de promotion sont mis au service de la promotion des contenus multimédias.

- Été 2011 : Les chaînes de télévision publiques, faute d’audience et de moyens, sont réorganisées en une chaîne d’information internationale et une chaîne éducative et culturelle.

- Automne 2011 : ATTAC organise les états généraux des altermédias. Un regroupement de citoyens et de professionnels éclairés décide de créer une ONG financée par des donateurs et dédiée au contrôle éthique et économique de l’audiovisuel.

- Hiver 2011 : la campagne électorale bat son plein, 5 millions de Français sont connectés en permanence aux 2 grandes chaînes d’information multimédia, soutenant chacune leur candidat ; la campagne Internet fait rage : 5 millions échangent en peer to peer ; 25 millions sont devant leur télévision et alternent entre émissions de télé-réalité politique et émission de promotion à scandale, 10 millions participent au grand jeu interactif de l’année : une invasion d’extraterrestres, 10 millions ont définitivement décidé qu’ils ne s’intéresseraient qu’à la vie associative et locale, et 10 millions sont restés accrochés aux charmes désuets d’un bon livre, d’un bon concert retransmis en octophonie ou d’un voyage de rêve en immersion dans leur salle hypermédia à domicile ou d’une émission sur la chaîne culturelle Arte portant sur l’histoire des médias et du service public. »

« Ainsi donc, poursuit le Rapport du Plan, les contenus médias deviennent des contenus multimédias, transitant sur n’importe quels supports, lesquels sont regroupés au sein de deux ou trois grands groupes multimédias, plutôt européens et mondiaux mais aussi régionaux. Peu importe le support, c’est le produit qui compte - le contenu multimédia demandé qui sera vendu-.

« Dans le paquebot des médias, les journaux quotidiens disparaissent ou passent sur écran ; le secteur public est mis en position minoritaire et devient secteur réservé, pour une information et une culture de niche ; les opérateurs de communication et les éditeurs de contenus trustent l’information, le divertissement et tous les produits dérivés imaginables afin de vendre tout contenu média devenu marchandise avec généralisation du pay per view, des produits marketing et du thématique payant ; les acteurs des médias et les hommes politiques sont en symbiose pour un prêt à penser et un prêt à divertir, signes cliniques d’un coma des médias.

« L’indépendance, l’éthique, la créativité disparaissent du paysage des médias, seuls quelques journalistes marginaux maintiennent à bout de bras une information pluraliste et de qualité au risque de leur sécurité, avec les journalistes de l’audiovisuel et de la radio ils tentent de créer un Independant Board déconnecté du politique, sorte d’organe de régulation éthique et économique. Des citoyens de toutes générations et milieux, secoués par des jeunes en quête de sens et désireux de retrouver une expression de proximité, prennent la relève et constituent des associations pour siffler les médias et les institutions gouvernementales. Les élus s’inquiètent, l’exécutif réagit et enquête pour savoir pourquoi les conclusions du rapport DES MEDIATTITUDES ont été égarées. » (...)

« La fiction ne sera probablement pas la réalité, notent les auteurs du rapport : parce que les évolutions de pratiques et d’usages dans cette vie numérique qui s’offre à nous sont dures à discerner, mais aussi parce que l’action des citoyens et des consommateurs et l’action des pouvoirs publics peuvent permettre d’anticiper et d’agir. »

Pour le Commissaire au Plan, Alain Etchegoyen :« Si l’État démocratique et les individus ne réagissent pas pour obtenir des médias, pluralisme et qualité, que ce soit dans les programmes, les articles, les émissions, les portails, les sites web et les blogs, en utilisant les différents supports de la presse écrite, de la télévision, de la radio, d’Internet (et du portable), l’histoire des médias français pourrait devenir rapidement la conquête de la communication par quelques géants du multimédia ».

(1) Le groupe de projet "Cosmos" :

Rendu public le 22 juin 2005, le rapport du Commissariat Général du Plan, « Des médiattitudes » a été réalisé sous la co-direction de Bernard Benyamin (France 2) et de Sylvie Benard (Le Plan).

Rassemblant des acteurs privés et publics, des chercheurs et des journalistes, leur groupe de projet Cosmos a travaillé durant quatorze mois sur la relation de l’Etat avec les médias dans les années à venir.

« La dénomination "Cosmos" - du grec Kosmos ="ordre de l’univers" -, symbole du hasard et de l’harmonie qui englobe le terrestre et l’extra-terrestre, a été choisie pour illustrer l’idée que les médias peuvent participer de l’évolution de l’univers et des hommes qui le composent vers l’anti-hasard et le bien collectif, par la diffusion spatiale d’informations sous des formes multiples - informatives, culturelles et ludiques...

Les médias, à la frontière d’une fonction régalienne, sont à la fois des supports d’information - biens privés ou publics - et des contenus - biens collectifs -.

L’objet du groupe de projet Cosmos était de mener une réflexion prospective sur la place et le rôle de l’État stratège souhaitables et possibles dans les grandes évolutions des médias au cours des cinq à dix prochaines années (2010). Il a analysé les grandes tendances qui touchent ce secteur (extension de l’ère informationnelle, mondialisation de la communication, transformations culturelles,…) et les enjeux qu’elles peuvent générer (service public, secteur privé, régulation, concurrence, offre de supports et de contenus, coûts, financements, gestion des personnes, satisfaction des consommateurs, pression des lobbies,…).

Le but est d’aider l’État à définir des scénarios d’objectifs, et si possible de moyens, qui anticipent les transformations de la société et de l’intérêt général. Quelle évolution des missions à remplir par les médias dans un environnement démocratique ? Quel équilibre à obtenir entre le service public et le secteur privé ? »

« Le rôle de l’Etat dans les mutations des médias, estiment les auteurs du rapport, sera d’être avant tout garant du pluralisme. L’objectif des « Médiattitudes » sera de créer les conditions d’un « rebalancement » entre le secteur privé et le secteur public : en facilitant des contre-pouvoirs multiples via un service public renforcé et des agences de presse adaptées pour produire une information de qualité, en recourant à des aides incitatives et évaluées, et en passant par des modes de régulation transformés ou nouveaux sur la base d’instances indépendantes et d’actions d’individus protégés par la loi ».

Consulter le Rapport « des Médiattitudes »