Jean-Louis Servan-Schreiber s’essaye à « une pensée nue sur l’aventure de vivre »
Parler de ce qu’il connaît, écrire à partir de sa propre expérience de journaliste, d’homme de presse et de patron, a toujours été la marque de Jean-Louis Servan-Schreiber. Il a aussi retenu la leçon de Nicolas Boileau, « Ce qui se conçoit bien, s’exprime clairement ... » Des caractéristiques que l’on retrouve dans son dernier ouvrage « C’est la vie ! »* qualifié d’"essais" au pluriel (un clin d’œil sans doute au grand Montaigne).
Il s’agit, de l’aveu de l’auteur, d’« un premier bilan d’expérience », à travers de courts chapitres rédigés, prévient-il, dans un style « simple, accessible, réaliste et sans, bien sûr, me prendre au sérieux... »
En évoquant « son monde », « sa réalité », « son ignorance », « sa liberté de pensée », « son lien avec l’espèce », Jean-Louis Servan-Schreiber s’essaie donc à « penser » sa vie. Mais, ajoute-t-il, « penser sa vie, ceux qui en font métier se nomment philosophes. Leurs réflexions m’aident, mais ne peuvent se substituer aux miennes. Ou aux vôtres, car chacun peut, au fond ou à l’improviste, vouloir comprendre sa propre aventure, plus ou moins captivante, mais à coup sûr singulière. » Il insiste : (vous ne trouverez) « aucune citation dans ce livre. Je ne veux ni m’abriter derrière les idées des autres, ni faire le cuistre. Beaucoup de philosophes du passé ou de maintenant sont des amis, respectés et précieux. Mais tenter une pensée nue, seulement la mienne, m’a paru plus juste, en même temps qu’une saine contrainte. »
Voilà ! Le décor est planté. « C’est la vie ! », la vie vue, vécue, voulue par Jean-Louis Servan-Schreiber... En quoi son expérience singulière pourrait-elle intéresser le lecteur ? Par son style direct et concret, l’auteur réussit à susciter l’intérêt, à interpeller notre curiosité. Il ne nous impose pas une dissertation philosophique sur le sens de l’existence, mais nous convie sur les traces d’un explorateur de la vie qui, d’émerveillements en stupéfactions, découvre que "son" monde est « unique ».
« Le réel, c’est le grand tout … Si je disparaissais dans la seconde, ce réel ne serait pas changé. Tandis que ma réalité, faite de mes représentations du réel est mienne sans conteste. Personne ne peut m’en priver, sauf en me tuant. (...) La différence déterminante entre le vaste réel et ma réalité est que je peux connaître cette dernière, même si, à chaque instant, je n’en capte qu’une partie, tandis que le réel me sera toujours incommensurable et inaccessible. »
Et puis comment parler de sa vie sans poser LA ou plus exactement LES questions : « Puisque je dois mourir, quel sens a ma vie ? Qu’est-ce qui est vrai ? juste ? important ? Pourquoi ai-je si souvent l’impression d’en savoir si peu ? » « Mystères ! », nous répond JLSS, qui nous explique comment ces "mystères" de la vie nous sont devenus indispensables : « Nos mystères sont plus familiers que menaçants. Ils jouent même un rôle irremplaçable en nous épargnant une vie où tout serait explicable et qui deviendrait alors une longue vallée d’ennui... »
Sans déflorer tous les chapitres de « C’est la vie ! », voici un florilège de quelques-unes des réflexions qui émaillent ces "essais" :
« Le ciel est vide. Je ne peux m’accrocher à rien de certains. Pour rester en équilibre, je dois vivre en mouvement. »
« La vérité ne peut être que relative. L’absolu n’est accessible qu’aux croyants. Et je m’en méfie. »
« Je dois tout aux autres. Ils m’ont fait naître et ma vie dépend d’eux chaque jours. L’individualisme est un fantasme d’adolescence. »
« N’être qu’un brin de l’immense cordée humaine me remet à ma juste place, mais aussi me rassure. Je suis seul, mais en compagnie. »
« Chercher le sens de la vie est vain. Etre vivant suffit à donner sens et valeur à chaque journée. »
« L’humilité est ma source imprévue de force. »
« Vie et mort sont indissociables. Me savoir mortel fait de chaque minute une chance. »
Et au moment de conclure, l’auteur ne conclut pas. C’est un « au revoir » qu’il nous adresse en nous invitant à « apprendre encore » : « Jusqu’au bout, donc, je vais continuer à apprendre à vivre. »
D’ailleurs, reconnaît-il, « écrire ce livre m’a déjà été bénéfique. J’y vois un peu plus clair sur l’aventure de vivre. Je continue chaque jour à apprendre. »
Denise Parisse
* Jean-Louis Servan-Schreiber, « C’est la vie ! »
Éditions Albin Michel – 192 pages – 2015 - Avec des illustrations de Xavier Gorce.
Les 7 vies de Jean-Louis Servan-Schreiber
Le chiffre 7 aura souvent marqué la vie de JLSS (comme on le surnomme). Le futur journaliste est né en 1937, dans une famille où la presse a joué un rôle de potion magique. En 1967, dans le sillage de son oncle et de son père, Robert et Emile les fondateurs du journal Les Echos, il crée le magazine L’Expansion avec Jean Boissonnat et avec l’appui de son frère Jean-Jacques Servan-Schreiber, le fondateur de l’hebdomadaire L’Express (en 1954). En 1994, JLSS vend le Groupe Expansion qu’il a doté de nombreux titres-phares, au Groupe Havas ( devenu ensuite Vivendi).
En 1997, après une nouvelle expérience de presse au Maroc, il rachète le magazine "Psychologies" dont il va booster la diffusion avant de le revendre pour reprendre le magazine "Clés" dont il est actuellement le directeur.
Cet entrepreneur insatiable est aussi un perfectionniste de la "gestion" du temps. En 2000 il publie « Le Nouvel Art du temps » qui fait suite à « L’Art du temps » sorti en 1983.
Parallèlement à sa carrière de patron de presse à répétition, JLSS n’a cessé de publier de nombreux essais, nourris de sa propre expérience et de son don d’observation de la société contemporaine. Citons notamment, « Le Pouvoir d’informer » (1972), « Le métier de patron » (1990), plus récemment, « Vivre content » édité en 2002, « Une vie en plus » en 2005, « Trop vite » en 2010, « Aimer (quand même) le XXIème siècle » en 2012, « Pourquoi les riches ont gagné » en 2014.
D.P.
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