Le sauvetage et la reconversion de l’usine Lejaby à Yssingeaux : Quels enseignements en tirer ? Par Jacques Gautrand
1 - Il n’y a pas de fatalité du déclin industriel dans notre pays. Après avoir apprivoisé la dentelle, les "petites mains" de Lejaby vont se reconvertir dans le cuir pour fabriquer des éléments de bagagerie destinés à la marque prestigieuse du malletier Louis-Vuitton. Car le luxe français ne connaît pas la crise ! Au contraire, on ne produit pas assez. Et les clientes(asiatiques, moyen-orientales) de LVMH doivent patienter pour acquérir l’accessoire de leur rêve ...
2 - Il n’y a pas de fatalité de "l’inemployabilité" (horrible mot technocratique !). Que nous rebat-on pas les oreilles sur fait que des millions de salariés seraient condamnés au chômage parce que les technologies ont chamboulé leur métier ou parce que leur secteur d’activité serait obsolète ... Vincent Raberin, le repreneur de Lejaby, s’est dit que ces femmes avaient une expériences, qu’elles avaient au fil de leur longue carrière exercé "l’intelligence de leurs mains" et qu’avec de la formation et un peu de bonne volonté, elles sauraient bientôt appliquer leur talent au travail du cuir.
On connaît tous des exemples de reconversion professionnelle réussie - souvent pour passer d’un secteur à un autre très différent - pour peu que chacun y mette du sien. Et que l’on ouvre le champ des possibles plutôt que de rester bloqués dans nos schémas anciens !
3 - La coopération interentreprises est insuffisamment développée en France. Alors qu’elle est très répandue en Italie, notamment dans le Nord, dans ce que l’on appelle les "districts industriels". Comme le souligne l’universitaire Olivier Torrès, professeur à SupdeCo Montpellier et à l’ EM Lyon : « Dans la région de l’Emilie-Romagne, il est courant que les PME s’échangent entre elles des salariés en fonction de leur plan de charge ; la coopération interentreprises y est très active. D’ailleurs Michael Porter, le concepteur de la théorie des "clusters industriels", s’est beaucoup inspiré de l’exemple italien. »
. Pourquoi la France est-elle à la traîne en matière de coopération interentreprises ? Bien-sûr on évoquera l’individualisme forcéné de nos compatriotes ("nous sommes des Gaulois querelleurs" !). Des préjugés anciens, des "jalousies de territoires", des corporatismes patronaux et syndicaux, des différences de statuts, de conventions collectives, la mise en compétition sauvage d’une armée de sous-traitants par quelques grands donneurs d’ordres ou centrales d’achat dominantes comme principal levier de compétitivité de l’offre ... autant de "pesanteurs" qui contribuent à "l’émiettement" de notre tissu économique.
4 - Il est temps que cela change ! Les politiques publiques en matière de coopération interentreprises ne sont pas suffisamment incitatives. Jusqu’à présent elles se sont beaucoup focalisées sur des aspects techniques comme la réduction des délais de paiement ou la mise aux normes de certaines filières de production. Mais elles ne se sont pas assez centrées sur les moyens nécessaires pour favoriser les coopérations ntre entreprises de toutes tailles : faciliter les groupements d’employeurs, permettre la constitution de GIE (groupements d’intérêt économique) informels, lever les obstacles fiscaux, réglementaires, faciliter les prêts de main d’oeuvre, la pluriactivité, etc.
Les grands groupes doivent aussi regarder à leurs pieds.
Une maxime dit, sous l’ombre des grands arbres il ne pousse rien ... Nos grands groupes (les plus de 1000 salariés) se sont peu à peu désolidarisés du territoire national pour aller chercher la croissance et les sources de profit dans les zones géographiques de la planète les plus dynamiques. On ne leur reprochera pas cette stratégie d’expansion tous azimuts qui a doté la France de grands champions internationaux, dans des domaines variés (agro-industrie, aéronautique, énergie, hotellerie, services ...), lesquels nous permettent encore d’exister comme puissance economique dans la mondialisation. Mais ce faisant, ces grands groupes - à quelques exceptions près - ont négligé de "soigner" le terreau économique autour d’eux, dans leur pays d’origine. Ils ne se sont pas suffisamment péroccupés de faire progresser comme des partenaires à part entière - et non comme des vassaux !- une multitude de PME susceptibles de leur apporetr par leur agilité, leur souplesse, leur innovation, des prestations, des diversifications, des fonctions ou des services complémentaires ... Car ils ont aussi délocalisé leurs sous-traitants et prestataires !
La carence la plus frappante de cette absence de coopération grands groupes-PME, nous la payons aujourd’hui au prix fort avec un déficit record du commerce extérieur (- près de 70 milliards d’euros en 2011 !). Il sanctionne l’incapacité de nos grands champions nationaux à entraîner dans leur sillage une armada de PME exportatrices, comme le font les Allemands ...
Nos grands groupes aiment bien vanter aujourd’hui avec de beaux rapports annuels sur papier glacé leur engagement sociétal, leurs actions en matière de RSE, leur fibre humanitaire, écologique, leurs opérations de mécénat ... Mais leur première responsabilité sociétale ne serait-elle pas de soutenir un eco-système de PME viables autour d’eux ?
Tout le monde aujourd’hui se gargarise du mot réseau ou network, mais il est plus que temps de mettre nos entreprises en réseau ... C’est probablement le meilleur tremplin de l’indispensable sursaut économique dont la France a urgemment besoin aujourd’hui.
Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com
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POST-SCRIPTUM
► MADE IN FRANCE. A l’approche des élections, le slogan "produisons français" fait florès. Les Français ont la mémoire courte. Il y a une quinzaine d’années, à grand renfort de publicité, les chambres de commerce et d’industrie avaient lancé une campagne sur un thème aussi prémonitoire que pertinent : "NOS EMPLETTES SONT NOS EMPLOIS !"
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