La chronique de Jacques Gautrand - Juillet-août 2011

Pour créer des emplois ... il faut créer des employeurs !  

Au cours de son second septennat, François Mitterrand a dit à propos du chômage de masse : « On a tout essayé » ... Amer constat d’échec d’une politique fondée sur l’illusion du "partage du travail" - comme si le travail était un gâteau fini à répartir équitablement entre convives ... En réalité, c’est le contraire en économie ouverte : l’emploi crée l’emploi ! Les plans sociaux et les mises en préretraite massives des trente dernières années l’ont bien montré : loin de reculer en France, le chômage est passé de 1 million de personnes en 1980 à 4 millions aujourd’hui ...

Si l’on veut créer de l’emploi ... il faut créer des employeurs ! *

La France a aujourd’hui besoin de susciter des millions d’emplois pour résorber son chômage structurel et éviter la faillite de son système de protection sociale.
Et ce n’est pas le secteur public, en raison de la charge écrasante de la dette et des déficits accumulés, qui va pouvoir créer ces emplois - sauf à la marge, en remplaçant les départs en retraite.

Telle est la clé de notre prospérité future ; la seule réponse aux déficits dangereux des comptes sociaux : créer massivement des emplois dans le secteur marchand !

Cette question devrait hanter les candidats à la présidentielle ... mais elle est souvent éclipsée par d’autres sujets de débats "politiciens" qui fournissent à nos hommes politiques l’occasion de se donner de l’importance, alors que leur pouvoir en matière économique s’est considérablement rétréci au cours des dernières décennies. Ils n’ont pas, en effet, de baguette magique pour créer des emplois : seules les entreprises créent l’emploi.

Cependant les politiques ont un pouvoir décisif - qu’ils peuvent manier à bon ou mauvais escient : stimuler ou décourager les employeurs. Il est, en effet, de leur responsabilité de créer un environnement favorable, permettant aux entreprises de se développer, de renforcer leurs capitaux propres, d’investir dans l’innovation comme dans leurs équipements et d’embaucher. Au premier rang des leviers à la disposition des politiques, il leur incombre de réduire le poids des contraintes réglementaires, sociales et fiscales qui pèsent sur les plus petites des entreprises, les plus nombreuses !

* La formule a été forgée par André Mulliez, chef d’entreprise emblématique de la Région Nord et fondateur de Réseau Entreprendre  : « Pour créer des emplois, il faut créer des employeurs ! », ne se lassait-il pas de répéter.



Voici quelques-uns des leviers sur lesquels devraient "appuyer" nos dirigeants (et futurs dirigeants) politiques pour encourager les employeurs dont notre pays a tant besoin :

- Réduire "l’inflation législative et réglementaire". La multiplication des lois et règlements concernant les entreprises, les changements permanents dans la fiscalité, ses modalités d’application, créent une véritable insécurité juridique qui décourage l’investissement et l’embauche - insécurité juridique qui s’ajoute à la complexité de notre code du travail. (1)
Dans son programme « Pour une reconquête économique », le président du Nouveau Centre, Hervé Morin, reconnaît qu’il est très difficile pour les entreprises de prendre des décisions « si les règles du jeu changent sans cesse », ! Aussi préconise-t-il que pour la prochaine législature 2012-2017, toute disposition fiscale adoptée ne puisse plus être modifiée au cours de la même législature -ce qui constituerait un progrès. (2)

- "Lisser" les seuils dissuasifs. Le franchissement des seuils (de 9 à dix salariés ; de 49 à 50 salariés ; etc) fait l’effet d’un couperet en imposant une série de contraintes sur la PME dès l’embauche d’un employé supplémentaire : 34 obligations nouvelles s’mposent à l’entreprise qui franchit le cap des 50 salariés ! Il faudrait donc remplacer cette notion de seuil par une progressivité raisonnable dans le temps qui permette à l’entreprise de s’adapter.

- Stimuler et favoriser le regroupement informel des PME. Il devrait devenir facile pour plusieurs PME et/ou TPE de se regrouper autour d’un projet commun sans avoir à créer une structure juridique contraignante de type G.I.E, mais par simple lettre de convention : pour développer une nouvelle offre innovante, travaliller ensemble sur un projet de R&D, prospecter un pays étranger, embaucher un directeur export ou un directeur commercial à temps partagé, lancer une campagne de communication promotionnelle, créer un cellule de veille concurrentielle et stratégique ... Promouvoir une telle formule d’association souple et rapide (par simple déclaration auprès du greffe du TC par exemple, ou d’organismes consulaires) qui leur permette de faire jouer entre elles les synergies, d’atteindre une "masse critique" suffisante pour vendre, démarcher des partenaires, les pouvoirs publics, etc.

- Réformer la TVA. Il faut ouvrir d’urgence le chantier de la "TVA à vocation sociale" qui permettrait de transférer une partie des cotisations sociales (salariales et patronales) vers la taxe sur les produits consommés (notamment d’importation) : l’effet immédiat de cette "TVA à vocation sociale" serait d’augmenter le salaire net du salarié et de donner des marges de manoeuvre aux entreprises pour investir et embaucher. En contrepartie, un taux réduit de TVA s’appliquerait sur les biens et services de base.

- Moduler l’IS Il faut aussi d’urgence instaurer un taux fortement réduit de l’impôt sur les sociétés lorsque celui-ci est réinvesti de façon matérielle ou immatérielle (R&D, brevets ; croissance externe ; diversification ; exportation ...) ou redistribué en participation salariale.

- "Réveiller les projets dormants dans les PME !" La France compte 1,9 million d’entreprises qui n’ont aucun salarié (le chef d’entreprise travaille seul) et 3 milions de moins de 10 salariés ... c’est un gisement considérable d’emplois pour peu qu’on aide ces TPE/PME à identifier leurs "besoins latents" - actuellement inexploités par manque de collaborateurs pour y répondre : diversification et nouvelles activités ; lancement de nouveaux produits ou services ; prospection de nouveaux marchés ; exportation, etc.

Pour les aider à "sauter le pas" et à investir dans un collaborateur-défricheur de nouvelles opportunités, il faut instituer à leur intention un « contrat de mission » très souple avec comme objectif un million d’embauches supplémentaires sur deux, trois ans.

- Faire de la reprise d’entreprise une Grande Cause Nationale. Le dynamisme entrepreneurial de notre pays s’est manifesté ces dernières années dans la création d’entreprise, dopée par le régime de l’auto-entrepreneur institué en 2009. Mais il ya un vivier considérable d’emploi, nortamment pour les cadres en reconversion dans la reprise d’entreprise. Environ 500 000 d’entre elles sont appelées à changer de main : il faut en faire un grande cause nationale, appuyée par des campagnes de promotion et de sensibilisation.

- Stimuler les "métiers verts" et les filières du développement durable. Il faut investir massivement dans les filières "vertes" et les nouveaux créneaux du développement durable, avec une politique publique de soutien et d’incitations lisible et pérenne ...

- Formation professionnalisante : il faut parvenir rapidement à l’objectif emblématique du million de jeunes en apprentissage et en alternance, grâce à une mobilsation conjointe des organisations professionnelles (patronat et syndicats de salariés) et des réseaux consulaires (CCI et Chambres de métiers).

- Encourager l’économie "servicielle et relationnelle" en généralisant une TVA réduite (entre 5,5% et 9,5%) sur toutes les prestations de services non-délocalisables. Le gisement d’emplois est immense si l’on arrive à rendre les tarifs attractifs grâce à la baisse de la TVA. Pour faciliter la création de micro-entreprises dans le secteur des services aux personnes, il faut étendre aux TPE réalisant moins de 150 000 euros de CA le régime fiscal et social de paiement des charges a posteriori (comme pour les auto-entrepreneurs).

- Enfin il reste à inciter nos 1000 premiers groupes à prendre leur part de responsabilité sociétale - une valeur qu’ils mettent de plus en plus en avant dans leurs campagnes de communication - en la traduisant concrètement par des créations d’emplois en France. Les sensibiliser à la RSE par la seule réthorique n’est pas suffisant, pourquoi ne pas instaurer un système de bonus-malus fiscal en fonction de la création d’emplois ? En réduisant l’IS (impôt sur les sociétés) des groupes les plus vertueux ; en incitant à l’inscription à l’actif du bilan du "capital social" de l’entreprise ...

Voici quelques-unes des idées dont nous invitons les équipes des candidats à s’emparer d’urgence.

Il existe dans notre pays un immense vivier de talents, d’inventivité, d’imagination, d’énergies -aujourd’hui ignorés et découragés - qui ne demandent qu’à se déployer, pour peu qu’on sache les reconnaître, les encourager, les faire grandir en leur apportant un terreau propice à leur épanouissement. "On ne fait pas grandir un arbuste en tirant dessus, mais en l’entourant de tous les soins."

Jacques Gautrand
jgautrand[ @ ]consulendo.com

(1) - En 2005, selon la CGPME (dans son document "Cap France 2012-2017"), le Code du Travail comptait 2 632 pages ; cinq ans plus tard, ce même Code en contient 3 231 pages !

(2) - L’impôt sur les sociétés a été modifié en France par le Parlement 40 fois entre 2004 et 2009, contre 20 fois en Allemagne ...

- * La formule « Pour créer des emplois, il faut créer des employeurs ! », a été forgée par le chef d’entreprise du Nord, André Mulliez, décédé le 4 juillet 2010, à l’âge de 80 ans.
Issu d’une grande famille d’industriels du Nord, André Mulliez, avait été confronté, en 1986, au dilemme des licenciements massifs, un véritable cas de conscience pour ce patron pétri de catholicisme social. Alors qu’il était PDG de Phildar, l’entreprise, concurrencée par les importations asiatiques, avait connu une grave crise et avait du licencier 600 personnes. Pour répondre à ce drame humain, André Mulliez lance alors à Roubaix, avec l’aide de l’un des ses proches collaborateurs, Marc Saint-Olive, l’association Nord Entreprendre, avec l’objectif de faire émerger de futurs entrepreneurs et de les aider à réussir en les faisant accompagner bénévolement par des chefs d’entreprise établis.

En 1992, Nord Entreprendre essaime en Rhône-Alpes puis dans d’autres régions avant de devenir un mouvement national et international : Réseau Entreprendre qui compte aujourd’hui plus de 54 implantations en France. Depuis sa création, il ya vingt-cinq ans, le réseau a contribué à la création ou à la reprise de 5 000 entreprises ce qui a généré la création de 50 000 emplois ...