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Perspectives Médias
La presse d’information en quête de modèle économique : la dernière chance ?
Par Gérard Negreanu *
 

La mort de la presse écrite, maintes fois annoncée, est-elle inéluctable ?
Opérations de "recapitalisation", changements d’actionnaires ou de propriétaires se banalisent dans les journaux. Les uns après les autres, ce sont tous les fleurons de la presse écrite française - Le Monde, La Tribune, France Soir, Le Parisien ... - qui sont concernés par ces "reclassements".

Certes, il y a toujours eu des repreneurs pour des titres emblématiques : riche industriel à qui ça ne coûtera pas grand-chose ; utopiste en mal de notoriété ; fonds d’investissement plus ou moins transparent ; ou encore « blanchisseur d’argent » qui cherche à se faire une virginité ...

Mais le mal profond dont souffre la presse d’information - secteur vital pour la démocratie et aussi pour l’économie ! - ne peut plus se contenter d’effets d’annonce. Des changements s’imposent à tous les maillons de la chaîne : de la conception à la distribution des journaux. Sans oublier les mutations liées aux nouveaux modes et supports de diffusion électroniques ...

* Journaliste économique et financier, Gérard Negreanu a exercé des responsabilités éditoriales dans plusieurs groupes de presse. Il a notamment été le rédacteur en chef du magazine «  Médias » et de l’hebdomadaire « La Vie Financière » (alors propriété du Groupe Expansion).

La dernière chance ?

Par Gérard Negreanu *

La mort de la presse écrite, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est-elle inéluctable, comme le prédisent certains cassandres ? A regarder les indicateurs économiques, qui ont tous viré au rouge, leur prédiction risque de se vérifier. A quelques exceptions près ( la presse de province, et encore !), aucun titre n’est à ce jour rentable.
Et pour cause : d’année en année, les ventes s’érodent, la publicité commerciale chute, les petites annonces fondent comme neige au soleil et la publicité financière a pratiquement disparu (faute d’OPA, de fusions acquisitions, d’augmentations de capital, depuis la crise financière internationale…).

Face à une telle situation, après avoir accepté quelques réorganisations et tours de vis imposés par l’actionnaire majoritaire, les directions des rédactions se refusent à remettre en cause leur organisation éditoriale et continuent à fonctionner avec des équipes dont les seuls salaires font déjà basculer le bilan sous la ligne de flottaison ...

Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, Le Figaro publiait le lundi un supplément de petites annonces qui doublait le volume du journal et L’Express faisait de même en fin de semaine. Et rappelons-nous les beaux jours du magazine économique L’Expansion, qui avait du passer au rythme bimensuel, non pas pour mieux informer ses lecteurs, mais ... pour absorber des pages de publicité pléthoriques !. Sans oublier les grandes batailles boursières, les nationalisations, qui remplissaient de publi-reportages les quotidiens et les hebdomadaires, même les plus généralistes. A la trappe !
Et pour clore le tableau des catastrophes : les déboires de l’immobilier, hier gros acheteur d’espace publicitaire pour vendre villas, appartements et programmes neufs à tout va ; sans parler de la bulle Internet qui soldait de la même façon, tout et n’importe quoi !

Bien sûr, la crise économique qui perdure n’y est pas pour rien. Mais est-elle la seule responsable ? Certainement pas. Au temps de leur splendeur, les journaux étaient aussi discrets sur leurs bénéfices qu’ils le sont aujourd’hui sur leurs pertes. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leur gestion était plutôt laxiste : le chiffre d’affaires étant souvent confondu avec le bénéfice net. Comme le dit Dominique Strauss-Kahn : « Quand tout va bien, on pousse la poussière sous le tapis et tout est net ». La remarque vaut autant aujourd’hui pour les Etats impécunieux que pour les entreprises lourdement déficitaires ...

Premiers coups de semonce.

Personne n’a vu venir l’orage. Il est arrivé de plusieurs côtés, subrepticement d’abord, puis avec une violence inouïe.

D’abord, la presse gratuite.Pour commencer, deux ou trois journaux ni faits ni à faire, qu’on vous colle dans la main aux entrées de métro, dans les gares, aux arrêts de bus, dans la rue. Des centaines de milliers d’exemplaires distribués chaque jour. Plus besoin d’aller au kiosque, de sortir un euro. Sarcastiques, les éditeurs de la presse payante se refusent d’y croire : « C’est un feu de paille », « Ca ne durera pas », « Ca ne peut intéresser personne ... »

Il leur a fallu un moment pour comprendre que ce type de presse avait un objectif principal : rafler une partie du gâteau publicitaire. Normal ! Les annonceurs sont depuis toujours, beaucoup plus attirés par le chiffre de tirage des publications que par leur qualité. A 100 000 exemplaires (voire moins dans la presse payante), comment lutter contre 400 000 ou plus (chez les gratuits) ? Sans compter que ces publications ont vite perçu leur faiblesse : leur qualité éditoriale.
Alors, elles se sont rapidement améliorées : maquette attrayante, rubriques claires, couvertures accrocheuses, articles correctement rédigés. Evidemment, pas de vraies enquêtes, pas d’analyses, pas de commentaires élaborés, mais de l’information brute, légèrement retraitée par des jeunes journalistes à salaire modeste, mais temporairement heureux d’avoir trouvé un job ...

Deuxième coup de tonnerre : l’explosion d’Internet et du haut débit dans tous les foyers, tous les bureaux et même dans la rue avec les téléphones portables. Là encore, les éditeurs de journaux n’y croient pas. Ou, en panne d’imagination, ne savent pas comment faire pour s’immiscer dans cette immense toile d’araignée mondiale quasi incontrôlable. Ils pensent tenir la solution en « montant » leurs éditions sur un site. En deux clics, le lecteur a son journal et peut lire les articles de son choix. L’idée n’est pas mauvaise, car ce sont des millions de clics qui attirent les annonceurs par des petits bandeaux publicitaires souvent bien faits. Mais, il fallait s’y attendre : celui qui lit son journal sur Internet n’achète plus l’édition papier ... Et, finalement, via l’écran, c’est un journal gratuit qui est offert !

D’autres tentent une autre voie : celle des « pure-players » (des titres 100% Internet), des sites payants dédiés à l’information. Leurs créateurs sont en général d’anciens journalistes de renom qui ont baissé les bras devant les difficultés de la presse écrite et se sont lancés à la conquête du Net en pariant sur leur notoriété personnelle et le réseau de sympathie dans les médias traditionnels (qui les citent abondamment ... ). Ces expériences sont récentes, et leur « modèle économique » n’a pas encore fait la preuve de son succès

« Tablette magique ».

Dernier épisode qui fait l’effet d’un tsunami chez les éditeurs de presse et de livres, mais aussi chez les imprimeurs : le lancement de l’iPad. Que sera t-il proposé sur cette tablette encore magique ? La même chose que sur le site Internet des publications ? Un contenu différent ? Mais lequel ? Il sera fait comment et avec qui ? Et à quel prix ?
En fait, personne ne peut le dire précisément aujourd’hui. Mais dans les groupes de presse, le climat a déjà viré de l’anxiété à la véritable angoisse : chacun subodore que les licenciements vont passer de la dose homéopathique à la posologie massive ... Certains journalistes restant très réticents à travailler sur des supports multiples, ils préfèreront sans doute tirer leur révérence, indemnités en poche.

Face à cet état des lieux que peuvent faire les éditeurs de presse ? Parer au plus pressé avec des recapitalisations en cascade ? Chercher en permanence de nouveaux actionnaires ? Sabrer les coûts jusqu’à l’os ?

Quel avenir ? Le diagnostic de grands professionnels de la presse

De quoi demain sera fait ? Nous avons demandé leur avis à quelques figures emblématiques de la presse écrite.

- Jean Boissonnat, le médiatique co-fondateur et vice président de L’Expansion, pourtant peu poussé au pessimisme, nous a déclaré : « Il est évident que les ressources publicitaires ne reviendront jamais aux niveaux qu’elles ont pu atteindre. C’est la raison pour laquelle les journaux vont être obligés de trouver une nouvelle équation économique car les tours de vis budgétaires donnés actuellement par toutes les rédactions ne suffiront pas. En effet, beaucoup seront appelés à disparaître ou à se regrouper car ils sont trop nombreux. Et trop peu sont rentables ! Or, un journal doit être rentable pour être indépendant. »

- Jean-Louis Servan-Schreiber (1), ne se montre pas plus optimiste : « La presse et l’édition papier vont mal et iront de plus en plus mal, car personne ne veut plus payer le prix réel de l’information, qui d’ailleurs ne vaut plus grand-chose tant il y a saturation. Tout le monde a le sentiment d’être informé sur tout, tout le temps ... »

- Pour retrouver un peu d’optimisme, ou plutôt de réalisme, il faut écouter un autre patron de presse, un électron libre dans le paysage médiatique français, le tunisien Béchir Ben Yahmed, fondateur il y a cinquante ans de l’hebdomadaire Jeune Afrique qui n’hésite pas, à 82 ans, à se lancer dans une énième aventure de presse en publiant un nouveau mensuel, La Revue : « La transition sera longue pour la presse écrite, mais elle ne sera pas radicale, dit-il. Elle débouchera, à mon avis, sur une coexistence. Qui aurait pensé, il y a un siècle, que le train, la voiture, l’avion, et le bateau ne seraient jamais transformés en un seul moyen de transport ? Qu’ils pourraient coexister et évoluer en tant que tels ».

Daniel Digne, qui a exercé des postes de management opérationnel dans différents groupes de presse, comme Directeur du magazine L’Entreprise, puis Directeur général de Notre temps et du Chasseur Français, et aujourd’hui patron de l’agence Média et Communication, estime, lui, qu’Internet : « peut être un élément de survie pour la presse écrite en permettant de réduire les coûts de diffusion. Mais, dans ce cas, les journaux devront adapter leur contenu à la demande de leurs lecteurs et non plus l’inverse. Il leur faudra proposer une information sur mesure, en créant avec leur public un vrai contrat de lecture ». Mais il reconnaît, lui aussi, qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde et que des groupes vont disparaitre.

Quant au rôle de la publicité, dans le financement des journaux, il pense que « même si sa part a considérablement diminué, et qu’elle doit maintenant se diluer en trop de supports, la publicité est toujours là. Internet prouve qu’elle sait parfaitement s’adapter et évoluer en même temps et à la même vitesse que les technologies ».

Quel avenir ? La voie du sursaut passe nécessairement par un travail de fond sur le choix de la ligne éditoriale, c’est-à-dire le contenu des journaux. Au lieu de le tirer vers le bas pour se mettre au niveau des publications « people » qui exploitent jusqu’à la corde les filons du sensationnalisme et du voyeurisme racoleurs, c’est la qualité de l’information et de l’écriture qui redonnera à la presse écrite française ses lettres de noblesse.

Le succès d’une revue de haute tenue comme «  XXI » lancée par l’ex grand reporter du Figaro, Patrick de Saint-Exupéry, et Laurent Beccaria, en apporte la preuve.

« Je suis persuadé que l’avenir de notre métier est au journalisme de compétences. Mais, des spécialistes à l’aise pour traiter des sujets internationaux, qui, de plus, sachant écrire, on n’en trouve pratiquement pas … » déplore Béchir Ben Ahmed. Jean-Louis Servan-Schreiber ne dit guère autre chose : « Le journaliste de base n’est plus à la hauteur. Nous manquons aujourd’hui d’experts capables de remettre l’actualité en perspective et rendre compréhensible l’immense chaos des informations qui arrivent de toutes parts ». (...)

« Le journalisme est la seule chose qui peut sauver l’écrit », diagnostique à son tour Michael Ringier, président du groupe suisse éponyme (éditeur de plusieurs journaux sous la marque Blick), dans une interview au Figaro (2). Le groupe Ringier a créé à Zurich une « newsroom intégrée » de 200 journalistes qui travaillent indifféremment pour l’ensemble des titres de la société ...

Le salut de la presse écrite viendra-t-il de ces moutons à cinq pattes du journalisme ? A moins qu’ils ne se transforment en polygraphes de talent, en virtuoses aussi à l’aise à l’écrit qu’à l’oral que des groupes multimédias s’arracheront ... Mais cette polyvalence médiatique tant prônée par les éditeurs actuels est-elle compatible avec une information crédible et de qualité ?

Les nouvelles publications qui opteront pour une haute tenue éditoriale n’auront d’autre choix qu’une stratégie de « niche » et devront se contenter d’un lectorat élitiste, donc quantitativement faible, au moins pour débuter !

En tournant le dos au modèle industriel de la « presse de masse », il leur faudra inventer une nouvelle équation économique pour parvenir à la rentabilité, seule garantie de pérennité. Difficile ? Oui ! Mais c’est pourtant la dernière chance pour une information de qualité.

Gérard Negreanu
* Journaliste économique et financier, Gérard Negreanu a exercé des responsabilités éditoriales dans plusieurs groupes de presse. Il a notamment été le rédacteur en chef du magazine «  Médias » et de l’hebdomadaire « La Vie Financière » (alors propriété du Groupe Expansion).

-  La version intégrale de cet article figure dans un numéro des "cahiers de consulendo" sur le thème : « Les médias en quête de modèles ».

Si vous souhaitez recevoir un exemplaire, contactez-nous en précisant bien vos coordonnées :
jgautrand[ @ ]consulendo.com

Les cahiers de consulendo

Notes :

- (1) Co-fondateur de L’Expansion en 1967, Jean-Louis Schreiber a débuté aux Echos le journal fondé par son père Emile et son oncle Robert. Il a aussi travaillé auprès de son frère Jean-Jacques à L’Express. Après avoir cédé le groupe Expansion au groupe Havas dans les années 90, JLSS s’est distingué à nouveau par la reprise et la relance spectaculaire de Psychologies Magazine dont il a multiplié par cinq la diffusion (titre qu’il a cédé en mai 2008 au Group Lagardère). Auteur de plusieurs essais, JLSS vient de publier « Trop Vite ! - Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme » (Albin Michel)

- (2) In Le Figaro du 27 mai 2010

-  N.B. A l’occasion des Etats Genéraux de la Presse en 2008, nous avions lancé une proposition : Pour la création d’un fonds d’investissement privé, alimenté par les professionnels des médias.

Cette proposition a été évoquée au Sénat lors de l’examen du Projet de loi de finances pour 2009 :
« Votre rapporteur pour avis note également que le groupe de travail « Presse et société » au sein des États généraux a porté une attention toute particulière à la possibilité de créer un fonds national d’investissement dédié à la presse, sur la base d’une contribution élaborée par M. Jacques Gautrand, ancien rédacteur en chef délégué au groupe « Expansion », et disponible sur le site Internet des États généraux. Ce dernier suggère d’ouvrir d’abord ce fonds aux journalistes et professionnels de la presse afin de les inciter à « produire l’avenir de leur métier. »

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