Entrepreneuriat

Catherine Barbaroux :
« Le microcrédit a permis la création de 126 000 emplois en France »
  

Rencontre avec la présidente de l’Adie

La présidente de l’ association pour le droit à l’initiative économique* a rencontré les journalistes de l’AJPME, à l’occasion du lancement de sa campagne « Il n’y pas d’âge(s) pour créer sa boîte ! » et des vingt-cinq ans de l’Adie, pionnière du microcrédit en France. Consulendo publie de larges extraits de ses déclarations.



Catherine Barbaroux, présidente de l’Adie *

Catherine Barbaroux, Adie

« Ce qui est micro n’est pas miteux ! »

- Vous lancez début octobre une campagne de sensibilisation sur le thème : « Il n’y a pas d’âge(s) pour créer sa boîte ! »

Catherine Barbaroux : Notre campagne d’information s’adresse aux jeunes de moins de trente ans et aux « seniors » de plus de quarante-cinq ans. D’ores et déjà 25% de nos clients ont moins de trente ans. Nous avons mis en place à l’intention des jeunes, dans les quartiers difficiles, un cycle de formation de six semaines, « Créa Jeunes », pour les aider à passer de l’idée au projet (on estime à environ 30% ceux qui deviendront des clients de l’Adie en microcrédit).

On veut renforcer notre message auprès des jeunes en leur disant : « allez-y, n’ayez pas peur ! »

En direction des personnes expérimentées notre action est nouvelle, d’autant que le chômage qui augmente le plus est celui des seniors. Nous avons engagé un programme avec l’assureur AG2R La Mondiale à partir d’une enquête dont il ressort que les seniors ont plus d’atouts pour créer une entreprise, mais qu’ils ont moins d’appétence à le faire parce qu’ils ont peur. On a mis en évidence deux freins majeurs exprimés par les seniors :

- 1. ils n’ont pas l’habitude de travailler en solo, car durant leur carrière de salariés ils ont travaillé dans un « collectif », dans un « cadre » organisé.
- 2. Quel sera l’impact sur ma retraite ? s’inquiètent-ils.

Avec AG2 R nous formons les bénévoles de l’Adie pour qu’ils soient plus pointus dans le conseil aux créateurs seniors et qu’ils puissent mieux répondre à leurs interrogations sur ces questions.

Dans le même temps, nous avons développé un nouveau dispositif plutôt destiné aux seniors, « Adie Micro Business » : une session collective de formation d’une semaine afin d’aider les porteurs de projet à identifier leurs points forts et leurs points faibles avant de se lancer, et qui débouche ensuite sur un accompagnement individuel

Maria Nowak me l’avait dit, le talent entrepreneurial n’a rien à voir avec le niveau scolaire, l’origine sociale, l’âge…

- L’environnement de l’entrepreneuriat en France : que faut-il encore améliorer ?

Catherine Barbaroux : Il y a toujours deux difficultés « permanentes » auxquelles se heurtent les créateurs d’entreprise en France : la complexité administrative et l’accès aux financements. Le public de l’Adie se heurte encore plus à ces difficultés, puisque les bénéficiaires de nos prêts sont des personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire, des personnes au chômage ; 42% de nos clients sont au RSA …

Les Assises de l’entrepreneuriat (en 2013) ont contribué à la pédagogie des Français en faveur de l’entrepreneuriat, notamment des dirigeants publics. Nous avons une révolution culturelle à poursuivre en la matière dans notre pays, je le dis volontiers moi qui viens plutôt d’une culture de gauche.

J’entends toujours des personnes que j’ai connues dans ma carrière professionnelle me dire, à propos de l’action de l’Adie, que "créer sa boîte ce n’est pas avoir un « vrai emploi »" … Et je suis bien placée pour dire qu’il n’est pas si lointain le temps où le service public de l’emploi n’encourageait guère le chômeur à créer son entreprise …

Il subsiste chez certains dirigeants de gauche et les syndicats une méconnaissance de la petite entreprise, une survalorisation du CDI la vie entière dans la même entreprise – ce qui a été le modèle des gens de ma génération – Or ce n’est plus le modèle aujourd’hui : 80% des contrats de travail signés le sont pour moins de 2 jours ! Dès lors entreprendre n’est pas plus risqué que de rester salarié … Même si beaucoup de droits sociaux sont encore liés au salariat et au contrat de travail…

Les freins à l’entrepreneuriat en France ne sont pas nouveaux, ils sont bien connus et il y a une forte « viscosité » de ce problème.
Pour autant, je pense qu’il y aura « un avant et un après » de la création du régime de l’auto-entrepreneur.

Après les débats et la réforme de ce régime, je crois qu’on est sorti par le haut (cf. la loi du 18 juin 2014 sur les TPE –NDLR) et je rends hommage au député Laurent Grandguillaume qui a fait un beau travail de rapprochement des points de vue et de synthèse : la simplification devrait profiter à tout le monde, aux artisans comme aux auto-entrepreneurs.

- Comment va l’Adie ?

Catherine Barbaroux : Il y a 25 ans, l’Adie est née en 1989 dans un petit appartement de la Seine-Saint Denis … Aujourd’hui notre association emploie 450 salariés, compte 120 agences dans l’Hexagone et Outre-mer et s’appuie sur 1300 bénévoles qui accompagnent notre action sur le terrain.

Notre activité se développe de 15% par an et nous voudrions rallier 25 000 clients par an à l’horizon 2017, comparé à 17 000/18 000 en 2014.

Je vous rappelle notre devise : « donner les moyens d’entreprendre à ceux qui n’ont pas les moyens »…
Nous accompagnons des personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire et qui sont souvent en grande difficulté...

Nous pouvons prêter jusqu’à 10 000 euros par projet (nous sommes en discussions avec Bercy pour augmenter ce plafond).

Nous avons aussi des fonds de prêts d’honneur avec la Caisse des Dépôts.

En cohérence avec d’autres réseaux d’accompagnement à l’entrepreneuriat comme France Active, Initiative France, Réseau Entreprendre, nous proposons une gamme de dispositifs et de financements qui répond à la diversité des publics, l’Adie s’occupant des plus petits projets...

Mais je le dis solennellement, « ce qui est micro n’est pas miteux ! »

Seulement la moitié de nos clients sont auto-entrepreneurs, l’autre moitié adopte des statuts plus classiques. Et si nous avons défendu bec et ongles le régime de l’auto-entrepreneur nous ne considérons pas qu’il est une panacée. Nous ne conseillons pas ce régime aux créateurs qui doivent récupérer de la TVA, faire des investissements ou répondre à des appels d’offres publics …

Nous avons aussi développé la micro-assurance : souvent les micro-entrepreneurs sont mal assurés parce que c’est cher et compliqué. Nous avons passé un accord avec Axa et la Macif afin de proposer des assurances en responsabilité civile, pour les véhicules, en matière de prévoyance (indemnités journalières ; risque d’incendie) …

- Les clients de l’Adie sont-ils "solvables" ?

Catherine Barbaroux : Notre objectif est de faire en sorte que les gens que nous accompagnons réussissent et nous remboursent (nous refusons une demande de crédit sur deux en moyenne) : le taux de remboursement de nos crédits est de 97,56%. Nous en sommes tous très fiers.

Les entreprises que nous aidons à créer sont pérennes à 70% au bout de deux ans et à 59% au bout de trois ans … Et même parmi ceux qui échouent, 84% retrouvent un emploi.

Chaque semaine, nous permettons à des personnes de sortir du RSA... Nous permettons à des gens qui étaient dans des situations difficiles de vivre de leur travail.

Chaque entreprise que nous aidons à se créer génère 1,26 emploi. Depuis la naissance de l’Adie, il ya 25 ans, nous avons contribué à la création de quelque 126 000 emplois, ce n’est pas si mal !

Et notre action coûte très peu à la collectivité : 1 800 euros par personne accompagnée. Le coût budgétaire de nos interventions est infiniment plus faible pour l’Etat que le coût des contrats aidés ou de l’indemnisation du chômage…

On rencontre des gens super parmi ceux qu’on accompagne. Et cela nous donne beaucoup d’énergie. Nous avons de très belles success-stories à notre actif. Il y a des gens à qui nous avons prêté 3000 euros pour se lancer et qui emploient aujourd’hui 250 personnes ! Bon, ce n’est pas la majorité de nos clients.

Mais nous faisons naître de jolies petites boîtes. Ce sont des entreprise de proximité, qui créent de l’emploi non-délocalisable et souvent dans des territoires en difficulté...

La création d’entreprises en France ne se réduit pas aux start-up !

Je ne dis pas que le microcrédit va résoudre à lui seul le chômage de masse, mais c’est un sillon qui fonctionne plutôt bien.

Et je suis persuadée que nous ne sommes pas au bout de notre potentiel. C’est pourquoi nous avons l’objectif d’accompagner 25 000 personnes par an. Et je me réjouis d’avoir convaincu Bpifrance de nous soutenir pour renforcer nos lignes de financement

- Quels sont vos rapports avec les banques ?

Catherine Barbaroux : Nous ne pouvons pas prêter plus de cinq ans au même client, ce qui pose problème dans les territoires d’outre-mer, où j’ai demandé que la limite soit portée à 10 ans car la viabilisation des projets prend plus de temps.

A l’Adie, on peut passer 15 heures à écouter un porteur de projet pour, à la fin, lui prêter 3000 euros, ce qu’aucune banque ne peut faire ! Mais notre rôle n’est pas le même que celui des banques. Nous travaillons en bonne intelligence avec les banques commerciales car elles ont bien compris que les clients de l’Adie sont des futurs clients pour elles … Et c’est le cas !

Nous devons aussi trouver en permanence le bon réglage pour chaque projet, afin de ne pas trop « charger la barque », c’est-à-dire que le créateur ne soit pas trop endetté par rapport à sa capacité de remboursement …

- L’Adie s’intéresse-t-elle au Crowfunding ?

Catherine Barbaroux : Tout ce qui permet de favoriser l’initiative et la citoyenneté économique, nous y sommes favorables. La montée en puissance du crowdfunding sera longue – et pour l’instant reste encore marginale par rapport à nos besoins de financement. Mais on regarde cela très attentivement.

Nous avons passé un accord avec Babyloan pour soutenir certains projets. Et l’Adie est très sollicitée par des plates-formes de crowdfunding pour leur apporter des projets d’entreprises, car elles ont besoin de mettre en avant des projets. Mais attention, ce n’est pas la modernité de l’outil de collecte de l’argent qui garantit comment celui-ci sera utilisé …

Or ce qui reste nécessaire, c’est la qualification des projets : ils doivent être solides si l’on veut qu’ils réussissent. Or les créateurs ont besoin de pouvoir s’appuyer des structures d’accompagnement. Pour l’instant, j’observe une grande hétérogénéité dans le crowfunding, on y trouve aussi bien des particuliers qui sollicitent des dons que des business angels …

- Vous développez aussi une offre de "micro franchises" ...

Catherine Barbaroux : On y réfléchissait depuis longtemps car nous recevons des personnes avec un fort potentiel entrepreneurial mais qui n’ont pas forcément d’idée précise d’entreprise à créer… Dès lors, nous cherchions comment leur proposer une bonne idée « clé en main », suivant le principe de la franchise. Nous avons un peu tâtonné sur cette voie, nous pensions d’abord nous lancer seuls et puis nous avons décidé de nous rapprocher de franchiseurs acceptant de se mettre dans une logique d’entrepreneuriat social.

A ce jour, nous avons conclu deux partenariats :

- Avec le groupe 02, réseau qui opère dans le secteur des services à la personne, nous avons créé une société commune pour lancer une micro-franchise de jardinage et de petits travaux, qui marche bien. L’installation ne doit pas coûter plus de 10 000 euros au franchisé, avec un vrai appui apporté par la tête de réseau en formation et marketing, une centrale d’achat qui permet de mutualiser les coûts d’équipement, et avec la perception de redevances d’enseigne « raisonnables ». Premier bilan : un micro-franchisé 02 gagne mieux sa vie qu’un jardinier indépendant …

- On a aussi monté un partenariat avec Chauffeur & Go, une coopérative qui propose de la « location » de chauffeur sans voiture, avec une soixantaine de micro-franchisés installés à ce jour.

Nous avons d’autres projets, notamment dans le secteur de la livraison de colis à vélo en liaison avec des enseignes de distribution, autre piste, le repassage à domicile avec des chaînes de pressing. Je crois aussi beaucoup aux perspectives qui s’ouvrent dans le développement durable, par exemple en matière d’isolation des bâtiments : il y a une demande ; nous avons identifié un procédé innovant et nous pourrions, sur ce créneau, monter une nouvelle franchise avec un modèle économique viable et peu d’investissement au démarrage …

Mais je vais vous dire que je dois me battre contre un tas de réglementations et de complexités administratives qui empêchent le développement d’activités et d’emplois dans des secteurs (petits travaux de réparation à domicile ; entretien de vélos ; etc.) pour lesquels on exige des créateurs qu’ils possèdent un CAP … alors que ces personnes qui ont déjà une expérience professionnelle devraient pouvoir bénéficier d’une VAE (validation des acquis de l’expérience) …
Je vais en parler au gouvernement !

* A propos de l’Adie (association pour le droit à l’initiative économique)

L’Adie aide des personnes exclues du marché du travail et du système bancaire à créer leur entreprise et donc leur propre emploi, par des microcrédits, assortis de prêts d’honneur, de primes ou d’avances remboursables (de l’Etat ou des collectivités). L’Adie accompagne ces micro-entrepreneurs avant, pendant et après la création de leur entreprise afin d’assurer la pérennité de leur activité.

En 2013, l’Adie a distribué un peu plus de 14 000 microcrédits destinés à la création d’entreprise d’un montant moyen de 3 800 euros sur deux-trois ans.

L’association travaille aussi à l’amélioration de l’environnement institutionnel du microcrédit et de l’entrepreneuriat.

Maria Nowak et Catherine Barbaroux, Adie * Catherine Barbaroux, IEP Paris, a une double expérience, dans le secteur public et dans le secteur privé. Elle a exercé notamment les fonctions de DRH de Prisunic, puis au sein du Groupe Printemps-Redoute (devenu PPR, puis Kering). Elle a aussi dirigé un organisme d’études et de conseil, Entreprise et Personnel. Dans la sphère publique, Catherine Barbaroux a notamment travaillé auprès de Michel Crépeau, ministre du commerce et de l’artisanat (1983). Des années plus tard, auprès de Martine Aubry au ministère du Travail, elle a exercé les fonctions de déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle (de1999 à 2005). Elle a été ensuite la directrice générale des services du Conseil régional d’Ile-de-France (2005-2010). Et c’est en mars 2010 qu’elle rejoint le Conseil d’Administration de l’Adie (association pour le droit à l’initiative économique). En mars 2011, elle a succédé à Maria Nowak à la présidence de l’Adie.
Catherine Barbaroux est aussi, depuis mai 2013, présidente du Conseil d’Orientation de la Fondation Agir Contre l’Exclusion (Face).

Rappelons que Maria Nowak a créé l’Adie en 1989 en s’inspirant de l’action de Mohamed Yunus, un économiste du Bangladesh, créateur de la première institution de microcrédit au monde, la Grameen Bank - ce qui lui a valu le Prix Nobel de la Paix en 2006.
Maria Nowak préside l’Adie International.