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"Morts de peur - la vie de bureau"
Un essai de Teodor Limann
 

Avec un don aigu d’observation et un vrai talent d’écrivain, Teodor Limann met en évidence l’enfer d’une bureaucratie privée, dérive contemporaine d’un capitalisme financier sans morale, où l’organisation révèle sa tentation totalitaire de contrôle des comportements et des esprits.

A 32 ans, Teodor Limann – il s’agit d’un pseudonyme - est cadre financier. Fils d’enseignants, il accède à l’excellence républicaine : polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, et débute dans une société de conseil en management, avant de rejoindre de grands groupes. Parcours sans faute...

Pourtant, confronté aux codes et règles des grandes organisations, ce père de trois enfants découvre un quotidien fait d’ennui, de vanités, de futilités, de rivalités, d’absurdités et aussi de frustrations et de souffrances. De sa courte expérience professionnelle, il a tiré la matière d’un essai incisif sur les avanies de « la vie de bureau ».  [1] Avec un don aigu d’observation et un vrai talent d’écrivain, Teodor Limann met en évidence l’enfer d’une bureaucratie privée, dérive contemporaine d’un capitalisme financier sans morale, où l’organisation révèle sa tentation totalitaire de contrôle des comportements et des esprits. Ce livre bref résonne aussi comme un coup de semonce : Patrons, ressaisissez-vous si vous voulez sauver le capitalisme...

Entretien avec Teodor Limann

Consulendo : Dans votre livre intitulé "Morts de peurs", vous écrivez : « l’ingrédient essentiel de la perpétuation du système est la peur. » Peur de quoi ?

Teodor Limann : Ca commence par la peur de dire ce que l’on pense au cours des réunions, la peur d’être ridicule devant les autres ou devant sa hiérarchie, la peur de paraître incompétent... Tous les cadres baignent dans un climat d’incertitude, du fait d’une grande volatilité dans les carrières et les réputations.

Aujourd’hui, les positions hiérarchiques ne sont plus liées à des savoirs techniques bien identifiés, mais plutôt à des compétences relationnelles, à une forme d’habileté politique, jusqu’à l’aptitude à manipuler les autres.

Les cadres ont le sentiment que leur position dans l’entreprise est instable et transitoire ... Ce climat d’insécurité favorise les comportements de francs tireurs, une vision à court-terme. On ne gère pas dans la durée : le manager est plutôt enclin à « faire des coups », à tirer son épingle du jeu, au détriment de l’animation de son équipe. Il a de moins en moins le souci des autres. D’abord préoccupé de se maintenir en poste, il privilégiera les dossiers qui le mettent en valeur vis-à-vis de sa hiérarchie.

Consulendo : Comment s’explique cette situation ? Ne traduit-elle pas un réel déficit de management dans les entreprises ?

Teodor Limann : Première explication : la financiarisation excessive de l’économie. Dans l’entreprise, les fonctions financières ont pris le pouvoir. La DAF, L’audit et le contrôle de gestion ont imposé leurs codes, leurs exigences, leur vision. Bien des PDG se comportent davantage en financiers qu’en chefs d’entreprise.

Le contrôle de gestion à tous les étages, c’est l’apothéose du calcul et la mort de l’aventure entrepreneuriale ! Les gens passent des journées entières sur des tableaux de bord. On a développé une sophistication de l’ingénierie comptable qui, au final, ne créée pas vraiment de la valeur : on se focalise sur la présentation des résultats, on joue sur les refacturations internes et d’autres astuces...

D’ailleurs, beaucoup de jeunes privilégient aujourd’hui les filières financières. Les MBA ont pris le pas sur les diplômes techniques. Moins de 10% des diplômés de l’Ecole des Ponts et Chaussées font carrière dans le BTP !

"Individualisation au détriment du projet collectif"

Ensuite, c’est l’organisation actuelle de l’entreprise qui encourage les comportements individualistes. Avec le management par objectifs, le morcellement en business units, chacun devient responsable de ses résultats. L’individualisation des salaires, les stocks options, la compétition exacerbée entre départements au sein d’un même groupe, tout cela se fait au détriment du projet collectif, de l’esprit d’équipe.

Et personne ne se préoccupe du coût global du contrôle de gestion : c’est l’œil qui ne se voit pas lui-même...

Déficit de management ? Sans doute aussi. On se rend compte qu’il y a beaucoup de cadres de direction et de managers qui ne sont pas à leur place. Le système de mise en compétition permanente des individus au sein d’un même groupe révèle des personnalités brutales, sans scrupules, voire pathologiques, prêtes à tout pour parvenir à leurs fins.

Ce management pervers a un coût caché qui est aujourd’hui très mal évalué.

Consulendo : Des études établissent un lien entre ce climat de travail délétère et la moindre compétitivité de l’économie française... Face à cette mauvaise ambiance, au malaise des cadres - qui peut aller parfois jusqu’au suicide, on l’a vu- pourquoi n’y a-t-il pas plus de révoltes ?

Teodor Limann : Les cadres expriment leur amertume devant la machine à café, mais généralement ça ne va guère plus loin. Chacun subit dans son coin, rumine son ressentiment, mais tout cela ne débouche pas sur des actions collectives. De plus, les syndicats n’exercent qu’une faible influence dans l’univers des cadres.

Et puis la souffrance dans l’entreprise se vit souvent dans un environnement policé, une ambiance ouatée. On ne sait jamais si on a bien fait ; il y a rarement des compliments, mais pas vraiment non plus de reproches. Tout reste à demi-mot. Et chacun flotte dans ce sentiment d’incertitude. Même la répartition des tâches est floue. Souvent on recrute un profil à haut potentiel, mais c’est à lui de se débrouiller : il doit « inventer son poste » ! Sous prétexte d’autonomie, il y a de moins en moins de directivité du management. Le cadre moyen doit se débrouiller entre le manque d’impulsion managériale et les injonctions contradictoires de sa hiérarchie. Autrement dit : « fais ton boulot, mais ne va pas trop loin dans tes initiatives ! »

"L’entreprise a transféré le conflit dans les têtes"

Les entreprises sont dans un environnement tellement incertain que leurs dirigeants eux-mêmes ne savent probablement pas où ils vont...

L’entreprise n’aime pas les conflits, du coup, elle a transféré le conflit dans la tête des gens. Et le salarié doit intégrer toutes les problématiques contradictoires de l’entreprise. D’où le succès du coaching. Or le coaching contribue à culpabiliser les individus et à « psychologiser » les contradictions de l’entreprise. On demande à chacun de se mettre à la place du patron. Mais c’est le rôle du sommet de résoudre les problèmes de l’entreprise et non celui de la base.

Consulendo : voyez-vous quand même des raisons d’espérer ?

Teodor Limann : Je constate un grand déficit de sens dans l’entreprise. Et un manque d’idéal. On mobilise énormément d’énergie, d’ingéniosité et de talents souvent au service d’objectifs futiles. Les cadres sups bossent dur pour s’acheter la dernière génération d’écrans plats !

Comme les gens sentent que l’entreprise les traite à la légère, ils se désinvestissent de la vie professionnelle pour privilégier leur vie personnelle et familiale. Je me dis « une heure de gagnée avec mes enfants, c’est vraiment une heure de gagnée ; alors qu’une heure de plus donnée à mon entreprise, je ne sais pas ce que ça rapporte... »

Résultat : les dérives actuelles du capitalisme, le comportement cynique de certains dirigeants donnent une image catastrophique du système libéral !

"A la recherche d’un supplément d’âme"

Cela dit,les critiques de mon livre visent essentiellement la grande entreprise, les grands groupes et leur bureaucratie excessive. Mais je crois que c’est différent dans les PME, où les rapports sont plus francs, plus humains, plus directs ; la réalité est plus visible, mais les contraintes plus fortes aussi parfois.

J’observe aussi que des jeunes diplômés vont aujourd’hui chercher un supplément d’âme dans le secteur associatif ou humanitaire, mais je pense qu’il faut globalement se méfier des étiquettes, et de toute idée de hiérarchie morale absolue. J’ai pu constater combien certaines associations oeuvrant pour la réduction de la pauvreté revendiquaient les mêmes normes d’efficacité et de fonctionnement que les grandes entreprises, et ne se comportaient pas nécessairement mieux avec leurs salariés que les groupes capitalistes dont elles disent généralement beaucoup de mal...

Il faut essayer de ne pas perdre de vue la finalité de l’entreprise, à savoir les produits ou services qu’elle élabore et propose. Le plus grand danger réside dans la dissociation totale entre les rouages et la finalité des entreprises, qui favorise les approches « horlogères » et technicistes de la production humaine. Une ingénierie fantastique est parfois déployée dans une logique d’excellence technique, repliée sur elle-même, et qui ne s’autorise aucun jugement sur la valeur ou la nécessité de ce qu’elle produit.

Ce triomphe de la mécanique se trouve au fondement des temps modernes, et de la perte de sens dont nous souffrons. D’où ma méfiance pour la ou les techniques en général, car leur fonction est précisément d’éluder la question du sens et de la morale.

Propos recueillis par Jacques Gautrand

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