Débat

La force du lien dans l’entreprise
Refonder l’Affectio Societatis
  

Qu’est-ce qui fait lien au sein de l’entreprise ?
La crise financière conduit à interroger la nature des relations au cœur des processus économiques. Certaines de ces relations plongent leurs racines au plus profond de l’histoire humaine, tel le commerce, l’échange d’un bien entre un vendeur et un acheteur. D’autres relations se sont construites et codifiées dans l’époque moderne comme le contrat de travail et le pouvoir de l’actionnaire.

Nous voudrions nous focaliser sur deux interrogations :

- Qu’est-ce qui fonde aujourd’hui le lien au sein de l’entreprise ? entre salariés, management/direction, actionnaires …
Quelle est la qualité de ce lien ; peut-on l’améliorer ?

- Qu’est-ce qui fonde aujourd’hui le lien entre l’entreprise et la société ?
Qu’attend le corps social des entreprises ? Quelles représentations dominent l’opinion publique ? Les entreprises n’ont-elles pas eu tendance à réduire leur environnement sociétal à un « marché » ? La notion de « responsabilité sociétale et environnementale » de l’entreprise répond-elle à un effet de mode ou bien représente-elle un progrès pour tous ?

- Nous reprenons, ci-dessous, un article interrogeant le concept juridique d’Affectio Societatis qui, en droit des sociétés, définit le lien entre les apporteurs de capitaux.

- Vous lirez également sur ce site le point de vue d’Alain Mollinier, professionnel des RH dans l’industrie et consultant,

- ainsi que l’article de Jean Kaspar qui nous incite à « repenser en profondeur le rôle et les fonctions de l’entreprise ».

- Nous faisons appel aux contributions de tous ceux qui se sentent concernés par cette réflexion dont l’actualité nous montre l’impérieuse nécessité.
J.G.



Refonder l’Affectio Societatis
Il est indispensable de réconcilier le citoyen et l’entreprise !

- auteur : Jacques Gautrand

Les conséquences économiques et sociales de la crise financière - restructurations, chômage massif, dépôts de bilan ... - et son cortège de souffrances et de drames, ont suscité des mouvements de défiance et de rejet à l’encontre de l’économie de marché. Ajouté à cela, le comportement irresponsable de certains dirigeants (certes minoritaires), l’affichage d’écarts de rémunérations devenus insupportables, contribuent à ternir l’image de l’entreprise privée dans l’opinion publique.
Des années d’efforts pour réhabiliter l’esprit d’entreprise, la prise de risque, l’initiative individuelle, dans notre vieux pays de tradition étatique, semblent réduites à néant ...

On avait pu penser que l’immense succès d’opinion d’un livre comme « L’horreur économique » de Viviane Forrester (1996 – treize ans déjà !) était dû à un malentendu, à un déficit de communication de la part des vrais entrepreneurs, à une poussée de fièvre passagère des nostalgiques de Mai 68 ...

Auprès des jeunes, l’entreprise apparaît comme un monstre froid, impitoyable, et les candidatures à la fonction publique explosent …

Dans ce contexte, il me paraît utile, en premier lieu, de faire quelques constats reposant davantage sur le bon sens que sur le parti-pris idéologique :

-  La crise actuelle a pour origine le dévoiement d’instruments financiers spéculatifs, détournés de leur fonction initiale, ou utilisés de façon cynique et irresponsable.
-  Les instances et mécanismes de régulation institutionnels ou étatiques existants, soit ont été contournés, soit se sont révélés inadaptés ou inopérants.
Crise du capitalisme ou crise de la régulation ?
-  Le capitalisme repose dans son principe sur la mise en commun de capitaux pour créer plus de richesses qu’on n’en consomme.
-  La principale source de création de richesses et d’emplois dans le monde est l’entreprise.
-  C’est dans les pays où la liberté d’entreprendre est la plus grande que la création de richesses a été la plus forte au cours des décennies passées.
-  Qu’est-ce que la libre entreprise ? C’est la combinaison judicieuse de capitaux, de travail et de talents (idées, innovation, imagination, caractère …) pour créer des biens et services de qualité. La sanction de l’échec est la faillite, c’est-à-dire la destruction de richesse, et donc un appauvrissement individuel et collectif ...

Quelles leçons tirer de la crise actuelle ?

- 1. L’entreprise a besoin de capitaux pour exister, même si elle ne saurait se réduire à une assemblée d’actionnaires. Leur apport en numéraire est indispensable au démarrage de toute activité. C’est ce que l’on appelle les fonds propres .
La spéculation financière a prospéré sur l’insuffisance de fonds propres ou sur la « création » de fonds propres en trompe l’œil ...

- 2. Dans beaucoup d’opérations calamiteuses que l’actualité a révélées, ce sont précisément des stratégies d’achat à découvert, des effets de levier inconsidérés et un endettement démesuré qui ont conduit au désastre. Rappelons que ces stratégies hautement spéculatives étaient dénoncées depuis longtemps par d’éminents économistes. (voir notre article « spéculations »).

- 3. Endettés, les Etats ne pourront jamais remplacer la cohorte des « petits porteurs » de la société civile (qui investissent sur leurs propres deniers), ni remplacer l’inventivité, la créativité, les initiatives des individus, à l’origine des nouveaux produits, des nouveaux services, et des multiples innovations qui améliorent la vie.

- 4. L’économie de marché et la libre entreprise ont besoin d’un Etat régulateur et arbitre, impartial et garant de l’intérêt général.

- 5. Il faut sortir de la pensée-réflexe et des stéréotypes rabâchés : réduire l’entreprise à une association de capitaux et son objectif à la maximisation du profit a été une erreur fatale. Malheureusement souvent colportée par les défenseurs de la libre entreprise eux-mêmes...

- 6. L’entreprise est d’abord une communauté de personnes qui conjuguent leurs compétences et leurs savoirs pour répondre à des besoins.
Comme dans un orchestre, tout le monde est important : du pianiste au joueur de triangle, chacun a une partition à jouer. La performance globale dépend de l’accord général (qualité des relations interpersonnelles, bonne ambiance) ... et du talent du chef d’orchestre.

- 7. L’entreprise n’est pas une cellule isolée dans la société. Elle est ancrée dans un territoire ; elle est liée à un ensemble de « parties prenantes » : clients, fournisseurs, riverains, élus, associations, médias… L’entreprise ne doit pas les ignorer, mais prendre en compte leurs points de vue, leurs attentes, leurs critiques, inquiétudes ou préventions : « faire avec » et non pas « faire contre ».
Les problèmes de société ne restent pas à la porte des entreprises. De même que les sujets de l’entreprise sont devenus des enjeux de société.

Refonder le lien d’appartenance à l’entreprise.

En droit français, l’affectio societatis, expression latine qu’on peut traduire par « attachement à l’entreprise » caractérise le consentement libre et volontaire des apporteurs de capitaux à poursuivre un intérêt commun.

Cette conception juridique restrictive me paraît aujourd’hui dépassée.

Il faut enrichir la notion d’affectio societatis en l’élargissant à l’ensemble des membres de la communauté d’une entreprise : actionnaires, salariés, managers, prestataires.

Cette « affectio societatis élargie » doit être définie comme un engagement de solidarité réciproque entre tous les membres d’une entreprise.
Autrement dit, l’actionnaire ne doit pas pouvoir accroître ses dividendes si, dans le même temps, on bloque ou l’on réduit les salaires ; l’attribution de stock-options ou la distribution d’actions gratuites doit se faire au bénéfice de tous et non de quelques dirigeant ou cadres... - Voir l’émotion légitime soulevée dans l’opinion publique par quelques affaires récentes -

Réconcilier le citoyen et lentreprise est aujourd’hui indispensable pour aider à la sortie de crise !

Sans entreprise pas de richesse et d’emplois créés… mais aussi et surtout observons que dans nos sociétés fortement atomisées, l’entreprise est devenue un maillon central du lien social.

Réconcilier le citoyen avec l’entreprise est donc un acte de salut public.

Cette crise peut être une chance à saisir pour refonder notre rapport collectif à l’économie et à l’entreprise : en choisissant ce qui peut nous aider à « faire lien » et à vivre mieux.

A condition d’abandonner les illusions du « toujours plus » qui furent le moteur des années d’après-Guerre, pour concentrer nos efforts sur la recherche d’un « mieux vivre ensemble ».

A condition de dépasser l’affrontement séculaire capital-travail qui n’a conduit jusqu’à présent qu’à des impasses.

A condition d’abandonner les chimères d’un autre temps, pour ouvrir de nouveaux chemins, des chemins buissonniers, des chemins inventifs, des chemins de liberté.

Si nous en sommes capables, alors oui, cette crise n’aura pas été inutile.

Jacques Gautrand

Yvon Gattaz Le commentaire d’Yvon Gattaz

« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre excellent texte : " Refonder l’Affectio Societatis - réconcilier le citoyen et l’entreprise ! ".

Je vous félicite d’avoir reparlé des théories qui sont communes à tous les chefs d’entreprises patrimoniales qui ont conservé, pour eux, et même pour leur famille, ce fameux affectio societatis qui change bien des choses dans la forme du management.

Il est certain que la crise a fait apparaître d’inquiétantes distorsions dans les grands groupes financiers et a, dans le même temps, démontré la meilleure résistance, et la meilleure éthique d’entreprise de nos entreprises patrimoniales.

Comme vous le dites, il est nécessaire de réconcilier le citoyen avec l’entreprise en revalorisant l’image même de l’entreprise si sérieusement dégradée depuis une vingtaine d’années.
A ce sujet, je vous rappelle que nous avions réussi, par les actions successives de notre lettre mensuelle "Les Quatre Vérités", puis du Mouvement Ethic, puis du CNPF de 1981 à 1986, à réhabiliter l’image de l’entreprise dans une période où on l’attendait le moins. Malheureusement, cette image s’est progressivement délitée depuis la fin des années 80, pour d’innombrables raisons que vous connaissez, et un travail immense est à entreprendre aujourd’hui, tel le rocher de Sisyphe, avec l’espoir de faire atteindre le sommet un jour... »

Yvon Gattaz, Président de l’ASMEP-ETI ( syndicat des Entreprises de Taille Intermédiaire ), président d’honneur du Medef, membre de l’Institut.

-  Lire aussi sur Consulendo.com les articles de :

- Jean Kaspar : « Faire de l’entreprise un lieu d’ambitions partagées »

- Alain Molinier : « Qu’est-ce qui fait lien entre le salarié et l’entreprise ? »

- Faites nous part de vos points de vue & réactions : jgautrand (@) consulendo.com

- Le 15 juin 2009, le Press-Club a organisé une rencontre-débat sur le thème : " Peut-on réconcilier le citoyen avec l’entreprise ? "
Avec comme invités : Didier ADES, France Inter ("Rue des Entrepreneurs"), Eric REVEL, LCI, et Martial DEMANGE, membre du Bureau National du Centre des Jeunes dirigeants d’Entreprise - CJD
Les débats étaient animés par Jacques Gautrand.



L’ère du soupçon

Avec la crise, toute parole « d’autorité » semble discréditée.
Dirigeants, experts, élus deviennent suspects de tenir un double-langage, de chercher à manipuler l’opinion, ou de "cacher la vérité"...

L’entreprise ne peut plus continuer à communiquer comme si de rien n’était.

Elle doit prendre en compte les attentes de la société civile ; assumer sa responsabilité sociétale.
Car les problèmes de société ne restent pas à la porte de l’entreprise. Et les problèmes de l’entreprise sont devenus des enjeux de société

Cela implique un énorme effort de pédagogie concrète. Les chefs d’entreprise et cadres dirigeants doivent plus que jamais veiller à la cohérence entre leurs paroles et leurs actes.
La langue de bois managériale, sculptée pendant les années d’euphorie financière, ne passe plus !

L’exemplarité des dirigeants est plus que jamais la condition de la cohésion sociale.
Ce sont eux les garants de la communauté de travail qu’est l’entreprise : à eux de mobiliser toutes les ressources internes et externes ; à eux d’insuffler un esprit de coopération pour que, dans une période de difficultés, les talents, les bonnes idées, les innovations bénéficient à l’œuvre commune.
A eux de tenir une parole de vérité.
Quoi qu’’il en coûte.
J.G.