Voici les quelques commentaires que cette situation m’inspire. Je vous invite à me faire part des vôtres.
Ces drames interviennent dans un pays où les lois sociales et le Code du travail sont parmi les plus élaborés et protecteurs des pays développés. Apparemment, ce carcan législatif et réglementaire se révèle inefficace ou inadapté…
Les suicides sur le lieu de travail sont notamment intervenus dans de grands groupes proches ou sous contrôle du secteur public, avec un passé d’entreprise « vache à lait » assurant « emploi à vie » et multiples avantages à ses collaborateur ... Confrontés à la concurrence internationale, ces groupes ont adopté des règles de gouvernance (et de rémunérations de leurs dirigeants !) inspirées des multinationales, mais n’ont pas su gérer en interne leur mutation culturelle avec leurs salariés. (Il serait d’ailleurs intéressant d’effectuer une étude sur les entreprises patrimoniales, où le dirigeant connaît personnellement chacun de ses salariés, pour savoir si le climat social y est aussi dégradé ...)
Dans les grands groupes publics, parapublics comme dans les administrations, on observe la persistance de relations de travail fortement hiérarchiques (en mille-feuilles) qui sont en totale contradiction, d’une part avec les évolutions de la société, et, d’autre part, avec les besoins de l’entreprise moderne qui doit pouvoir compter sur des collaborateurs imaginatifs, créatifs, réactifs, capables de prendre des initiatives…
Dans notre société qui valorise les loisirs, le temps libre, les RTT, le travail demeure toujours un facteur central du statut et de la reconnaissance sociale. Des salariés mutés ou licenciés du jour au lendemain témoignent de cette « mort sociale » qui leur est signifiée ...
La financiarisation excessive de l’économie (dont nous payons le prix fort avec la crise la plus profonde depuis soixante ans !) a fait des salariés la principale variable d’ajustement afin de maintenir « la création de valeur pour l’actionnaire » ... (On sait l’effet pervers des stocks-options réservées à quelques dirigeants qui ont contribué à éloigner les cadres de direction de leur collaborateurs, en focalisant leur intérêt sur le cours de Bourse …)
Dans la société de l’information, dans l’économie de services et l’économie relationnelle qui sont désormais notre quotidien, la première ressource et la plus précieuse, ce sont les qualités des hommes et des femmes de l’entreprise, leur savoir-faire, leur savoir-être, leur créativité, l’intelligence collective, l’innovation individuelle et collaborative, la capacité des managers à conjuguer les talents et à faire travailler les gens ensemble ...
La société française, dans ses traditions élitistes, s’appuie depuis le 19ème siècle, sur un système de sélection des cadres dirigeants fondé sur les connaissances théoriques, avec une prime donnée aux sciences « dures ». La promotion des cadres se fait principalement sur la base de compétences techniques pointues, plutôt que sur leurs qualités humaines. On propulse à des postes d’encadrement des personnes intellectuellement agiles et brillantes, mais qui n’ont parfois aucune formation en sciences humaines ni aucune expérience de l’animation d’équipe.
Dans une interview au Figaro, Bernard Salengro, médecin du travail, président de l’Observatoire du stress au travail de la CFE-CGC, souligne : « Nos dirigeants ont tous été formés dans les mêmes écoles et ne connaissent rien en fonctionnement de l’humain. Ils sont très forts en gestion ou en mécanique des fluides, mais pas en relations humaine. » (1)
Le mal-être au travail est aussi le revers d’un mal-management ... Nous souffrons d’un déficit de « management humaniste » (2). Dans nos sociétés fortement bureaucratisées, on a longtemps cru que « l’administration scientifique des choses pourrait remplacer le gouvernement des hommes » (c’était l’idéal des positivistes au 19ème siècle !) ... On voit où cette illusion scientiste nous a conduits ...
Il ne suffit pas de proclamer dans de beaux rapports d’activité sur papier glacé que « la ressource humaine est capitale », encore faut-il se donner les moyens d’incarner cette assertion au quotidien, en formant des managers animateurs d’équipes (3) et pas seulement des « responsables de centres de profits » ou de « business units ». Car si les femmes et les hommes de l’équipe sont démotivés ou défaillants, il n’y aura, in fine, ni business, ni profit.
Jacques Gautrand
contact : jgautrand [@] consulendo.com
Notes :
(1) In Le Figaro du 14 septembre 2009. Voir aussi : L’Observatoire du stress
(2) Un récent colloque sur le thème « Le management humaniste en temps de crise » est organisé par la Fondation Olivier Lecerf, l’Académie des Sciences morales et politiques, l’Institut de l’entreprise et la FNEGE.
(3) Animatrice de l’Association Germe, Caroline Perletti n’hésite pas à proclamer : « Il est de la responsabilité de chaque manager de rendre heureux ses collaborateurs ! » Le réseau Germe de "perfectionnement managerial au service des entreprises" a pour vocation de faire progresser les cadres de direction ensemble, d’enrichir et de faire évoluer leur management, à travers le partage d’expériences et de bonnes pratiques.
P.S. Rappelons que le 12 mars 2008, a été remis au gouvernement un rapport rédigé par Philippe Nasse, magistrat, et Patrick Légeron, médecin psychiatre, directeur général du cabinet Stimulus, sur le thème : « La détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail », faisant du stress "le premier risque psychosocial".
Consulter le rapport Nasse-Légeron
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Le prochain MERCREDI DU CHEF D’ENTREPRISE
aura pour thème :
« Le Management de la santé et de la prévention dans les PME »
Mercredi 14 octobre 2009, de 19 heures à 20 heures 30,
à l’INSEEC, 27 avenue Claude Vellefaux, 75010 Paris
Le “MERCREDI DU CHEF D’ENTREPRISE” est organisé par la CGPME 75, le Groupe INSEEC et AGEFOS PME ILE DE FRANCE
Renseignements et inscriptions sur le site du Mercredi du chef d’entreprise
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