La chronique de Jacques Gautrand - Décembre 2011/Janvier 2012

Le Gouvernant, l’Entrepreneur et le Banquier : fantaisie à trois personnages  

Un spectre hante l’Europe, celui de la récession ...

Tiens, tiens, on n’entend plus pavoiser les partisans de la "décroissance". Pas besoin de l’appeler de leurs voeux. Elle est à nos portes !

Désormais, tous les décideurs, gouvernants et opposants réunis, invoquent le besoin de Croissance, comme hier les processions rogatoires dans les terres arides du Bassin Méditerranéen imploraient le Ciel de faire tomber une pluie fécondante.

Mais les élites dirigeantes (n’en déplaise à certains qui promettent aux foules des lendemains radieux) n’ont pas de baguette magique pour faire surgir la croissance. Telle la source d’un rocher comme Moïse dans le désert ...

Car ce ne sont pas les gouvernants qui produisent la croissance et la prospérité. Sinon Cuba et l’Union soviétique auraient été des paradis d’abondance vers lesquels la planète entière aurait souhaité immigrer ...

La croissance ne se décrète pas. Elle est la résultante d’une multitude d’attitudes et d’actions individuelles : acheter, consommer, investir, épargner, créer, embaucher, etc.
Pour obtenir tout cela, il faut un « facteur de production » indispensable, qui n’est ni le capital, ni le travail, et qui s’appelle la confiance.

Or c’est bien la confiance qui fait le plus défaut aujourd’hui.
Confiance dans l’Euro. Confiance dans les banques. Confiance dans les gouvernants. Confiance dans les élites dirigeantes. Confiance dans les experts ...

La confiance ne se décrète pas non plus.
Croissance et confiance sont deux sœurs jumelles.
La confiance procède du vivre ensemble ; du respect de règles communes ; du respect d’autrui ...



Fantaisie à trois personnages

La confiance s’accorde à celui qui accepte d’être responsable, c’est-à-dire de répondre de ses actes. Il n’y pas de confiance sans considération réciproque.

Pour qu’il y ait confiance dans un groupe humain, il faut que chacun des acteurs adopte un comportement responsable et respectueux des autres.

Et c’est bien ce qui fait défaut aujourd’hui.

Si la méfiance est si difficile à dissiper, c’est que les principaux acteurs sont discrédités aux yeux des opinions publiques et des citoyens.

Les financiers en général et les banques en particulier, accusés, après la grave crise des subprimes, de n’avoirt pas réussi à réformer leurs pratiques et leurs dérives ; de préfèrer les "placements spéculatifs" au financement de l’économie productive ...

Les gouvernants européens, discrédités par leur mauvaise gestion des deniers publics, et leur incapacité immédiate à remettre en ordre la "maison commune", ils sont accusés de faire payer aux peuples (par des politiques restrictives) leur inconséquence ...

Les grands groupes privés qui, en délocalisant à tout va, ont détruit l’emploi et aggravé le chômage, à seule fin de servir des actionaires toujours plus avides ...

Ce diagnostic est caricatural, j’en conviens, mais face à l’incapacité des élites à produire un futur lisible et mobilisateur (donc générateur de confiance !), telle est la litanie que l’on entend autour de soi, reprise par de nombreuses personnes, de différentes conditions, et qui se sentent déboussolées, désemparées. Et qui attendent de nos élites dirigeantes un comportement plus responsable.

Le Gouvernant, l’Entrepreneur et le Banquier

Pour résumer l’embarras de notre situation présente et notre difficulté à en sortir, je vous propose une saynète librement inspirée de l’actualité.

- Le Gouvernant convoque l’Entrepreneur et lui dit : « Faites-moi de la croissance ! »

- L’Entrepreneur répond : « Faites-moi donc une bonne politique et je vous ferai une bonne économie. Car j’ai besoin de règles claires et stables pour me développer, investir et embaucher … Au lieu de quoi vous changez les lois et les règles tout le temps et mes charges ne cessent d’augmenter … »

- A ces mots, le politique, retrouvant soudain des accents de sincérité réplique : « Sachez, mon cher, que, du fait de ma gestion laxiste et impécunieuse, les caisses de l’Etat sont vides. C’est pourquoi je me vois contraint d’augmenter les impôts et les prélèvements sur ceux qui travaillent et produisent, comme vous, pour pouvoir faire fonctionner la machine publique ; et redistribuer à toutes les catégories sociales que nous assistons et qui votent pour nous (je dois préserver la paix sociale !). Et je dois désormais emprunter des sommes croissantes sur les marchés financiers, non seulement pour couvrir le tiers de mes dépenses mais aussi pour rembourser les intérêts de ma dette … Et, si je perds mon triple A, ces emprunts vont me coûter encore plus cher … »

- L’Entrepreneur lui suggère alors : « Ne pourriez-vous pas faire quelques économies, réduire vortre train de vie et votre masse salariale ; être plus efficace ? C’est bien ce que nous faisons, nous entrepreneurs, quand la conjoncture se retourne et que nos commandes baissent ... »

- « Mais, rétorque le Gouvernant, mon cher, je vois que vous n’entendez rien à la gestion publique ; ce n’est pas moi qui décide mais mon Administration - et ses représentants syndicaux. Sans elle, je ne peux rien et si je réduis les dépenses et les postes, ils se mettront aussitôt en grève et la machine se grippera ... Vous voudriez une guerre civile ? »

- Sur ce, le Gouvernant convoque le Banquier et lui demande de lui prêter encore de l’argent sous peine de voir les fonctionnaires descendre dans la rue s’ils ne sont plus payés à la fin du mois …

- Ainsi, quand l’Entrepreneur se rend chez le Banquier, celui-ci lui dit : « Cher client, vous projets sont très intéressants, innovants et imaginatifs, mais je ne peux plus vous prêter car j’ai déjà prêté plus que de mesure à notre gouvernement ; et celui-ci me demande maintenant des délais pour rembourser sa dette … De plus nos règles prudentielles internationales nous interdisent désormais de prêter à tort et à travers ... Euh, comme nous l’avons fait il n’y a pas si longtemps - on aurait peut-être mieux fait de prêter aux PME plutôt que d’investir en subprimes ... se reprenant soudain :cela je vous le dis en off-off parce que vous m’êtes sympathique, mais surtout ne le répétez pas à vos collègues ... »

- Alors notre Entrepreneur qui ne se laisse pas facilement décourager (sinon, il ne serait pas entrepreneur), comme il a plein d’idées en tête, sur des produits et services qu’il veut lancer, il décide de s’expatrier vers d’autres pays où les gouvernants taxent faiblement ceux qui entreprennent, où les banquiers et les business angels sont disposés à faire confiance à l’initiative individuelle, à soutenir l’inventivité, et où il trouvera la considération des médias et de l’opinion publique …
Vous pensez peut-être que ces pays n’existent pas sur la planète ?
Cherchez bien. Je suis sûr que vous trouverez.

J’espère que cette saynète [toute resemblance avec la réalité est pure fiction, comme l’on dit], à défaut de vous divertir, stimulera votre méditation.

En attendant, je nous souhaite une très bonne année 2012 !

Jacques Gautrand
jgautrand [@] consulendo.com