Les motivations de la réforme ignorent le potentiel du travail indépendant
Quand on analyse l’exposé des motifs du projet de réforme de l’auto-entrepreneur présenté en conseil des ministres le 21 août par Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, on décèle deux arguments principaux sur lesquels s’appuie le gouvernement pour justifier son action :
« Le régime de l’auto‐entreprise n’a qu’en partie atteint l’objectif pour
lequel il avait été créé initialement : il devait, et devrait, être un tremplin vers une forme pérenne d’entreprise, mais seules 5 % d’entre elles ont basculé vers un régime classique » ...
Ce régime aurait favorisé "le salariat déguisé" : « Certaines entreprises poussent leurs salariés à devenir autoentrepreneurs
et les "emploient" à ce titre. Les salariés qui en sont
victimes se retrouvent dans une situation particulièrement précaire, ils
n’ont plus d’assurance chômage, plus de droits à congés et ils peuvent
être congédiés à tout moment par leur "employeur" », peut-on lire dans le texte de présentation.
Ce second argument explique la volonté d’abaissement des seuils de chiffres d’affaires du régime de l’auto-entrepreneur : le montant de 19 000 euros a clairement été fixé par le gouvernement à « un niveau proche du coût complet d’un emploi rémunéré au SMIC avec pour objectif de décourager les employeurs à recourir au salariat déguisé et au contournement du droit du
travail. » C’est clair et net.
Sauf qu’en abaissant les seuils de chiffres d’affaires on rend encore moins intéressant ce régime pour l’ensemble des auto-entrepreneurs, l’immense majorité qui l’ont choisi en toute liberté. Et du coup, cette réforme marginalise l’auto-entreprise dans une "activité d’appoint"...
Ainsi, pour corriger ses dérives, inhérentes à tout dipositif, et dont on ne connaît pas le nombre exact de cas concernés (qui en toute vraisemblance sont minoritaires sur 1 million d’auto-entreprise), on décourage des centaines de milliers de Français qui ont osé "se mettre à leur compte", malgré un contexte économique et socioculturel peu favorable...
Tel que cela ressort de son projet de réforme, le gouvernement veut cantoner le régime de l’auto-entrepreneur, dans la niche du "revenu d’appoint" ou en faire une étape « transitoire » vers ce qu’il considère la "vraie" entreprise (c’est à dire, si l’on décode, une entreprise capable d’employer des salariés). Et ce, en complexifiant la mise en œuvre d’un régime initialement censé "simplifier" la vie du futur entrepreneur ...
L’économiste Philippe Simonnot dit que la Gauche française préfère des chômeurs à des travailleurs pauvres, même si ceux-ci sont indépendants et ne doivent leurs gains modestes qu’à leur seule activité ...
Un indépendant n’est pas une "entreprise en miniature"
Derrière la réforme du régime de l’auto-entrepreneur, la véritable question à poser est : veut-on vraiment encourager le développement du travail indépendant dans notre pays ?
Les pouvoirs publics (Gauche et Droite confondues) font une erreur d’appréciation en assimilant l’entrepreneuriat à la création d’une entreprise "ayant vocation à grandir" (et donc à embaucher).
Or, toutes les "entreprises" n’ont pas vocation à grandir : l’entrepreneur "unipersonnel" n’est pas une entreprise "en miniature" qui un jour deviendra grande (vision toute technocratique, hélas répandue) ...
A côté des dispositifs de soutien à la création d’entreprise "classique", nous avons tout autant besoin d’une politique publique spécifique, ciblée, favorable à l’émergence d’une multitude de professionnels indépendants qui, par goût ou par tempérament, font le choix d’exercer leur métier de façon autonome.
Car tout le monde n’a pas envie de travailler dans le cadre du "lien de subordination" qui définit en droit français le salariat et le rapport à l’employeur (avec, en contrepartie, tous les avantages sociaux accordés aux salariés qui renoncent à leur indépendance...)
Alors même que le contexte français est très favorable au salariat, y compris culturellement, puisque du point de vue de l’administration, un travailleur indépendant est qualifié de "TNS", c’est à dire "travailleur non-salarié" - il est donc défini négativement par rapport au salariat (ce qui en dit long sur l’inconscient français)
Le professionnel indépendant, ce que les Anglo-saxons appellent le "free-lance" ou "professional" n’a pas vocation à grandir - et généralement, il ne veut surtout pas embaucher ! Il tient d’abord à exercer son métier en toute indépendance. Et de préférence seul (ou en réseau).
Si l’environnement socio-culturel, juridique et fiscal y était favorable nous pourrions certainement voir s’installer 500 000 professionnels indépendants supplémentaires dans notre pays (hors professions libérales réglementées).
Or pour cela, le régime (actuel) de l’auto-entrepreneur n’est pas adapté, car trop "fourre-tout". Et, une fois réformé, il le sera encore moins, puisque dans la réforme telle qu’elle est présentée rien n’est prévu pour encourager le "travailleur indépendant".
Pour un statut valorisant du professionnel indépendant
Il manque aujourd’hui dans le paysage entrepreneurial un vrai statut clair, et valorisant, du professionnel indépendant. Défini positivement et non par défaut par rapport au salariat.
Espérons que la mission confiée par le gouvernement à Laurent Grandguillaume (1), Député de la Côte d’Or (PS), destinée à simplifier et à clarifier le cadre de l’entrepreneuriat individuel saura aussi prendre en compte cette problématique.
Actuellement en phase de consultation et d’audition des organisations professionnelles et des acteurs concernés, le député
Grandguillaume doit remettre son rapport en décembre de cette année.
Espérons que l’arbre de l’auto-entrepreneur ne cachera pas la forêt des indépendants qui ne demande qu’à lever.
Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com
- (1) Dans sa lettre de mission au député de la Côte d’Or, le premier ministre Jean-Marc Ayrault, précise qu’il attend « des propositions visant à favoriser le développement pérenne des entreprises individuelles et des TPE par la réduction des charges administratives, par la simplification des régimes d’impositions fiscale et sociale, ainsi que par la simplification des régimes juridiques applicables »
|