Peut-on moraliser le capitalisme ?
Le thème des relations entre le capitalisme et la morale n’est pas nouveau, mais il a ressurgi au coeur de l’actualité avec la crise de la finance internationale de 2008 qui a pénalisé "l’économie réelle"et révélé les conduites irresponsables du système bancaire et des opérateurs de marchés. Si l’on se place dans une perspective religieuse, l’affrontement entre Dieu et l’argent plonge ses racines dans des textes fondateurs, comme la Bible, les Evangiles et les écrits des Pères de l’Eglise, tel Saint Thomas d’Aquin condamnant le prêt à intérêt ... Ce contexte ne rendait pas facile la tâche de Stephen Green, ex banquier britannique mais aussi diacre de l’église anglicane. Même si la tradition anglo-saxone a pluôt décomplexé le rapport des hommes à l’argent et encouragé la réussite matérielle dans la société d’ici-bas.
On ne pouvait pas attendre de l’ancien patron d’une grande banque internationale la mise en accusation sans appel du capitalisme ("le pire système à l’exception de tous les autres" !) et de la haute finance. Mais avec beaucoup de pragmatisme- c’est un anglo-saxon ne l’oublions pas - l’auteur s’emploie à défendre l’économie de marché en mettant en évidence ses aspects positifs. Ex-président du groupe HSBC, une banque implantée dans le monde entier, Stephen Green avait quelques idées à faire valoir, nourries de sa propre expérience professionnelle, mais aussi de son engagement spirituel.
Les bénéfices de la mondialisation des échanges
A commencer par un plaidoyer en faveur de la mondialisation à laquelle les Français ont tendance à attribuer tous leurs maux. Pour Stephen Green, il serait chimérique de vouloir s’y soustraire. Les facilités des communications de masse dont chacun profite ; le transport aérien, les voyages, le développement du commerce entre les continents ; le tourisme ; Internet ... bref, tout cela contribue à faire de notre planète un gros village. Ce mouvement n’est pas nouveau mais il s’accélère. Pour Stephen Green les échanges ont toujours été une source d’enrichissement pour le plus grand nombre ; il n’y a pas de raison pour que ce ne soit plus le cas dans l’avenir. Il revient, selon lui, aux Etats de prendre des dispositions pour mieux protéger ceux qui risquent d’en souffrir.
Cette mondialisation va de pair avec une modification complète et ultra- rapide des grands équilibres économiques de la planète. Depuis la fin de la dernière guerre, la population du globe a presque quadruplé. Massivement rurale au début du siècle dernier, elle est devenue massivement urbaine. Des mégapoles de plus de vingt millions d’habitants surgissent sur tous les continents : Le Caire, Bombay, Shangaï, Mexico ... Leurs habitants restent encore pauvres par rapport à nos standards, mais force est de constater que leur niveau de vie s’accroit tant bien que mal. On n’a jamais autant progressé dans le domaine de l’alimentation et de la santé même si beaucoup reste à faire et les inégalités toujours criantes.
Le plus bel exemple est fourni par la Chine , pays que Stephen Green connaît bien . Le poids de ce pays, berceau de HSBC, qui abrite un quart de l’humanité ne cesse de s’affirmer depuis qu’il a adopté l’économie de marché. Résultat : c’est désormais le premier marché automobile mondial. Qui l’aurait imaginé il y a quelques décennies ?
L’Inde que beaucoup condamnaient irrémédiablement à la famine voici quelques décennies, se nourrit de mieux en mieux et a fait sa percée dans les hautes technologies. Conséquence de ces transformations : le basculement du centre de gravité du monde depuis l’Atlantique vers l’Extrême-Orient est inéluctable.
Quant à l’avenir du capitalisme ? « Premièrement il n’existe aucune alternative au marché ; deuxièmement nous ne pourrons pas ramener les pendules en arrière ; troisièmement la régulation et, dans les périodes de tension, l’intervention des gouvernements sont essentielles », tout est dit . Le capitalisme d’accord mais à condition de le reguler avec de solides garde-fous, et d’en moraliser les conduites ...
On attendait évidemment Stephen Green sur le sujet de la libéralisation complète des marchés. L’ancien banquier britannique est loin, dans cet exercice, de se ranger parmi les thuriféraires d’un libéralisme pur et dur, bien au contraire. Selon lui, seuls des organismes d’intervention de niveau mondial pourront en éviter les excès, ce qui lui permet de saluer au passage l’action du FMI et celle du G20. Des instances qui tentent une meilleure régularisation des marchés au niveau mondial.
Business et bien commun.
Quant à la question des valeurs, l’auteur constate la « perte masssive de confiance » qui caractérise notre époque : "perte de confiance dans le système financier, les banquiers, le monde des affaires, les chefs d’entreprise, les hommes politiques, les médias ..."
Face à ce désenchantement, « l’entreprise, selon Stephen Green, doit être capable d’apporter une réponse satisfaisante à la question : comment les affaires que nous faisons contribuent-elles au bien commun ? (...) Dans le cas de la banque, par exemple, comment les produits financiers spécifiques contribuent-ils au bien-être humain et au développement économique ? Ce n’est pas une question de slogan publicitaire ou de manuel de vente : ce devrait être une tâche centrale des programmes de formation que d’aider les membres du personnel à comprendre (cette dimension) de leur rôle. »
Vaste (et ambitieux) programme !
L’intérêt de ce livre tient surtout à la personnalité atypique de son auteur. Si les essais sur les enjeux de l’économie internationale, écrits par des experts ou des journalistes, sont légion, on a en revanche moins souvent l’occasion de lire le point de vue d’un des "acteurs" de la mondialisation. Et comme ce financier est aussi un homme d’Eglise, son témoignage n’en prend que plus de prix. Gageons que, dans ses responsabilités gouvernementales actuelles, Stephen Green aura maintes occasions de mettre en pratique ses réflexions sur la régulation et la moralisation de l’économie.
Rémy Arnaud
Stephen Green
« Valeur sûre - Réflexions sur l’argent et la morale dans un monde incertain. » Editions Parole et Silence – Collection « Communio », en partenariat avec le pôle Recherche du Collège des Bernardins – novembre 2010 - 20 euros.
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