Après l’euphorie et l’opulence, la philanthropie va-t-elle connaître des années de vaches maigres ?
Les avis sont pour le moins mitigés. En effet, si certains estiment que la crise va stimuler les solidarités et que la défiscalisation partielle des investissements dans le mécénat apparaîtra comme une « petite niche » permettant de se donner bonne conscience à moindre frais, d’autres pensent au contraire que le mécénat sera un des budgets de communication qui souffrira le plus dans les entreprises. Et pour cause : sa rentabilité est difficile à calculer.
Déjà à Davos, fin janvier, les plus grandes figures de la philanthropie mondiale (Bill Clinton, Tony Blair, Richard Branson, Muhammad Yunus, Bill Gates et bien d’autres) ne sont pas parvenues à trancher quant à l’impact de la crise sur les organismes sans but lucratif. L’institut d’études américains LBG, qui vient de réaliser un sondage auprès de 440 entreprises américaines estime lui que la crise ne sera pas sans impact sur le mécénat. Et qu’il va falloir, pour les donateurs et les bénéficiaires, s’habituer à « faire plus avec moins »... (1)
Une chose est cependant déjà vérifiée : les responsables du mécénat dans les entreprises ont commencé à serrer les boulons. Certes, plus dans les PME que dans les grosses entreprises, mais il y a fort à craindre, que cette année, les dépenses consacrées au mécénat en France, n’atteignent pas le record de l’année dernière.
73% des entreprises mécènes ont moins de 100 salariés.
Selon une récente étude CSA-Admical, réalisée auprès de 751 entreprises de 20 salariés et plus, l’année 2008 fut un feu d’artifice, avec 2,5 milliards d’euros consacrés au mécénat soit près de 60% d’augmentation en deux ans !
Il est vrai que le sondage a été réalisé avant la fin de l’année, avant la prise de conscience de l’ampleur de la crise, et sur la base de budgets votés en 1987 quand l’économie mondiale connaissait encore une croissance soutenue.
Cependant ce sondage apporte quelques surprises. Alors que la plupart des analystes ont toujours pensé que le mécénat était réservé aux grands groupes industriels (les Arnault, Bouygues, Total, Sanofi, BNP PARIBAS, Bayer, Orange…), les chiffres révèlent que 73% des entreprises mécènes se situent dans la tranche de 20 à 99 salariés (laquelle représente 81% des entreprises en France). La forte représentation de ces PME apparaît comme remarquable, compte tenu de la difficulté à s’engager dans le mécénat pour une petite entreprise. L’effort des experts comptables y est sans doute pour quelque chose. Ils ne cessent en effet d’expliquer à leurs clients l’intérêt fiscal de la loi Aillagon de 2003, notamment pour les Fondations d’entreprises. Quant aux groupes industriels, de 200 salariés et plus, ils ne représentent que 18% des entreprises mécènes, soit le double de leur représentation dans le tissu économique.
Autre surprise de cette étude, ce sont les entreprises de services qui financent le plus d’actions de mécénat : 43% proviennent de ce secteur qui représente quand même 58% des sociétés françaises. En termes de budget, c’est encore plus flagrant puisque 87% du budget mécénat provient des secteurs des services et du commerce. Bien sûr, les banques, les compagnies d’assurance, la grande distribution figurent dans ce « panier ». Ce qui explique l’importance des sommes allouées, mais curieusement le plus souvent uniquement au bénéfice de quelques grandes opérations.
La culture privilégiée.
Enfin, dernière surprise : c’est dans les domaines de la solidarité et de la culture que les entreprises se montrent les plus généreuses. Elles y investissent 32% et 39% de leur budget, soit, respectivement, 975 millions et 800 millions d’euros. Ces gros investissements dans le domaine culturel s’expliquent par deux raisons. La première est la forte impulsion donnée par le ministère de la Culture et sa mission Mécénat (partenariats établis avec les CCI, les experts comptables…), le ministère se défaussant ainsi sur le privé d’une partie de ses subventions. La deuxième raison est les coûts élevés inhérents à de nombreuses actions culturelles. Sans compter que des secteurs comme la grande distribution ou les banques sont très sollicités localement, dans les régions, par les organisateurs de festivals ou d’expositions qui, dès les beaux jours, poussent comme des champignons partout en France.
Ce qui d’ailleurs explique un autre constat : ceux qui pensent que le mécénat, c’est du parisianisme, se trompent : 65% des entreprises interviennent au niveau régional, contre 40% sur le plan national et seulement 18% à l’échelle internationale.
Une telle dynamique va-t-elle s’arrêter avec la crise actuelle ? Il est très probable qu’elle va marquer une pause et qu’elle connaîtra même une certaine récession. Peut-être plus pour des raisons psychologiques que budgétaires. Il devient en effet difficile pour une entreprise qui licencie d’expliquer à ses salariés qu’elle finance un festival ou une exposition… Même si grâce à cela elle paie un peu moins d’impôts. Il devient difficile également, quand une région entière vit la montée du chômage, d’expliquer à des salariés le bien fondé d’actions de solidarité dans les parties du monde les plus défavorisées. Et le risque est bien que le mécénat redevienne ce qu’il était jusqu’à présent dans l’histoire : la bonne action des plus riches…
Gérard Negreanu
(1) Milliardaires à la peine...
La dernière édition du célèbre classement du magazine Forbes estime le nombre de milliardaires dans le monde à 793, soit une diminution d’un quart par rapport à l’année précédente où on en comptait 1 125. Quant à leur fortune cumulée, elle est "tombée" de 4 383 milliards de dollars à 2 453 milliards... Dur, dur !
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