« PME : adoptez la culture du réseau coopératif ! »
Par Denis Ettighoffer *
« D’ici à quelques années, à la place d’une économie concentrée dans d’importantes sociétés représentant un pays donné, nous trouverons un ensemble fédéré de PME internationales très spécialisées. Parfois issues de l’éclatement volontaire de grands groupes, tournées vers le marché, elles seront capables d’une forte interactivité et multiplieront les occasions d’utiliser les "networks" pour développer leurs affaires.
Dans cette perspective, les réseaux électroniques deviennent non plus de simples instruments de productivité spécifiques à une ou plusieurs entreprises, mais aussi un levier qui favorise les coopérations inter-entreprises, le développement de leurs affaires, donc des emplois.
Ainsi l’avenir de nos PME passe par leur capacité à sceller des alliances qui aboutissent à un partage à la fois de leurs moyens mais aussi de leur capital immatériel que sont leur matière grise et leurs expertises.
On a découvert, avec la Netéconomie, que les entreprises en réseaux créent ensemble plus de valeur ajoutée qu’une entreprise isolée d’une taille comparable à l’ensemble.
Les grappes d’entreprises en réseau génèrent deux fois plus de marge, créent deux fois plus d’emplois grâce au partage des spécialités, des expertises de chacun des maillons qui les composent.
Aussi, l’avenir des PME passe par des alliances leurs permettant de partager des savoirs et des ressources tout en économisant du capital (des investissements en propre). Malheur à la PME qui tient à s’isoler !
Des réseaux d’experts inter-PME
Les PME ont intérêt à s’allier afin de constituer un écosystème économique et social en multipliant les partenariats. Une démarche largement engagée par des grandes entreprises qui ont été jusqu’à créer une direction des partenariats dont les directeurs sont aujourd’hui regroupées dans l’Adalec, (Association Nationale des Directeurs des Partenariats).
La maxime « « l’union fait la force » n’a jamais eu autant d’importance. Les patrons de PME qui ont une vision trop égocentrique de leur souveraineté d’action auront du mal à survivre dans de telles modes d’organisations en réseaux. Les PME françaises ne pourront pas rester compétitives uniquement en tirant sur leurs coûts et leurs ressources propres. Ils leur faudra l’être plus par l’innovation et l’échange d’idées nouvelles, voilà pourquoi je crois beaucoup au développement de réseaux d’experts inter-PME.
La question à se poser est la suivante : en quoi mes compétences sont-elles susceptibles d’intéresser d’autres entreprises, d’autres écosystèmes que le mien ? Car, il leur faut aussi s’ouvrir à de multiples collaborations (universités, centres de recherches, entreprises installées à l’étranger…) constituant autant de pôles de compétences entrant en synergie les uns avec les autres. Sur ce terrain, les PME les plus agiles ont une très bonne carte à jouer. Jadis on s’est beaucoup gaussé de l’intervention de l’Etat afin d’agir sur le « mécano industriel » français.
Coup de pouce du gouvernement britannique
Même les Anglais, que l’on croît peu interventionnistes, ont lancé dans les années 1990, sous l’impulsion du DTI (Department of Trade and Industry), une vigoureuse campagne d’information et de sensibilisation vers leurs PME afin qu’elles s’équipent pour s’habituer à coopérer, notamment pour s’installer ensemble sur de nouveaux marchés. Les pouvoirs publics ont admis que ces réseaux ont un rôle nouveau à jouer dans la compétitivité globale de leurs entreprises en soutenant leurs investissements dans les applications du "cooperative working". Ils ont compris qu’encourager ces formes d’organisations c’était, à terme, encourager la constitution de réseaux d’affaires et de développement coopératifs.
En France, Oseo apporte son concours à celles des entreprises innovantes qui se lancent dans des projets de développement coopératifs. Selon le quotidien Les Echos, cette structure d’aide à l’innovation stratégique a soutenu ces dernières années quelques 73 projets impliquant 356 entreprises . C’est insuffisant. Une majorité de nos PME restent encore trop isolées.
Favoriser la création de "grappes d’entreprises"
Je plaide pour un effort plus visible et significatif de l’aide au co-développement des PME françaises pas encore convaincues de l’intérêt de se constituer en phalanges technico-économiques pour se développer. Concrètement, plutôt que des budgets pour diminuer leurs charges, je suggère que l’on aide financièrement celles qui acceptent de s’associer en grappes pour attaquer de nouveaux marchés.
Quelques exemples ? Mise à disposition d’un réseau spécifique « clés en main » pour celles qui s’organisent en grappes, des garanties pour renforcer leurs apports en fonds propres, des encouragements fiscaux pour celles qui pratiquent le partage des ressources humaines (contre engagement de ne pas licencier), la mise à disposition de consultants financés pour définir leur stratégie et leurs objectifs communs ...
Nous devons apprendre non seulement à mettre du génie dans les façons de concevoir, de produire et distribuer nos produits et services mais nous devons mettre aussi du génie dans nos façons de nous organiser.
Il n’échappe à personne que les progrès techniques ont eu une influence majeure sur les évolutions de nos infrastructures. Le champ des possibles ouvert par la diffusion généralisé des NTIC est considérable. Elles créent autant d’opportunités pour nos PME.
Vers des plates-formes de services partagés entre PME
Regardez l’avènement récent des sites de commerce électronique, celui des portails entreprises, des écoles en ligne. Aujourd’hui, nous pouvons aussi créer des plates-formes de services partagés entre groupes de PME, faire de la coproduction, du co-marketing ou encore mettre en commun des expertises dans des réponses à des appels d’offre.
Les exemples sont infinis de ce que les PME peuvent inventer ensemble. C’est là que se trouve le secret de "l’entreprise virtuelle". La symbiose qui peut se constituer entre elles à des effets parfois étonnants.
Le cas de "Triangle". J’ai en tête l’exemple de trois PME qui ont constitué une marque commune, « Triangle », et mis en synergie leurs trois activités qui relevaient de la carrosserie, de la peinture électrostatique et de l’électromécanique, ce qui leur a permis de doper leur chiffre d’affaires à l’export, puis, ensemble de monter une usine en Egypte, avec succès. Sauf qu’au bout de quelques années, leurs dirigeants constataient que la symbiose de leurs activités était telle que leur valeur ajoutée était désormais incarnée dans la marque commune. Le périmètre de leurs activités respectives s’était confondu en une entité unique et toutes tentatives de séparation devenaient mortelles.
Au final, plus qu’une question d’investissement financier, c’est avant tout une question d’état d’esprit du chef d’entreprise. Il doit s’intéresser à ce qui se passe autour de lui. Il doit se montrer proactif et curieux et surtout … apprendre à pratiquer l’art de la combinazione ! »
Denis Ettighoffer
* A propos de Denis Ettighoffer :
Précurseur dans l’analyse de l’économie immatérielle, Denis Ettighoffer s’est fait connaître en 1992 avec son essai « L’entreprise virtuelle » (ouvrage primé et plusieurs fois réédité).
Ex collaborateur du groupe Bossard Consultants, expert en innovation, consultant en organisation, spécialisé en management stratégique des technologies de l’information, Denis Ettighoffer est le président fondateur d’Eurotechnopolis Institut. Professeur consultant du groupe IGS (Institut de Gestion Sociale), il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles. Et notamment : Du Mal travailler au Mal vivre, avec Gérard Blanc, ( Editions Eyrolles, 2003), L’Entreprise Virtuelle, nouveaux modes de travail, nouveaux modes de vie ? (réédité par les Editions d’Organisation, 2001), Mét@-Organisations, les modèles d’entreprise créateurs de valeur, avec Pierre Van Beneden (Ed. Village Mondial, avril 2000 - Prix Turgot 2001), eBusinessGeneration, les micro-entreprises gagnent de l’argent sur Internet, ( Ed. Village Mondial, 1999), Le Syndrome de Chronos avec Gérard Blanc (Ed. Dunod, 1998 - Prix Rotary du Livre d’Entreprise).
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