Essai

Denis Pennel
« Travailler pour soi -
Quel avenir pour le travail à l’heure de la révolution individualiste ? »
  

Éditions du Seuil - 2013

Le travail change. Le rapport au travail change. Mais le contrat de travail a-t-il changé ? Denis Pennel, homme de communication et expert en ressources humaines **, interroge dans son essai la relation à l’emploi confrontée à la "révolution individualiste" : « l’aspiration des individus à un travail épanouissant et adapté à leur projet de vie contraint entrepreneurs et gouvernants à repenser la relation d’emploi et le modèle social. »
Comment repenser le "lien de subordination" et redéfinir le sacro-saint CDI à la lumière des mutations sociétales ? Comment réconcilier l’individu et le collectif ? Les salariés peuvent-ils maîtriser l’aménagement des tâches dans leur job ? Quelle place prendra le travail indépendant dans notre société dominée par le salariat ?

Autant de questions fondamentales abordées dans cet essai que nous présente Michel Paysant, fondateur et rédacteur en chef de la Cybergazette, le Webzine des professionnels indépendants.



« Travailler pour soi - Quel avenir pour le travail à l’heure de la révolution individualiste ? »
Editions du Seuil - 2013

Présentation de l’essai de Denis Pennel par Michel Paysant, rédacteur en chef de La Cybergazette

« Le futur du travail est déjà parmi nous, » s’exclame Denis Pennel ** au début de son livre.
Le modèle dominant, d’une efficacité inégalée durant les Trente Glorieuses, s’est périmé progressivement : globalisation et tertiarisation de l’économie, informatisation – et maintenant informatisation mobile –, nouvelles formes d’organisation du travail ... et nouveaux modes de production ont miné le contrat de travail standard.

La localisation des espaces de travail s’est disséminée, la délimitation des horaires de travail a éclaté, les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle se brouillent, la gestion même des ‘ressources humaines’ s’est individualisée, les générations ‘X’ et ‘Y’ des nouveaux arrivants donne des cauchemars aux managers, en attendant la génération ‘Z’ ou ‘Millenial’ ...

Pourtant comme le disent toutes les belles communications internes : « l’objectif de l’entreprise, c’est l’humain ! » Eh bien, l’humain a pris ce slogan au pied de la lettre. C’est le fil directeur du livre de Denis Pennel. Étouffé par le taylorisme, l’humain prend désormais le large : « L’essor de l’individualisation est en train d’engendrer les bouleversements les plus significatifs sur l’emploi. » Et de citer cette évidence émise par un autre auteur : «  La liberté vient non pas de l’absence de contraintes, mais du choix des contraintes assumées et replacées dans un projet individuel »(1).

Cette individualisation se manifeste déjà dans tous les aspects de la vie en société : modes de consommation, pratiques religieuses, zapping de la radio et de la télévision, et même jusqu’aux contractualisation des relations amoureuses : union libre, pacs, mariage civil ou religieux… Le modèle uniforme est dépassé.

"Artisanat de masse"

Il en est de même dans l’ « emploi », et c’est une lame de fond, que la crise actuelle a freiné mais n’a pas arrêté : « La prochaine reprise économique va être sanglante pour les entreprises », prédit l’auteur. Il ne s’agit pas de la « fin du travail », mais du passage de la mécanisation à l’artisanat de masse.

Comment réconcilier l’individu et le collectif ?

Denis Pennel aborde les conséquences (prévisibles) de cette mutation :
des trajectoires professionnelles discontinues, l’obsolescence du droit du travail face à cette précarité « choisie » - et la mise en cause de la ‘subordination’ : « Dans le système fordiste, la subordination était la condition de la productivité. Dans l’économie du savoir, l’autonomie et la liberté sont les conditions de l’efficacité. Jean-Emmanuel Ray » – et, enfin, l’émiettement d’une protection sociale organisée autour d’un emploi salarié à vie...

Pour pallier ces aléas, l’auteur évoque les thèmes propres à mieux organiser le travail salarié, mais aussi le travail indépendant : droits et avantages sociaux « portés et transférables », attachés à la personne (quel que soit le statut) et non plus au contrat de travail.

Médiateurs. Mais il envisage aussi sérieusement le rôle des "intermédiaires", qu’il voit de plus en plus indispensables : « formation, aide à la recherche d’emploi, suivi des carrières, conseils en matière d’orientation professionnelle, assistance juridique sur la contractualisation du travail (quel type de contrat [’travail’ ou ’service’] ou de statut professionnel est préférable pour tel ou tel travailleur ? »

Une sorte d’« agent » comme pour les « sportifs, acteurs, musiciens ou top models », ou alors des agences – commerciales ou « communautés de talents » – contribuant à cette fonction en apportant, vis-à-vis des travailleurs comme des entreprises, une réelle expertise de conseil, de responsabilité juridique, de gestion administrative et de « dimension humaine », dans le contact avec les individus comme dans l’évaluation des entreprises...

Quinze propositions

Le livre se termine par quinze propositions d’évolution des mentalités et des institutions : portabilité et transférabilité des droits sociaux, formation continue (« développer le savoir-faire, mais aussi le savoir-être »), favoriser le développement des intermédiaires, encourager les nouvelles solidarités, etc.
De quoi alimenter des « commissions paritaires » pour quelques années, mais « il y a urgence pour agir » conclut l’auteur.

« Etre soi tout en travaillant », telle est la nouvelle volonté des travailleurs qui provoque cette transformation du rapport au travail et de son organisation, même si elle est difficile à percevoir au milieu d’un monde en bouleversement et d’un contexte macro-économique incertain.
Les professionnels indépendants ont déjà voté, avec leurs pieds, en optant pour ce modèle. Il est toutefois nécessaire que l’environnement sociétal, économique, social, syndical, politique s’y adapte à son tour. Puisse ce livre faire avancer le schmilblick ...

Michel Paysant, La Cybergazette

(1) François de Singly,« Les uns avec les autres, quand l’individualisme crée du lien », Fayard, coll. Pluriel, 2010.

- « Travailler pour soi - Quel avenir pour le travail à l’heure de la révolution individualiste ? » de Denis Pennel - Éditions du Seuil, 240 pages - 2013

** Denis Pennel est directeur général de la CIETT, la fédération mondiale des services privés pour l’emploi depuis 2005. A ce titre, il travaille en relation étroite avec le Bureau international du travail (BIT), les institutions européennes, et le monde syndical et patronal. Auparavant, Denis Pennel a occupé, entre autres, les fonctions de directeur de la communication institutionnelle de Manpower France. Il est l’auteur de nombreux articles sur le marché du travail.

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