En 2013, la France entrera dans la sixième année de la crise qui touche les pays occidentaux, et plus spécifiquement désormais la Zone Euro, depuis la déconfiture des "subprimes" et la faillite de la banque Lehman Brothers aux Etats-Unis en 2008.
Sur le plan économique, l’année 2013 amorcera-t-elle la sortie de ce long tunnel de croissance quasi-nulle, apportera-t-elle des perspectives de reprise durable, ou bien ne sera-t-elle que la sombre réplique de 2012 (en plus ou moins grave) ? Difficile de répondre maintenant avec certitude à cette interrogation largement partagée. Mais je sens que les rangs des pessimistes sont, pour l’heure, plus fournis que ceux des optimistes ...
On peut, en tout cas, inventorier nos faiblesses nationales les plus criantes (de nombreux rapports, et non des moindres, l’ont déjà fait), évaluer nos capacités collectives à y remédier - en nous appuyant sur nos atouts - et pointer les leviers à actionner pour nous donner des chances de retrouver les chemins de la prospérité. Nous y reviendrons.
1. LA SITUATION POLITIQUE
Examinons d’abord la situation politique de notre pays. 2013 - sauf dissolution, aujourd’hui improbable, ou referendum (ne l’excluons pas) - ne sera pas une année électorale. On pourrait en conclure qu’elle "donne du temps" au président François Hollande et au gouvernement de Jean-Marc Ayrault, avant les échéances de 2014 (municipales, européennes et sénatoriales) ...
Jamais, sauf peut-être aux débuts de la 5ème République, un camp politique n’avait détenu tous les pouvoirs : la Gauche, en effet, tient l’Elysée, Matignon (siège du Premier ministre), l’Assemblée nationale, le Sénat, 21 Régions sur 22, la grande majorité des Départements et des grandes métropoles ... Ajoutons que les médias, les milieux culturels et artistiques, le monde associatif lui sont favorables, du moins partagent peu ou prou ses références idéologiques. L’exécutif paraît ainsi détenir toutes les cartes en main pour "bien gouverner" la France ... D’autant plus que la guerre des chefs allumée bêtement par les apprentis sorciers des "primaires" à l’UMP, affaiblit politiquement l’opposition de droite et la discrédite même dans une partie de son électorat, et ce qu’il est convenu d’appeler la "base" ... Tout ceci devrait être pain béni pour la Gauche ...
Or, paradoxe, six mois après leur prise de pouvoir, le président de la République et le Premier Ministre, ne sont crédités que d’une faible popularité et suscitent, dans leur majorité-même, déception, critiques, contestation, rodomontades ... Tant de la part des partis à la gauche du PS ( tels Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche se présentant comme des « ayants-droits » de la victoire électorale du 6 mai et en réclamant les dividendes !), mais aussi de la part des Verts (pourtant tenus à la "solidarité gouvernementale") qui sont montés plusieurs fois au créneau, et notamment en participant aux actions musclées contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes - projet soutenu de longue date par Jean-Marc Ayrault (en tant que maire de la métropole nantaise) ; contestation aussi de la ligne gouvernementale de la part des syndicats déçus par la cacophonie et les "reculades" du pouvoir dans des conflits sociaux durs comme celui des hauts-fourneaux d’Arcelor-Mittal à Florange ...
Pourquoi un tel paradoxe ?
|
Une défiance aussi rapide à l’égard du pouvoir en place de la part des forces sociales qui l’ont élu ne peut pas s’expliquer par des facteurs strictement politiques ni par "l’accélération du temps" due à la pression des médias, de l’Internet et des NTIC. Certes, le style, la personnalité et de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault peuvent participer au malaise et aux dissensions au sein de leur propre camp ; l’habilité manœuvrière de François Hollande, son culte du compromis "impossible", sa propension à l’ambiguité et à la pirouette rhétorique, ne sont non pas non plus étrangères à la déception de ceux qui avaient pris à la lettre son slogan de campagne : « Le changement, c’est maintenant. »
Mais il y a aussi et surtout à la source de la position incorfortable de l’exécutif vis-à-vis de sa majorité de gauche, au sens large, une contradiction non-assumée : le refus d’accepter explicitement la « contrainte économique extérieure » qui pèse sur la France (comme sur la plupart des Etats) combinée avec la conduite, de fait, d’ une politique social-libérale et européenne, dans le droit fil des gouverments qui les ont précédés - depuis le premier choc pétrolier en 1973. Un des prédécesseurs de Jean-Marc Ayrault à Matignon, Pierre Bérégovoy avait assumé au début des années 1990 cette "contrainte extérieure" dans sa politique économique, mais il perdit les élections législatives de 1993.
Persuadés que la crise du capitalisme financier est soluble dans l’interventionnisme étatique (jusqu’à la nationalisation, s’il le faut !), une fiscalité punitive et la répartition autoritaire des richesses, les idéologues de la Gauche française ont oublié que nous avions changé d’époque. Que la France n’était plus dans le monde de la Reconstruction d’après 2ème Guerre Mondiale (lorsque fut conçu le programme économique du Conseil National de la Résistance qui sert encore de référence mythique à nombre de militants et d’intellectuels de gauche), que la France était désormais intégrée dans un ensemble institutionnel plus grand et contraignant qui s’appelle l’Europe (doté d’une monnaie unique, l’euro) et que son économie était largement dépendante des flux commerciaux et financiers irriguant ce que l’on appelle la mondialisation.
Dans un tel contexte d’interdépendance institutionnelle et géo-économique, la vérité est que la marge de manœuvre des dirigeants politiques est très faible, en dépit du volontarisme incantatoire des discours d’estrades. Or reconnaître qu’une fois parvenu aux affaires du pays, on n’a pas d’autre choix que de mettre en œuvre une politique social-libérale et européenne est un aveu impossible à faire pour des dirigeants de gauche. C’est une des explications majeures du malaise que la Gauche suscite aujourd’hui dans ses rangs.
Et la Droite ? ses partisans n’ont guère de raison de pavoiser. La guerre des chefs, "à couteaux tirés", qui déchire l’UMP aura des conséquences en profondeur. Outre qu’elle "écœure" bon nombre d’adhérents et de sympathisants du parti créé en 2002 sous la houlette de Jérôme Monod pour faire contrepoids à la puissance croissante du Front National, cette lutte fratricide nourrit le populisme et la défiance du peuple à l’égard des élites, deux sentiments pernicieux déjà largement ancrés dans les mentalités, mais aussi, hélas, l’abstentionnisme. Ces avanies ébranlent la théorie du "parti dominant", assimilé à un remède-miracle à l’instabilité politique par les inspirateurs de la création de l’UMP. Les malheurs de ce parti qu’un Raymond Barre aurait probablement qualifiés de "microcosmiques", ravissent la Gauche, mais encore plus le Front National qui espère en tirer de solides bénéfices et ouvrent un boulevard à l’UDI de Jean-Louis Borloo - un parti-coalition qui doit encore se structurer au printemps 2013.
Mais la grande leçon à tirer de cette situation, c’est que la Droite et le Centre - qui ont perdu les élections en 2012, ne l’oublions pas ! - ont urgemment besoin de s’atteler à un travail sérieux de réflexion et de renovation idéologique : quelles idées neuves proposer pour relever les immenses défis auxquels est confrontée la France aujourd’hui, quels projets et mesures pour affronter les mutations économiques et sociétales de notre temps ? Un chantier intellectuel trop longtemps délaissé au profit des jeux d’égos et des intrigues de palais.
À suivre > 2. LES PERSPECTIVES ECONOMIQUES
Jacques Gautrand
> jgautrand [ @ ] consulendo.com
|
|
|
|
|