Un antagonisme de cultures et de pratiques
Les racines de cette incompréhension plongent profondément dans le fossé qui sépare le monde de l’entreprise et celui des administrations publiques.
Tout, dans leur culture, leur organisation, leur fonctionnement, leurs références, leurs modèles, oppose ces deux mondes.
Un exemple : pour le secteur public, le budget c’est ce que vous pouvez dépenser dans l’année, tandis que pour l’entreprise privée, le budget, c’est ce que vous devez gagner dans l’année … Autre exemple : le secteur public visant, par définition, « l’intérêt général », les agents des administrations ont tendance à idéaliser toute activité à "but non lucratif" et à tenir le profit en suspicion ; alors que pour une entreprise privée la recherche du bénéfice est vital : l’accumulation de pertes conduit promptement à la faillite ...
Au cours des trente dernières années la flexibilité, l’agilité, la délégation, la coopération horizontale, la prise d’initiatives … se sont diffusées dans le fonctionnement des entreprises, pendant que les administrations publiques restent caractérisées par une organisation hiérarchique, bureaucratique, cloisonnée, par le manque de transversalité et le peu d’espace laissé aux initiatives individuelles.
L’Administration fonctionne selon le principe du « précédent » (on a toujours procédé de la même façon ; à chaque situation correspond une réponse normée...), alors que l’entreprise, confrontée à la concurrence et à la mondialisation, est contrainte d’innover sans cesse, de se remettre en cause, d’explorer et de défricher de nouvelles voies, de prendre des risques …
En France, plus encore que dans les autres pays occidentaux, l’économie « administrée » n’a fait qu’étendre son périmètre au cours des quatre dernières décennies, sous l’effet conjuguée d’une volonté politique nationale et de l’intégration des directives de l’Union européenne. Cette situation a généré une inflation de textes, de lois, de règlements et de normes, au motif de protéger le citoyen, le salarié et le consommateur, mais qui aboutit, en réalité, à une camisole qui étouffe les entreprises et notamment les plus petites ou les plus fragiles.
Cette inflation législative est produite par des assemblées parlementaires au sein desquelles la voix des entreprises porte peu, puisque à peine une centaine de députés sur 600 sont issus du secteur privé... La surreprésentation des fonctionnaires parmi les élus de la nation conduit à la rédaction de textes qui méconnaissent complètement la réalité du fonctionnement quotidien d’une PME-TPE, et qui sont souvent incompréhensibles par ceux qui sont censés les appliquer, quand ils ne sont pas contradictoires.
La meilleure illustration en est, au cours des dernières années, les évolutions erratiques concernant la fiscalité du chef d’entreprise, la taxation de l’actionnariat, des plus-values ou des dividendes, la fiscalité locale, la transmission des entreprises, les changements de taux de TVA, etc.
On peut se réjouir que l’on incite les parlementaires et les énarques à faire un stage en entreprise, mais bien souvent, ces périodes de découverte -trop courtes ! - se déroulent au sein de grands groupes ou de sociétés publiques dont le fonctionnement hiérarchique et technocratique est très proche de celui de la haute administration. Il faudrait que les élus puissent passer au moins un mois au sein d’une PME ou d’une TPE ... pour se rendre compte de leurs spécificités, pour réaliser qu’il ne s’agit pas de grandes entreprises "en miniature", et qu’elles nécessiteraient des lois et des règlements "sur mesure" ... (2)
Comme le dit fort justement Philippe Hayat, une PME vit au rythme de ses commandes. Or une PME, ou une TPE, doit honorer mensuellement des prélèvements sociaux et fiscaux, reverser de la TVA, même si elle n’encaisse pas de recettes certains mois ... Ne serait-il pas plus approprié que ces contributions fiscales et sociales puissent être modulées en fonction des fluctuations du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation ?
Différences de cultures, de méthodes, attitudes de méfiance réciproque... autant de motifs d’incompréhension entre le monde de l’entreprise et celui des administrations publiques. Cet antagonisme n’est pas nouveau, mais six années de crise financière et économique l’ont porté à son point de paroxysme et peut-être même, si la situation générale du pays ne s’améliorait pas, à son point de déflagration.
Le psychanalyste Jacques Lacan disait : « Lorsque il y a des malentendus, c’est qu’il y a des malentendants … » Cette remarque frappée au coin du bon sens, trouve un étrange écho dans l’un des slogans clamés par les dirigeants de PME manifestant devant Bercy le 1er décembre : « On ne nous a pas écoutés, alors on va se faire entendre ! »
Jacques Gautrand
jgautrand [ @ ] consulendo.com
Notes :
(1) Sans oublier que ce sont les entreprises qui collectent, gratuitement, pour l’Etat sa première recette budgétaire : la TVA ...
(2) Richard Thiriet, le président national du CJD, invite les élus à venir passer plusieurs jours au sein des 4 500 entreprises adhérentes de son organisation (et réciproquement !). Il préconise également que tout énarque soit tenu d’effectuer un stage de trois semaines dans une PME.
Photo : Manifestants de la CGPME marchant sur Bercy le 1er décembre 2014 - © Consulendo.com
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