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ANALYSE
LOI TRAVAIL
Cessons d’infantiliser les salariés !
Par Alain Mollinier *
 

Après des mois de controverses, contestations, manifestations, la loi Travail - dite aussi loi El Khomri - a été adoptée par le Parlement (grâce à l’usage répété par le gouvernement Valls de la procédure du vote bloqué prévu par l’article 49-3 de la Constitution). Le 4 août, le Conseil constitutionnel a validé le texte dans ses grandes lignes à la grande satisfaction des ses auteurs... Il reste au gouvernement à publier les décrets d’application des 123 articles de la loi. Son entrée en vigueur effective prendra donc encore quelque mois que les syndicats hostiles à ce texte comptent utiliser pour relancer leur contestation, dans l’espoir que « la loi soit promulguée mais jamais appliquée »...

* Spécialistes des relations sociales, ancien inspecteur du travail, Alain Mollinier nous donne, ci-dessous, ses commentaires sur le contenu et la portée de cette loi.

Cessons d’infantiliser les salariés !
Par Alain Mollinier*

Examinons le contenu et les effets de la loi dite « Travail » qui est désormais la « LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ». Le vent des contestations suscitées par le projet de loi, notamment courant juin, m’avaient inspiré les commentaires suivants :

- Erreur de méthode

Ce projet de loi a péché, en premier, par un manque de communication sur l’intérêt/la nécessité de réformer le Code du travail. Cette communication aurait pu/dû s’appuyer sur un constat partagé. Ce terme vise à mettre sur la table tous éléments de réflexion utiles. Sans prétendre convaincre toutes les parties de la nécessité de modifier, un constat partagé permet de nouer un dialogue et d’éviter une fuite en avant dans l’incantation ou l’idéologie, car il repose sur des faits et éléments chiffrés.

Le Premier Ministre s’en est aperçu, à ses dépens, trop tard et n’a pu que reconnaître son manque de méthode...

- La loi est discutée et votée par le Parlement issu du suffrage universel.

Que signifie alors cette prétention de la CGT, et d’autres, à vouloir faire retirer ce projet de loi, se substituant ainsi aux représentants du Peuple ? Étrange conception de la démocratie qui doit interpeller chaque salarié et chef d’entreprise. Si chacun peut demain se substituer à la représentation nationale n’est-ce pas un pas vers un chaos dommageable à tous ?

Aujourd’hui que le texte est définitivement adopté et peut donc entrer en vigueur, il reste à s’interroger sur la persistance d’actions revendicatives contre l’application de cette loi, annoncées pour septembre par la CGT et FO. Nier ainsi le fonctionnement de notre organisation démocratique doit nous interroger sur la faiblesse de nos institutions... Il me semble que nous payons l’abandon, déjà ancien, de toute culture civique commune.

Cette absence de culture civique commune conduit au chacun pour soi, au rejet des règles collectives de fonctionnement, culture perçue, par certains, non plus comme un ciment du corps civique mais comme une contrainte, selon les sujets. Sans entrer dans un long développement, soulignons à ce propos que les tentatives faites pour rapprocher gouvernants et gouvernés, notamment par une limitation des revenus du personnel politique (revenus supportés par la collectivité via les impôts directs et indirects !) ont échoué, par un refus des parlementaires. Les conséquences en sont connues : montée de l’abstentionnisme lors des élections et poussée des partis extrémistes... Gageons que l’échéance présidentielle de 2017 viendra encore souligner cet état de fait tant il parait improbable que nos parlementaires corrigent leur erreur !

- La grève contre la représentation nationale :

Les syndicats FO et CGT, par leur attitude, posent paradoxalement la question de la légitimité de certaines grèves. Une grève qui vise à obliger le gouvernement et la représentation nationale à retirer un texte de loi, en prenant en otage le pays et ses citoyens, n’est plus une grève. Il faudra bien, un jour, se résoudre à remettre sur le métier la question cruciale de la limitation du droit de grève dans les secteurs stratégiques tels que les transports, l’énergie, la production de carburants et combustibles, faute de conscience civique de ces syndicats...

- Ces syndicats devraient aussi se poser la question de sortir de leur attitude extrême, quitte à reconnaître leur échec, et s’ouvrir enfin au changement de paradigme que nous vivons, ou alors se préparer à disparaître ! La règle de droit social immuable imaginée identique pour tous dans un monde industrialisé est dépassée.

Il faut inventer de nouvelles formes de relations sociales reposant sur une négociation au plus près du terrain et de ses réalités et accepter que le résultat des négociations ne se traduise plus par une règle unique et universelle. C’est ce que l’article 8 (ex-article 2 du projet de loi) contient en germe. C’est la vraie novation introduite par ce texte et attendue par tous les acteurs de terrain.

- La loi renforce le pouvoir des syndicats !

Concernant la novation que constituerait l’article 8 de la loi, il convient d’en préciser la réelle portée. En effet, le champ de cet article, qui veut donner la primauté à l’accord d’entreprise, ne concerne que la durée du travail (prise au sens large) et est enfermé dans plusieurs cadres :

-  d’une part, les dispositions relatives aux durées maximales journalières et hebdomadaires ainsi que celles relatives au décompte du temps de travail et au paiement des heures supplémentaires viennent limiter le contenu d’un accord d’entreprise. D’une façon plus générale, tous les aspects du temps de travail sont définis et plafonnés dans ce texte de loi. On est loin d’un retour au 19ème siècle que dénonçaient les contestataires de la loi !

-  D’autre part, les conditions de signatures d’un tel accord sont renforcées. L’accord ne peut être mis en vigueur que s’il obtient la signature d’organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles, quel que soit le nombre de votants. A défaut, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages peuvent indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l’accord.

Il n’est pas certain dans ces conditions qu’un chef d’entreprise veuille se lancer dans l’aventure d’un accord d’entreprise sauf extrême nécessité liée à la survie de l’entreprise.

A ce propos, notons que cette loi vient préciser ce qu’est un motif de difficultés économiques. Toutefois cette clarification n’est autre que l’incorporation dans la loi des critères posés par la Cour de cassation en ce domaine, critères que tout DRH avisé et confronté à un projet de restructuration prend comme repères.

La lecture des 123 articles de la loi amène également quelques autres observations :

-  Les nouveaux outils numériques : comment ne pas voir une contradiction entre des passages de la loi qui traduisent une vision négative de l’usage de ces outils présentés comme une nouvelle source de « contraintes » - d’où la volonté d’obliger à négocier un droit à la déconnexion - et l’article 57 qui engage à développer le télétravail en France ?
Dans la pratique, ces outils donnent la liberté de travailler de façon nomade et de chez soi, ce qui, en général, est perçu comme un plus par les salariés concernés. Ceux-ci vivraient le retour à un horaire de travail collectif, sur un lieu unique dans l’entreprise, comme une régression !
- La médecine du travail : la loi ne fait que prendre en compte une réalité qui est celle de la pénurie de médecins du travail (faute d’avoir relevé le numerus clausus des études de médecine et encouragé cette filière). Dans une vision plus positive, on peut noter que l’état de santé général de la population ne nécessite sans doute plus une visite systématique d’aptitude et que mieux cibler les moyens sur les salariés exposés à des risques particuliers fait sens. Reste à s’interroger sur le coût, actuellement élevé, de la médecine du travail car basé sur une contribution par salarié employé et réfléchir aux moyens de le réduire.

Enfin et en conclusion, je voudrais faire part des commentaires que m’inspire le projet de refonte du Code du travail précisé dans l’article 1 de la loi (réforme qui était initialement à l’origine de ce projet de loi, lequel a beaucoup dérivé de son objet premier !). Cet article 1 définit les « principes essentiels du droit du travail ». Ceux-ci, inscrits dans le projet de loi, reprennent sans aucune modification les principes proposés par le comité présidé par Robert Badinter.

Ces principes généraux ne sont pas nouveaux. Une lecture du Code du travail dans ses éditions des vingt ans écoulés permettra de les retrouver. Ils font globalement sens.

Toutefois l’architecture de la refonte annoncée est la suivante : la loi fixe des dispositions d’ordre public ; ensuite, elle définit ce qui doit relever de la négociation collective et enfin elle met en place des dispositions supplétives qui doivent s’appliquer faute d’accord.

À quand une véritable refonte du Code du travail ?

Ainsi, le titre II du livre Ier de la troisième partie du code du travail relatif à « DURÉE DU TRAVAIL, RÉPARTITION ET AMÉNAGEMENT DES HORAIRES » est-il réécrit dans l’article 8 de la loi selon ce modèle. A sa lecture, il apparaît que nous sommes loin de l’idée de poser des règles générales d’ordre public simples, à charge pour le chef d’entreprise de les respecter ou d’être sanctionné. Cet article foisonne de détails sur divers types d’absences, sur les équivalences, les astreintes, les modalités de pose des congés payés, etc.
Plus globalement, cette architecture vient souligner la primauté de la négociation collective qui est imposée, comme le rappelle le préambule de la loi.

Je constate une nouvelle fois la difficulté à changer de paradigme de la part des gouvernants mais aussi des acteurs syndicaux (et patronaux pour ce qui concerne la négociation de branche).

Reconnaître le pouvoir de direction du chef d’entreprise...

A quand une véritable refonte du Code du travail qui après avoir posé les principes d’ordre public, ceux de la commission Badinter, se conclurait par un article simple indiquant qu’il revient au chef d’entreprise de prendre toute dispositions nécessaires pour les mettre en vigueur dans son entreprise selon les modalités qu’il jugerait les plus appropriées, l’inspection du travail venant s’en assurer ?

Il n’y aurait alors plus d’obligations de négocier qui constituent autant de moments de crispation dans l’entreprise (car ces rendez-vous imposés par la loi obligent, en général, à des postures revendicatives de la part des représentants syndicaux et défensives de la part du chef d’entreprise qui n’a pas forcément grand-chose à négocier), plus d’accords nationaux ou de branche qui viennent entraver la liberté du chef d’entreprise de s’organiser en lui imposant des règles négociées par des permanents syndicaux et patronaux qui ont quitté depuis trop longtemps le terrain (s’ils y ont jamais été !). Mais des décisions unilatérales ou des accords collectifs d’entreprise comme source des règles de vie dans l’entreprise, sans oublier la première source qu’est le contrat de travail.

Ainsi serait reconnu et réhabilité le pouvoir de direction du chef d’entreprise et sa responsabilité. Car si ce dernier ne parvient pas à organiser l’entreprise en suscitant de la motivation chez ses salariés ou en « oubliant » de respecter les principes généraux évoqués plus haut, il s’expose, d’une part, au contrôle du juge saisi par les salariés pour tout ce qui touche au respect de leur contrat de travail, voire, d’autre part, à la pression de ceux-ci via le dépôt de revendications, ou le recours la grève...
Sans oublier également le contrôle de l’inspection du travail
dont la mission serait de s’assurer du respect des principes généraux et des dispositions d’ordre public.

Celui qui gère une entrepris au quotidien sait bien que si un équilibre n’est pas trouvé avec l’ensemble du personnel sur les différents aspects de la vie au travail, l’entreprise ne pourra pas bien fonctionner.

Cette nouvelle approche replacerait aussi les salariés en acteurs et non plus en assistés, ce qui est le moins qu’on peut souhaiter en ce 21ème siècle !

Alain Mollinier

* Diplômé de "Sciences-Po" Paris, ancien inspecteur du travail, Alain Mollinier a occupé des fonctions de DRH et de DAF dans des filiales de groupes industriels. Il a ensuite rejoint le monde du conseil en Ressources Humaines comme directeur régional d’une société de conseil. Depuis 2003, il intervient comme consultant indépendant en management et RH auprès d’entreprises et d’institutions qu’il accompagne, de la conception de la stratégie sociale à sa mise en œuvre opérationnelle.

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