« La difficulté, ce n’est pas de comprendre les idées nouvelles,
mais d’échapper aux idées anciennes. »
John Maynard Keynes
Contrairement à ce qui avait été annoncé à la fin du 20ème siècle, l’économie productive ("bricks and mortar" ... and cars, etc.), n’a pas été remplacée par l’économie dite "virtuelle" (celle, pour faire simple, qui ne se passe que sur des écrans). C’est bien de cette économie productive "basique" que nous attendons la reprise (voyez les plans massifs pour sauver l’industrie automobile et leur impact !). La crise que nous venons de vivre, qui a commencé dans la sphère de la finance "virtuelle" ou plutôt "spéculaire", a failli précipiter le monde au fond du gouffre, parce que, précisément, elle a asphyxié le fonctionnement de l’économie productive.
La finance ne peut pas être déconnectée de l’économie productive : elle ne doit pas fonctionner en parasite de celle-ci, mais être mise à son service. Autrement dit, ce n’est pas l’argent qui produit le profit, mais c’est la production qui génère le profit. Le code génétique du capitalisme c’est l’investissement productif. Pour cela nous avons besoin d’entreprises de toutes tailles, inventives et prospères, dotées en fonds propres. La place du capital est dans le haut des bilans et non dans les produits dérivés.
"Capital" humain
Dans nos économies de plus en plus complexes et interdépendantes, la première source de richesse c’est l’innovation, ou encore, notion plus large, l’intelligence. Pourtant ce "facteur de production" est encore trop souvent négligé en pratique, car il est difficilement préhensible par les outils classiques de la comptabilité qui guident les choix managériaux. D’où provient l’innovation ? Des personnes, individus ou groupes de travail, placés dans des conditions favorables à l’inventivité, à la créativité. C’est à dire, stimulés, encouragés, reconnus ... Or depuis trente ans, la plupart des entreprises se sont engagées dans une gestion malthusienne de leurs "ressources humaines" , assimilant leurs collaborateurs à une "charge" (compte d’exploitation) et non à un "actif" (compte de bilan).
Il reste donc un travail considérable à accomplir pour faire évoluer nos outils de gestion et nos pratiques managériales, de sorte que la personne soit considérée comme le "capital" le plus précieux de l’entreprise.
Si nous n’approuvons pas la notion de "décroissance", nous ne sommes pas non plus partisan d’un productivisme à tout crin. Il ne s’agit pas de produire "toujours plus", mais de produire "de mieux en mieux".
C’est le contenu de la croissance qui doit considérablement évoluer au cours des années qui viennent. Il doit intégrer de plus en plus, non seulement les produits "durables" et respectueux de l’environnement, découlant des "Clean-Techs", mais aussi des modes de production et d’organisation économiques "soutenables", c’est à dire source de meilleure "réalisation" pour les gens au travail - donc plus efficaces et performants parce plus épanouis.
Une nouvelle croissance grâce à "l’économie relationnelle"
La croissance économique, telle que nous la mesurons, est encore très largement liée à la production de biens et de services. - Il faudra toujours assurer la satisfaction des besoins fondamentaux des personnes, satisfaction à laquelle, ne l’oublions pas, aspirent encore d’accéder une part considérable de l’humainité...
Mais de plus en plus à l’avenir, la croissance devra provenir de la "production" de liens relationnels et du bien-être. Car la demande est là ; les besoins sont immenses. Et l’offre doit encore mûrir, se structurer ... Pour cela aussi, il faudra faire évoluer nos outils d’évaluation et de mesure de la richesse créée. C’est tout le sens de la mission confiée par Nicolas Sarkozy aux Prix Nobel Joseph Stiglitz et Amartya Sen pour la refonte du calcul du PIB.
Il faudra aussi inventer de nouveaux modes de financement de ces "biens et services relationnels" qui tireront la croissance de demain.
Cette révolution de l’économie "quaternaire" (l’expression est de l’économiste Michèle Debonneuil) aura, à mon avis, un impact encore plus fort que le développement prometteur des Green-Techs et autres produits "durables" ou "propres". D’ailleurs, ces deux tendances devraient se combiner et se conforter, parce qu’elles répondent ensemble à une attente profonde du consommateur : ne veut-il pas à la fois qu’on lui apporte plus de bien-être, de confort, et qu’on le rassure sur le devenir du monde pour ses enfants ?
Le nouveau "roi" de l’économie
Justement, terminons par le consommateur, ce nouveau "roi" de l’économie que tout le monde courtise. comment va-t-il évoluer dans les années qui viennent ? c’est la grande question à laquelle nul ne peut donner de réponses définitives. Mais tentons d’esquisser un scenario, ou à défaut un souhait, puisque c’est de saison.
Le consommateur demain sera encore plus exigeant, mieux informé, plus versatile, plus imprévisible et contradictoire ... mais il aura encore plus besoin de trouver du sens à ses achats ; il sera en quête de davantage d’authenticité.
Souhaitons que la société de demain rende, par l’éducation et par la vertu de l’exemple de bonnes pratiques, ce consommateur (c’est à dire nous tous !) plus cohérent et responsable dans ses choix ; qu’il ne se focalise pas sur le seul argument prix, mais arbitre ses achats à partir d’une appréciation du coût global pour la société et pour la planète...
C’est par la somme des petits pas de chacun que l’humanité finit par faire un grand pas.
Jacques Gautrand
jgautrand[ @ ] consulendo.com
P.S. Lire ou relire Camus.
On a célébré, le 4 janvier, le cinquantenaire de la disparition tragique d’Albert Camus, dans un absurde accident d’automobile, avec son éditeur Michel Gallimard, sur une route de l’Yonne bordée de platanes.
Camus n’avait que 46 ans, mais laissait une oeuvre considérable qui lui valut le Prix Nobel de Littérature en 1957. Le jour de sa mort, il avait emporté avec lui un cartable contenant le manuscrit inachevé de son dernier roman, une oeuvre autobiograhique, qui, gâce a sa fille Catherine, put être enfin publié en 1994 : « Le Premier Homme ».
Dans un essai témoignage vibrant, "Avec Camus" (Gallimard 2006), Jean Daniel, le Directeur du Nouvel Observateur qui l’a bien connu, incite les jeunes générations à commencer la découverte de l’écrivain originaire d’Algérie par ce livre inachevé : parce qu’on y retrouve « toutes les racines, toutes les obsessions, toutes les idées simples et fondamentales de l’auteur ».
Commencer par cette "fin inachevée", c’est, en effet, ouvrir une porte magnifique sur l’univers camusien qui a marqué tant de générations depuis la publication de L’Etranger en 1942.
La voix de Camus nous manque aujourd’hui. Et cependant son regard sur les questions de son temps reste d’une brûlante actualité. Sur beaucoup de points, il fut plus lucide que bien de ses contemporains. Et l’histoire lui a souvent donné raison, bien après sa mort.
Sur l’injustice, sur la pauvreté, sur le bonheur, sur le mal, sur le terrorisme, sur la souffrance, sur la sensualité, sur la fragilité, sur la beauté, sur l’éphémère, sur le goût intense de la vie ...
il faut lire et relire Camus.
J.G.
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées (...), devant un monde menacé de désintégration (...), elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. »
Albert Camus, Discours de Suède, 10 décembre 1957 (Gallimard)
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