Essai

L’art du temps confronté au court-termisme  

Par Denise Parisse

Jean-Louis Servan-Schreiber, le fondateur du magazine L’Expansion - et de ses célèbres agendas -, l’auteur en 1983 de "L’Art du Temps", s’inquiète dans son dernier essai (*) de la tyrannie du court terme qui régente toutes nos activités :
« Depuis que j’ai compris que le temps nous était compté, donc précieux, je n’ai cessé d’en rechercher le meilleur usage. J’ai écrit L’Art du temps, puis Le Nouvel Art du temps, pour aider mes lecteurs à desserrer l’étau des heures et des jours. Aujourd’hui, non seulement chacun a l’impression de manquer de temps, mais c’est toute notre société qui en souffre. Et les conséquences en sont de plus en plus lourdes. L’urgence de l’action, de la décision, domine l’horizon des dirigeants, comme des citoyens que nous sommes. Il en résulte un nouveau syndrome : le « court-termisme », qui affecte la politique, l’économie, le rythme de nos vies et, plus grave encore, notre rapport à l’environnement. »

Dans cet ouvrage, nous retrouvons un auteur fidèle à ses convictions : la gestion de ce temps si précieux ... nous a échappé. Les temps modernes ont plébiscité la vitesse, laquelle engendre à son tour le court terme et ses diktats ...
Denise Parisse qui a travaillé sous son autorité au Groupe Expansion, nous présente le dernier livre de JLSS.

(*) « Trop vite !
Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme »
Jean-Louis Servan-Schreiber
Albin Michel – 2010 - 208 Pages



Editions Albin Michel

L’art du temps vaincu par le court terme

Dès 1983, alors que l’économie, la finance, la politique, voire la vie quotidienne sont en train de donner les premiers coups d’accélérateur, Jean-Louis Servan-Schreiber publie « L’Art du temps ». Pour nous alerter : « Attention ! Le temps est précieux et nous n’en n’avons pas à perdre ! » … Il récidivera en 2000 avec « Le nouvel Art du temps », puis en 2002 avec « Vivre content » et aujourd’hui avec « Trop vite ! » (*)

Dans cet ouvrage, nous retrouvons un auteur fidèle à lui-même, à ses convictions qui rejoignent aujourd’hui ses sujets de prédilection : la gestion de ce temps si précieux, nous a échappé. Les temps modernes ont plébiscité la vitesse, laquelle engendre à son tour le court terme et ses diktats !
Et nous voilà pris dans une spirale infernale qui nous amène à nous interroger : Pourquoi cela s’est-il produit ? Comment cela se concrétise-t-il ? Est-ce une bonne chose ? Est-ce une mauvaise ? Y-a-t-il des solutions ?

Voici venu le temps des "tachysanthropes" ...

Pour que chacun puisse se faire une opinion, l’auteur nous donne, comme il sait le faire, des éléments pour réfléchir à ce qui l’a conduit à cette évidence : Attention, nous allons « Trop vite ! ». JLSS écrit : « En une poignée de générations, la vitesse a bouleversé l’existence de chacun de nous ainsi que la physionomie de la planète. Elle l’a fait si rapidement que nous tardons encore à en mesurer les conséquences ».

Nous sommes devenus des « tachysanthropes » c’est-à-dire les habitants d’un monde où la vitesse est devenue norme …

Si les causes et les effets sont évidents, ils restent difficiles à cerner car, en fait, ils se sont nourris les uns des autres. Ce serait comme une immense boule de neige qui s’est créée en haut de la montagne et qui dévale la pente de plus en plus vite car de plus en plus grosse. L’arrivée en bas, nous la connaissons !

La principale cause ne nous étonne pas : « Le progrès nous a joué un drôle de tour ! Apparemment, il a tout fait pour nous libérer du temps, nous permettre de l’utiliser au mieux, et pourtant nous continuons à vivre à l’étroit … Nous sommes plus instruits, plus informés, mieux équipés en instruments d’analyse, de calcul, de simulation. Nous avons tout pour mieux savoir comprendre et prévoir. Par quelle étrange malédiction sommes-nous pourtant, collectivement et individuellement, devenus myopes ? » constate l’auteur avec inquiétude.

Les effets déplorables du court-termisme sur toutes les facettes de nos activités humaines et sociales, JLSS les étudie pour nous, tout au long des huit chapitres de son livre (1)

Au terme de cet examen, l’auteur s’interroge sur la menace que la pression du court-terme fait peser sur notre environnement : « J’ai voulu terminer ce panorama du court-termisme actuel par l’écologie, car elle seule oblige tous les habitants de la planète à faire face ensemble aux mêmes problèmes aux mêmes menaces ... Dire que notre avenir, celui de nos enfants, celui de notre espèce est maintenant en jeu n’est hélas ni exagéré ni emphatique…. De quoi dépendra ce futur ? Il va se jouer entre deux pôles : la vitesse du progrès scientifique d’une part, et nos attitudes et comportements individuels de l’autre … »

Apparemment, nous n’avons pas trop de souci à nous faire en ce qui concerne la vitesse du progrès, que ce soit dans les sciences ou en matière d’alimentation, affirment les experts : « Selon certains prospectivistes, l’accélération du progrès, loin de plafonner, va se poursuivre à une vitesse exponentielle ... Dans un tout autre domaine, un expert agricole a calculé qu’on pourrait nourrir toute l’Afrique par une exploitation enfin rationnelle et écologique d’une surface cultivée équivalente au territoire de la seule Ethiopie ...
L’humanité - rappellent ces sages - s’en est toujours sortie grâce à ses inventions, pourquoi pas cette fois encore ?
 »

« Voulons-nous vraiment sortir du court-termisme ? »

En revanche, nous avons beaucoup plus d’inquiétude à avoir pour le reste : « Ce sera de notre propre attitude, individuelle et collective que va dépendre notre destin » souligne l’auteur. Et pour répondre à la question : « Voulons-nous vraiment sortir du court-termisme ? » il prévient que ça ne sera ni simple, ni évident : « Le court-termisme est notre compagnon quotidien, car nous le trouvons commode ... Garder les yeux fixés sur le bout de nos chaussures, plutôt que sur l’horizon, est l’attitude spontanée de beaucoup d’entre nous et de nous tous la plupart du temps ... Dans tous les systèmes collectifs - politiques, financiers, commerciaux - dans tous les lieux d’influence, de pouvoirs, petits ou grands, un minimum de prise en compte du long terme va demander des transformations considérables ... »

Mais il dit aussi « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». Ce ne sont pas exactement les termes employés par l’auteur dans la conclusion de cet ouvrage, qui peut paraître alarmiste parce qu’il ne nous donne pas de recettes miracles. Mais la dernière page tournée, le lecteur prendra conscience qu’il est possible « d’essayer » de remettre un peu de long terme dans la pratique de sa vie.
« Il n’y a pas d’autre espoir réaliste, mais ce n’est pas un espoir vain », aime à espérer JLSS.

Denise Parisse

« JLSS »
Jean-Louis Servan-Schreiber

S’il fallait illustrer « l’homme moderne » qui, mieux que Jean-Louis Servan-Schreiber, pourrait tenir ce rôle ? En effet, ce jeune septuagénaire s’est toujours, par son intelligence, sa créativité, son feeling et, pourquoi pas, un peu de chance, trouvé au bon endroit au bon moment, pour participer aux grandes « révolutions » de son siècle. De plus, il l’a fait avec un sens aigu de la communication et le goût du beau comme de l’élégance qui définissent ce personnage à l’allure à la fois très abordable et pourtant si distante.

« Né dans une famille de presse, (son père Emile et son oncle Robert ont créé Les Echos il y a un siècle), il prend en 1960, la direction de la rédaction de ce quotidien. Quatre ans plus tard, il rejoint son frère Jean-Jacques à L’Express … A 29 ans, en 1967, il lance L’Expansion [ avec Jean Boissonnat - NDLR ] et développe pendant vingt-cinq ans le premier groupe de presse économique français, puis européen … » dit, entre autre, le CV officiel de JLSS.
Ajoutons au nombre de ses réussites, la reprise et la relance spectaculaire de Psychologies Magazine dont il a multiplié par cinq la diffusion (titre cédé en mai 2008 au Group Lagardère) ...

Ce beau palmarès ne l’a pas empêché de garder suffisamment de clairvoyance, pour s’apercevoir que les avancées technologiques allaient « booster » l’information, alors que le temps, fixé une fois pour toute - une heure restera une heure, une semaine restera une semaine ! - allait nous manquer. Cet homme hanté par la maîtrise de la gestion du temps rencontre aujourd’hui son pire ennemi : le règne de l’urgence.
D.P.

* « Trop vite !
Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme »
Jean-Louis Servan-Schreiber

Albin Michel – 2010 - 208 pages - 15 euros

(1) Huit chapitres composent ce livre :
- « L’accélération. Comment la vitesse a engendré le court-termisme.
- La politique. La démocratie peut-elle survivre ?
- La finance. Quand le court-termisme financier fait vaciller la planète.
- L’entreprise. L’impératif des résultats raccourcit l’horizon stratégique.
- La consommation. Acheter trop, tout de suite, trop souvent.
- Les rythmes de vie. Une profonde révolution culturelle.
- Les relations aux autres. Avoir mille amis et vivre l’amour comme un jeu vidéo.
- L’environnement. Et le long terme devint l’urgence.
 »

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