Laurence Parisot juge « gravissime » la situation de l’économie française, après cinq trimestres de stagnation. A partir des informations que lui font remonter les fédérations régionales de l’organisation patronale, il ressort que les entreprises sont dans une situation alarmante. Après la trève estivale, les commandes ne sont pas reparties en septembre, comme espéré. Conséquence : des trésoreries de plus en plus tendues, des défaillances qui vont se multiplier, d’autant que le taux de marge brute des entreprises française est de 12 points inférieur à celui de leurs homologues allemandes ...
Pour la présidente du Medef, « il y a urgence et il faut mettre un terme à ce décrochage économique de la France. » Elle estime que le gouvernement n’a pas pris la vraie mesure de la gravité de la situation et qu’il ne réagit pas avec la rapidité nécessaire. Sans oublier l’alourdissement de la fiscalité des entrepreneurs qui a suscité une levée de boucliers dans les milieux patronaux ...
Laurence Parisot demande notamment une baisse significative des charges sociales qui pèsent sur les salariés et les employeurs, en les reportant sur une augmentation équilibrée de la TVA et de la CSG, afin de redonnner du pouvoir d’achat.
Elle demande aussi que les entreprises puissent gagner en fléxibilité dans l’organisation des relations sociales, et que soit désserré le "carcan juridique et réglementaire" qui les étreint.
L’entrepreneur doit être pris en considération
Enfin, la présidente du patronat voudrait que l’entrepreneur soit considéré à hauteur de sa juste contribution à l’économie : « Les entrepreneurs prennent des risques que les autres ne prennent pas ! », souligne-t-elle.
Pour appuyer son propos, à l’intention d’un gouvernement de gauche, elle se plait à citer un extrait d’un article publié par le socialiste Jean Jaurès dans la Dépêche de Toulouse, le 28 mai 1890 * :
« Il n’y a de classe dirigeante que courageuse. A toute époque, les classes dirigeantes se sont constituées par le courage, par l’acceptation consciente du risque. Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer. Est respecté celui qui, volontairement, accomplit pour les autres les actes difficiles ou dangereux. Est un chef celui qui procure aux autres la sécurité, en prenant sur soi les dangers. *
Pour que les entrepreneurs puissent faire entendre leur voix et « afficher leur fierté d’entreprendre », Laurence Parisot projette d’organiser un grand rassemblement. On se souvient d’une initiative semblable prise par son prédécesseur à la tête du Medef (qui s’appelait alors le CNPF), Yvon Gattaz, sous la présidence de François Mitterrand : des dizaines de milliers d’entrepreneurs s’étaient rassemblés en décembre 1982 à Villepinte pour protester contre la hausse des charges ...
* « Les misères du patronat » de Jean Jaurès - La Dépêche de Toulouse du 28 mai 1890 (Extraits) :
(...) « Le courage, pour l’entrepreneur, c’est l’esprit de l’entreprise et le refus de recourir à l’Etat ; pour le technicien, c’est le refus de transiger sur la qualité ; pour le directeur du personnel ou le directeur d’usine, c’est la défense de la maison, c’est dans la maison, la défense de l’autorité et, avec elle, celle de la discipline et de l’ordre.
Dans la moyenne industrie, il y a beaucoup de patrons qui sont à eux mêmes, au moins dans une large mesure, leur caissier, leur comptable, leur dessinateur, leur contremaître ; et ils ont avec la fatigue du corps, le souci de l’esprit que les ouvriers n’ont que par intervalles. Ils vivent dans un monde de lutte où la solidarité est inconnue. Jusqu’ici, dans aucun pays, les patrons n’ont pu se concerter pour se mettre à l’abri, au moins dans une large mesure, contre les faillites qui peuvent détruire en un jour la fortune et le crédit d’un industriel.
Entre tous les producteurs, c’est la lutte sans merci ; pour se disputer la clientèle, ils abaissent jusqu’à la dernière limite, dans les années de crise, le prix de vente des marchandises, ils descendent même au dessous des prix de revient. Ils sont obligés d’accepter des délais de paiement qui sont pour leurs acheteurs une marge ouverte à la faillite et, s’il survient le moindre revers, le banquier aux aguets veut être payé dans les vingt-quatre heures.
Lorsque les ouvriers accusent les patrons d’être des jouisseurs qui veulent gagner beaucoup d’argent pour s’amuser, ils ne comprennent pas bien l’âme patronale. Sans doute, il y a des patrons qui s’amusent, mais ce qu’ils veulent avant tout, quand ils sont vraiment des patrons, c’est gagner la bataille. Il y en a beaucoup qui, en grossissant leur fortune, ne se donnent pas une jouissance de plus ; en tout cas, ce n’est point surtout à cela qu’ils songent. Ils sont heureux, quand ils font un bel inventaire, de se dire que leur peine ardente n’est pas perdue, qu’il y a un résultat positif, palpable, que de tous les hasards il est sorti quelque chose et que leur puissance d’action est accrue.
Non, en vérité, le patronat, tel que la société actuelle le fait, n’est pas une condition enviable. » (...)
« Les misères du patronat » a été publié à la Une de la Dépêche de Toulouse le 28 mai 1890. En juillet, Jaurès qui a perdu son siège de député, sera élu conseiller municipal de Toulouse.
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