Le langage marketing qui a tout contaminé, s’est emparé quant à lui du mot « senior » dès qu’il a flairé qu’il y avait de l’argent à gagner dans cette population croissante, aux revenus confortables et à l’espérance de vie grandissante…
Dans l’univers (impitoyable) de la grande entreprise le mot « senior » s’est imposé chez nous à partir de l’anglicisme dont il est une traduction maladroite, aux connotations préjudiciables.
Quand les anglo-saxons, en effet, parlent de « Senior executive officer », de « senior consultant", ou de « senior editor »… il conviendrait de traduire ce qualificatif en français non par "senior", mais par "hautement qualifié", de "haut rang" ou « très expérimenté », mais, bon, "senior" fait plus court et s’est imposé dans la vulgate médiatique...
Le hic c’est que, dans le langage managérial en vigueur dans l’Hexagone, « senior » est devenu synonyme de problème : « comment gérer les seniors » ? « Comment les pousser gentiment vers la sortie »… Depuis qu’entreprise rime avec « création de valeur pour l’actionnaire », les « seniors » sont devenus un casse-tête pour les dirigeants. Selon l’idée préconçue que jeunesse est synonyme de performance.
La France, lanterne rouge du taux d’activité des "seniors"
Du coup, on en est arrivé à la situation cocasse que pour les DRH et les recruteurs, la « seniorité » commence à 45 ans ... Et qu’il est devenu inconvenant en France de prétendre vouloir se faire embaucher après cinquante ans … (au point qu’on a inventé des lois pour obliger les entreprises à garder les quinquas ...)
Avec de tels préjugés, ne soyons pas étonnés que notre pays soit la lanterne rouge du taux d’activité des 55-65 ans (37%) ...
Ce qui est parfaitement en contradiction avec la nécessité de travailler plus longtemps qui s’impose pour faire face au déficit croissant des régimes de retraite ...
Sans compter que cet état d’esprit biaisé génère un immense gâchis de talents et d’expériences. Ainsi qu’un déficit dommageable de transfert de connaissances inter générations au sein de l’entreprise ...
Mais depuis l’instauration du droit à la retraite à 60 ans en 1982, on a ancré dans l’esprit des Français qu’un senior qui quitte l’entreprise … laisse la place à un jeune. Ce que les faits et les statistiques n’ont jamais véritablement démontré.
L’inconscient des peuples se nourrit toujours de grandes références qui forgent les imaginaires collectifs : nous connaissons tous le couplet du célèbre Chant du Départ : « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus … »
Et voilà comment, insidieusement, une norme stupide s’insinue dans la tête de gens bien intentionnés.
Je ne sais pas si les Anglo-saxons ont un équivalent de notre Chant du Départ, mais chez eux, le mot senior est synonyme d’expertise, d’autorité, de capacité à décider … Alors que chez nous, on associe à ce vocable les notions de « trop cher », « manque de flexibilité », « dépassé », ou bien, dans l’univers consumériste, de « temps libre », de « voyages », de « cadeaux », de « loisirs culturels », de « médecines douces »…
Eternelle jouvence...
Tout ceci a fabriqué depuis vingt-cinq ans des bataillons de préretraités plus ou moins épanouis et retiré à la France un point – en moins !- de croissance annuelle du PIB par rapport aux autres pays de l’OCDE ...
Dans une société obnubilée par le jeunisme et qui affiche dans ses canons publicitaires l’image répétitive d’une adolescence perpétuelle, il est de plus en plus difficile de faire admettre à chacun que son avenir incontournable est de devenir un senior.
En 2020, le tiers des Français aura plus de 60 ans …
Le fabuliste nous avait pourtant prévenus : « si jeunesse savait et si vieillesse pouvait … »
Jacques Gautrand
jgautrand(arobase)consulendo.com
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