« Le patron, le footballeur et le smicard » de Philippe Villemus  

Editions Dialogues

Ex-manager international, aujourd’hui professeur de gestion, Philippe Villemus s’interroge sur la notion de juste rémunération. Les PDG des grands groupes sont-ils trop payés ? Les footballeurs méritent-ils leurs salaires  ? Pourquoi les stars du CAC 40, du football et du show-biz gagnent-elles 300 ou 400 fois plus qu’une infirmière, qu’un instituteur ou qu’un paysan  ? Leur contribution économique et sociale justifie-t-elle des écarts faramineux de rémunération - qui choquent l’opinion publique ?

Rémy Arnaud rend compte pour Consulendo.com du dernier livre de Philippe Villemus, professeur en sciences de gestion au groupe Sup de Co Montpellier, consultant et conférencier.



Les très hauts salaires sont-ils vraiment justifiés ?

Editions Dialogues 2011Quelle est la valeur du travail ? Qu’est-ce qu’une juste rémunération ?
Philippe Villemus focalise son attention sur la petite frange des Français qui émargent à plus d’un million d’euros par an, soit plus de 80 fois le SMIC... Il ne sont pas très nombreux dans notre pays, 0,01% de la population active, même si on en parle beaucoup et si l’opinion publique, régulièrement, s’en émeut. (1)

L’ex haut cadre du Groupe L’Oréal s’intéresse plus particulièrement à deux types de salariés très bien rémunérés : les grands patrons, à commencer par ceux du CAC 40 (les valeurs vedettes de la Bourse de Paris) et les stars du football. Leurs salaires qui atteignent jusqu’à 300 à 400 fois le SMIC, sont connus du grand public en raison de la médiatisation dont ils font l’objet. Des chiffres qui scandalisent les uns, font rêver les autres, et dans tous les cas suscitent débats et controverses.

Philippe Villemus sait de quoi il parle : il a cotoyé Lindsay Owens-Jones, son ex-patron chez L’Oréal, alors le mieux payé du CAC 40. Et dans une autre vie, l’auteur, grand amateur de football, fut directeur du marketing du Mondial de 1998, aux cotés d’une de nos anciennes gloires du ballon rond, Michel Platini ...

La première partie de son livre constitue une étude assez fouillée de la notion de salaire : son évolution dans le temps et ses pratiques d’aujourd’hui. L’occasion pour Philippe Villemus de nous astreindre à une utile révision de quelques principes d’économie sur la "valeur" du travail.

Il s’intéresse ensuite aux salaires des grands patrons et ceux-ci ne sortent pas indemnes de son analyse. D’abord, une évidence : au cours des dernières décennies, leurs rémunérations ont beaucoup plus augmenté que celles des salariés, et cela sans véritable justification économique. Qu’on en juge. En 1989, Jacques Calvet , alors PDG du groupe Peugeot gagnait l’équivalent de cinquante SMIC ; vingt ans plus tard, un de ses successeurs percevait 400 SMIC ! Pourquoi une telle inflation ?

Il n’y a pas de "Mercato" mondial des grands patrons

Contrairement à ce que déclarent certains défenseurs de ces dérives salariales, il n’y a pas de "marché mondial" des grands patrons, la concurrence joue peu sur un marché resté en définitive circonscrit aux frontières nationales : on n’a pas vu Boeing offrir un poste à Noel Forgeard lorsqu’il fut obligé de quitter EADS ... Ces hauts dirigeants possèdent-ils un talent exceptionnel par rapport à d’autres managers ? Certes, la plupart sont doués, mais combien, dans leur génération, ont autant de compétences et gagnent infiniment moins qu’eux ?

Ont-il une puissance de travail exceptionnelle ? Ils ne sont pas des paresseux, mais beaucoup de modestes patrons de PME travaillent tout autant qu’eux, sont bien moisn secondés et assistés, pour des revenus sans commune mesure. Alors pourquoi un tel écrat croissant qui défie le bon sens ?

Philippe Villemus explique l’inflation des revenus des grands patrons par divers facteurs. A commencer par l’accroissement de la taille de nos grandes entreprises et leur développement international ; mais surtout par le système très français de cooptation des élites : les dirigeants voient ainsi leur salaire fixé par des comités de rémunération composés de "clones" qui leur sont acquis. Ajoutons à cela la part considérable prise par les compléments de salaires qui sont apparus dans le sillage de la financiarisation de l’économie : distribution généreuse de stock-options aux PDG, "parachutes dorés" attribués même en cas d’échec, "retraites-chapeau" plus que confortables ...

Le footballeur est devenu un actif financier ...

Sur les footballeurs, Philippe Villemus se livre à une analyse tout aussi fouillée. Mais si leurs rémunération est d’un niveau comparable à celles des grands PDG, pour les plus talentueux, elle obéit aux lois classiques du marché . Une star du football est un produit rare, donc cher ! Les clubs riches et ambitieux en ont absolument besoin pour assurer leur palmarès mais aussi pour soutenir leur politique de merchandising (vente de produits dérivés), les deux étant liés ... Le joueur devient un véritable "actif" d’une entreprise qui est susceptible d’être vendu. D’où la surenchère à laquelle se livrent les grands clubs européens pour les attirer. Ajoutons que les transfert internationaux des stars se font très facilement, ce qui élargit d’autant leur marché : faire passer Karim Benzéma de Lyon au Real de Madrid est plus facile que de transférer le président d’EDF dans une entreprise américaine !

De ces différentes situations, quelles conclusions en tire l’auteur ?

D’abord il observe que la valeur du travail est avant tout subjective et en aucune façon rationnelle. Mais il lui était difficile, après avoir dénoncé les excès les plus choquants des hautes rémunérations, de ne pas tenter quelques recommandations pour remédier aux abus les plus criants.
Ainsi Philippe Villemus préconise-t-il d’instaurer pour les grands patrons un SMAX, un "salaire maximum" plafonné à la hausse, sorte de SMIC à l’envers. Rejoignant ainsi les prises de position de certains hommes politiques de gauche et d’extrême-gauche. Mais l’auteur se fait fort de de rappeler le souhait du banquier américain Rockfeller, peu suspect de gauchisme, qui recommandait de se limiter à un écart de un à vingt entre le salaire du PDG et celui du plus modeste employé. Transposée aujourd’hui, cette auto-modération patronale porterait les plus hautes rémunérations à 300 000 euros. Ce qui correspond pour certains actuellement à leur salaire… mensuel.
L’auteur recommande aussi pour les footballeurs le même souci de modération, le Salary Cap, en vigueur dans le basket américain, pouvant servir d’exemple ...

Philippe Villemus met à nu l’absurdité d’un système où la rareté l’emporte sur l’utilité, la valeur économique et financière sur la valeur sociale et morale, l’intérêt particulier sur l’intérêt général, le copinage sur le mérite. Conséquence de tels excès et dérives ? La valeur du travail se déprécie dans la masse des travailleurs pauvres ou précaires qui observent avec dégoût les gains phénoménaux d’une poignée de privilégiés.

Un diagnostic sans complaisance, même si l’auteur est bien conscient de la difficulté de tout changer. Soyons sûr, en tout cas, que son sujet continuera à alimenter bien des débats.

Rémy Arnaud

- « Le patron, le footballeur et le smicard » de Philippe Villemus
Editions Dialogues -2011 - 305 pages (19,90 euros)

- (1) La Pyramide des rémunérations du travail selon Ph. Villemus : « Les très hautes rémunérations, supérieures à 100 000 euros net, concernent moins de 300 000 personnes, soit 1% de la montagne des rémunérations des actifs français. La cime, vertigineuse, est une pointe incroyablement acérée. Elle est constituée des « très très hautes rémunérations » (TTHR), supérieures à un million d’euros. Elle concerne un millier de personnes environ : patrons de grandes entreprises, footballeurs, autres sportifs professionnels, quelques dizaines de traders et divers chanteurs, acteurs, top mannequins ou designers. »

- A propos de l’auteur.
Il y a une dizaine d’années, la photo de Philippe Villemus , 50 ans aujourd’hui
, figurait en tête d’une liste de "jeunes surdoués" présentés par le magazine L’Expansion comme les « Cinquante jeunes loups du capitalisme français ». Ce diplômé de l’ESCP, docteur en gestion, spécialiste en marketing, présidait alors Helena Rubinstein, une des filiales les plus prestigieuses du groupe L’Oréal. Un poste idéal pour accéder aux plus hauts sommets de la multinationale de la beauté. Ce ne sera pourtant pas son destin. Après avoir pesé le pour et le contre, ce cadre familier des multinationales (Colgate-Palmolive, M&M’s-Mars avant L’Oréal) décide en 2003 de changer de vie. Trop de stress, trop de déplacements, trop de travail et pas assez de réflexion intellectuelle ... Il s’installe à la campagne, à quelques kilomètres de Montpellier dont il est originaire et se met à son compte comme consultant. Sup de Co Montpellier en fait un des ses professeurs vedettes ; il collabore aussi au quotidien régional « Midi Libre », écrit des livres (« le Patron, le footballeur et le Smicard » est son seizième opus ). Il est aussi consultant international en marketing. Une autre vie qui lui procure une plus grande liberté loin du tumulte parisien.