Pourquoi nos PME ont-elles du mal à grossir ?  

Par André Letowski

Les causes des faiblesses des PME françaises sont, hélas, bien connues : financements inadaptés, partenariat insuffisant entre PME ainsi qu’entre grands groupes & PME, individualisme des grandes entreprises, rachat des PME les plus dynamiques, forte aversion au risque chez les élites, trop peu d’entreprises exportatrices ... Expert en entrepreneuriat, André Letowski rend compte dans cet article des conclusions d’un intéressant rapport de l’Institut Montaigne (*) ainsi que de la première étude annuelle OSEO-DGCIS sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

(*) « De la naissance à la croissance : comment développer nos PME » Institut Montaigne - Juin 2011



Pourquoi nos PME ont-elles du mal à grossir ?

L’intéressant rapport publié en juin par l’Institut Montaigne (*) dresse le constat des principaux handicaps des PME françaises.

Faiblesse et déséquilibre du tissu des entreprises en France :

- Nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) : 4 195 entreprises de plus de 250 salariés et plus, soit deux fois moins qu’en Allemagne (10 428) et qu’en Grande-Bretagne (10 021) ; idem pour le chiffre d’affaires moyen qui deux fois moins élevé.

- Il n’y a pas assez d’entreprises exportatrices. Conséquence : notre déficit commercial ne cesse de se creuser ! On dénombre à peine 90 855 exportateurs en France contre 184 000 en Italie et 364 000 en Allemagne ! En France, 57 % des ventes à l’étranger sont réalisées par les entreprises exportatrices employant plus de 250 personnes, alors que les PME de moins de 20 salariés ne réalisent que 18% des exportations …
L’Allemagne totalise 29,4% des exportations de l’eurozone alors que la France n’en fait seulement que 12,1% …

- Les grands groupes français performants dépendent de moins en moins de l’environnement économique national : selon le classement de Fortune Global 500, la France a le plus grand nombre de ces grands groupes en Europe (39 contre 37 en Allemagne et 29 en Grande-Bretagne).

- Le « plafond de verre » que rencontrent les entreprises françaises dans leur développement :

Le financement :

- Un investissement direct ou indirect important dans l’immobilier qui réduit la capacité de développement et illustre une certaine aversion au risque. 80% des entreprises françaises sont propriétaires de leur immobilier contre 30% des entreprises américaines (les entreprises françaises cotées ne possèdent que 34% de leur immobilier de bureaux contre 43% pour les sociétés non cotées).

- Le rôle ambivalent des subventions publiques notamment pour les entreprises innovantes : La création d’entreprises innovantes en France dépend souvent de la subvention publique ; dans d’autres pays, elle repose plus facilement et plus directement sur des capitaux privés. Dans le cas de la montée en capital des start-up technologiques françaises, le capital privé arrive trop tardivement dans ce processus.

Ce système de financement – avec au final peu ou pas de contrepartie – risque d’entretenir une relation biaisée entre le créateur d’entreprise et les réalités financières.

Ces dispositifs sont par ailleurs trop nombreux : 20 dispositifs d’aide aux jeunes entreprises innovantes octroyés par 10 organismes différents …

- Les Business Angels constituent le maillon faible dans la chaîne de financement et de développement des « jeunes pousses » : la France ne compte que 4 000 Business Angels alors que le Royaume-Uni dispose d’un réseau estimé à 40 000 !

- Les incitations fiscales en direction des particuliers pour l’investissement dans les PME ne sont pas suffisamment avantageuses et sont en diminution.

Les relations entre PME et grandes entreprise marquées par un rapport de force déséquilibré entre donneurs d’ordres et fournisseurs.

Le principal problème concerne certaines pratiques commerciales illégales des grands groupes qui pénalisent nos PME : auto-facturation, imposition de pénalités de retard abusives, récupération de la plus grande partie de la marge, appropriation des innovations de leurs sous-traitants, rupture brutale de la relation commerciale sans indemnisation, délocalisation forcée, etc. En réalité, la loi encadre de telles pratiques avec un dispositif très complet ; elle n’est simplement pas appliquée !

Les partenariats confiants entre PME sont beaucoup trop rares, contrairement au modèle italien qui favorise notamment les consortiums d’exportation.
Un consortium d’exportation est l’alliance volontaire d’entreprises dont l’objectif est de faciliter l’accès aux marchés étrangers. Les entreprises gardent non seulement leur indépendance financière, légale et leur autonomie de gestion, mais également leur indépendance dans la commercialisation de leurs produits. L’Italie compte aujourd’hui 500 consortiums d’exportation multisectoriels contribuant à hauteur de 10 % des ventes à l’étranger. Ces consortiums comprennent au total 12 500 entreprises dont plus de la moitié n’emploient qu’entre 10 et 49 personnes.

Sans oublier d’autres handicaps :

 Le retard français dans l’apprentissage de l’anglais.

 Les relations entre l’université et les PME : La création d’entreprises innovantes passe par une approche transversale des connaissances, la « cross-fertilisation », un comportement encore trop peu promu et inexploité ; une place trop faible de nos universités dans la création innovante.

 Les entreprises innovantes françaises se font racheter par des concurrents étrangers.

La culture de l’entrepreneuriat est sous-valorisée en France, et ce à tous les niveaux de l’éducation.

Très peu d’étudiants issus de l’enseignement supérieur deviennent des entrepreneurs. Pourquoi ?
Un réflexe de « confort » dans les parcours professionnels pousse les étudiants vers les grandes entreprises plutôt que vers l’entrepreneuriat, trop souvent perçu comme une voie risquée.

- L’innovation par l’entrepreneuriat est socialement moins valorisée en France qu’à l’étranger.

- Des freins administratifs, culturels ou financiers existent également quant à l’application et à la mise en œuvre des idées. Ils témoignent d’une forte aversion des élites au risque, comme le montre la faible part consacrée au capital-risque dans l’investissement français.

Les propositions de l’Institut Montaigne.

Après un tel constat , l’Institut Montaigne fait 11 propositions. Parmi celles-ci :

- Inverser la logique qui prévaut actuellement où la subvention publique vient d’abord : Business Angels et capital-risqueurs devraient presenter aux autorités régionales les projets dans lesquels ils ont décidé d’investir et proposer aux collectivités d’investir le même montant aux mêmes termes.

- Inciter les grands groupes à avoir leur propre fonds d’investissement en interne pour investir dans des start-up ou des PME, ou faire participer ces groupes à des fonds par filière sur le modèle du Fonds de modernisation des équipementiers automobiles et la CGPME.

- Rendre obligatoire le stage en PME ou en ETI pour les élèves de grandes écoles y compris ceux de l’ENA.

- Développer la culture de l’entreprise et de l’entrepreneuriat dès l’entrée au lycée.

-  Améliorer les conditions d’accueil pour les entrepreneurs étrangers souhaitant développer un projet d’entreprise sur le territoire français.

- Faire des approches pluridisciplinaires et transdisciplinaires une priorité au sein des cursus universitaires ; multiplier les Creative Spaces ; décloisonner la carrière des enseignants chercheurs dans une seule discipline...

- Développer les filières « innovation et entrepreneuriat » au sein des cursus universitaires.

* Plus d’infos sur le site de l’Institut Montaigne : « De la naissance à la croissance : comment développer nos PME »

Les « ETI » envisagent l’avenir avec confiance

Source : enquête annuelle OSEO/DGCIS publiée de 4 juillet 2011 : « la conjoncture des entreprises de taille intermédiaire »

Selon les résultats de la première enquête de conjoncture menée conjointement par la DGCIS et OSEO auprès des entreprises de taille intermédiaire (ETI), celles-ci se montrent confiantes dans leur avenir ; elles misent sur l’innovation et l’internationalisation pour se développer.

56% des ETI envisagent une hausse de leur chiffre d’affaires et 7% une baisse. La taille de l’effectif a peu d’incidence sur ces résultats. En revanche le fait d’être innovant, ou/et exportateur est plus signifiant.

Les prévisions de croissance sont, en effet, plus fortes que la moyenne pour les ETI innovantes. Elles augmentent également sensiblement avec la part de l’activité réalisée à l’international.
Dans l’échantillon, 58% des entreprises sont innovantes : leurs prévisions de hausse de CA sont quasiment deux fois plus importantes que les non innovantes !

- 54% des ETI réalisent à l’export moins de 5% de leur chiffre d’affaires ; 19% de 5 à 25% et 27% plus de 25%. Les prévisions de hausse du CA sont, là encore, quasiment deux fois plus importantes pour celles qui exportent.

D’ici fin 2011, 37% envisagent d’accroitre leur effectif et 9% le diminuer, notamment les entreprises les plus importantes en taille, dont une part des effectifs est à l’étranger.
Les 2/3 des ETI ont tout leur effectif salarié en France, 7% au moins 95%, 12% de 75 à 95% de leur effectif et 15% moins des trois-quarts.

- 43% des ETI prévoient une hausse des investissements matériels et immatériels (et des intentions favorables de les développer), et une diminution pour 18%. Cette hausse est plus marquante dans le commerce et les services, chez les innovantes et les plus internationalisées.

- Un quart d’entre elles ont créé une filiale en 2010, et 28% l’envisage en 2011, notamment les plus grandes et les plus internationalisées.

- 37% des ETI sont implantées à l’étranger (71% pour celles qui réalisent au moins 25% de leurs ventes à l’export), avec en moyenne 2,2 filiales. 72% sont implantées dans l’Union Européennes, 31% en Amérique du nord, 30% en Asie.

- 31% en 201 ont pris des participations dans d’autres entreprises et 40% l’envisagent en 2011.

- 56% ont autofinancé leurs investissements, La trésorerie est aisée pour 22% d’entre elles, et normale pour 59%. Les ETI innovantes et les plus internationalisées bénéficient de trésoreries les plus aisées.
Seulement 4% disent avoir eu des difficultés majeures d’accès au crédit et 25% quelques difficultés d’accès.

- 37% des ETI jugent contraignantes les garanties exigées par les banques pour l’obtention de concours de trésorerie ; nettement moins pour le coût d’assurance (15%) ou le taux de crédit (21%).

N.B. Les Entreprises de Taille Intermédiaire (selon un décret de décembre 2008) occupent entre 250 et 5 000 personnes et ont un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliard d’ €. L’enquête OSEO-DGCIS a été réalisée en mars auprès de 479 répondants dont le questionnaire a été validé. Dans l’échantillon de l’étude, 29% ont moins de 250 salariés, 60% de 250 à 999 salariés et 11% de 1 000 à 5 000 salariés ; 36% appartiennent au secteur du commerce /transport/hébergement, 35% à celui de l’industrie/construction et 29% à celui des services. 1/3 sont localisées en Ile-de-France.

André Letowski

- Enquête Oseo-DGCIS 2011 : « La conjoncture des entreprises de taille intermédiaire »

L’ASMEP-ETI : un syndicat pour promouvoir les entreprises de taille intermédiaire

- Créé et présidé par Yvon Gattaz, l’ASMEP-ETI regroupe des dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire. Ces 4.600 entreprises reconnues par la loi de modernisation économique de 2008, représentent 21% de l’emploi salarié et réalisent un tiers des exportations françaises. l’ASMEP-ETI a pour vocation de représenter et promouvoir ces entreprises particulièrement dynamiques, en faisant des propositions dans toutes sortes de domaines où elles excellent : Emploi - Exportation - Innovation - Marchés publics - Maillage du territoire, etc.
« Majoritairement, les Entreprises de taille intermédiaire sont des entreprises patrimoniales, qui appartiennent à une personne, une famille ou des associés. Cette structure du capital leur permet de prendre des décisions stratégiques et à long terme, sans la pression de financiers comme cela peut arriver dans les grandes entreprises. »